Il est sur tous les fronts : tantôt écouté, tantôt censuré,Tariq Ramadan est aujourd’hui une figure emblématique de l’Islam pensé, l’Islam qui se veut éclairé. Philosophe, islamologue, auteur et professeur Suisse d’origine égyptienne, Tariq Ramadan a défrayé la chronique plus d’une fois. Présent à Casablanca pour animer une conférence sur le thème : « Jeunesse d’ici et d’ailleurs : Cohésion sociale, malaise identitaire et aspirations » à l’Université Mundiapolis, nous l’avons rencontré et l’avons interrogé sur des sujets qui font l’actualité. Entretien.
ILLI : Le texte sacré permet-il en l’état l’égalité hommes et femmes telle que conçue universellement ?
Tariq Ramadan : A la lecture des textes, avec la marge interprétative que nous avons, il y a tout à fait la possibilité d’avoir une lecture qui prône l’égalité. Moi je l’ai écrit dans la ‘Réforme radicale’, j’ai été bercé dans ce discours-là. Nous sommes égaux devant Dieu, complémentaires dans la société. J’entendais ceci dans les cercles dans lesquels j’ai été formé, quand j’étais en Egypte, mes savants de référence me le disaient. J’en suis arrivé à la conclusion que ‘complémentaires’ ça peut vouloir tout dire. Abu Hamid Al-Ghazali, quand il parle de la relation homme-femme, parle d’une relation qui soit de l’ordre du maître et de l’esclave. C’est complémentaire puisqu’un maître sans esclave n’est rien et un esclave sans maître ne saurait être. En l’occurrence, il faut revoir ceci.
Je pense que le problème est un problème qui est lié à deux choses. La première est que les interprétations du Coran sont des interprétations masculines et qu’elles sont liées à des sociétés majoritairement patriarcales. Ceci a une influence sur la lecture des textes et je pense qu’une lecture féminine sera vraisemblablement différente. Mais pas seulement. Je pense, aussi, que c’est la nature même du discours sur la femme qui a fait que, en général, on extrait du Coran un discours qui va s’occuper de la femme en tant que mère, en tant qu’épouse et en tant que fille mais pas de la femme en tant que femme. Je ne vois pas pourquoi on aurait un discours sur l’homme en tant qu’homme et pas le contraire.
C’est pour ça que dans le chantier que nous avons ouvert sur la question du genre, je refuse de parler de la question de la femme uniquement. C’est un problème d’homme et de femme. Un des grands problèmes aujourd’hui est la question de la masculinité dans le rapport au texte.
Donc oui il y a de la place pour l’égalité mais ça demande un vrai travail de réforme de nos lectures et de nos positionnements. Il faut savoir, aussi, faire la différence très clairement entre le texte dans son histoire, la littéralité du texte et la projection culturelle sur le texte.
ILLI : Qu’en est-il de l’égalité devant l’héritage ?
Tariq Ramadan : Le texte est considéré par les savants comme étant « qati’i », c’est-à-dire définitif et pas ouvert à l’interprétation quant à son expression. Le problème est que certains savants considèrent que puisqu’il est qati’i dans son énonciation, il est qati’i dans son application. Par exemple, le texte sur ‘couper la main du voleur’ est qati’i dans son énonciation, mais tout de suite après la mort du prophète, son application a été suspendue parce que la littéralité du texte, appliquée à un contexte qui ne le permettait pas, trahissait l’objectif du texte qui était la justice.
Sur la question de l’héritage, nul ne peut nier que le texte est là. La compréhension de la moitié de cet héritage, uniquement dans la filiation directe, est une philosophie de la famille qui consistait à donner un devoir plus important à l’homme et un droit plus spécifique à la femme. S’il a le double, il doit pouvoir subvenir aux besoins.
Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où les sociétés contemporaines ne respectent rien de tout ceci. On se retrouve avec des hommes qui non seulement prennent le double mais ne se chargent jamais du reste, on doit donc se poser la question des finalités. Au lieu d’appliquer ce droit restrictif individuellement, appliquons la référence musulmane au niveau collectif. Soit l’Etat prend ses responsabilités : dans les situations d’héritage faire en sorte qu’il y ait une application qui redonne ses droits à la femme, c’est-à-dire de pouvoir avoir son autonomie financière. Soit on remet en cause l’application de ceci jusqu’à ce qu’on réforme le cadre de la famille. Mais l’application littérale de ce droit-là fait qu’aujourd’hui nous pouvons être dans des situations injustes, ce qui contredit l’esprit et même la lettre du texte.
Il ne faut pas oublier ces versets-là, ces versets sont, pour moi, des suppléments de responsabilisation sociale et collective quant à la gestion de la famille, à la protection du statut de la femme et au devoir de l’homme. Sinon, on est en train de trahir l’Islam en jouant sur leur application littérale quand ça nous arrange et à l’oubli de la philosophie générale quand ça nous arrange.
ILLI : Dans un contexte de polémique nationale, qu’elle est votre position sur l’avortement dans un islam éclairé ?
Tariq Ramadan : Je comprends qu’il y ait une législation nationale qui l’interdit mais je vous dirai franchement, et c’est ma position personnelle, d’un point de vue musulman je m’opposerai à toute loi qui s’opposerait une fois pour toute à l’avortement. Dans la tradition légale musulmane, il y a l’opposition du principe à l’avortement, certes, mais il y a une seule situation, où l’on entre en matière, c’est celle où la vie de la maman est en danger.
Dans la tradition musulmane, nous ne sommes jamais dans une position d’interdiction absolue. Pourquoi ? Parce que nous allons au cas par cas. De ce point de vue-là, il y a systématiquement une étude de la situation de la femme et de ce qui s’est passé.
Au bout d’un moment, à vouloir se cacher derrière une interdiction, nous finissons par devenir hypocrites quant à la réalisation. Il y a aujourd’hui, dans ce pays, des situations qu’on gère dans l’hypocrisie et le mensonge.
La reconnaissance du droit qu’une femme a islamiquement d’avorter ne peut être remise en cause par aucun savant. On est allé très loin dans ces discussions-là entre les savants saoudiens et d’autres savants qui disaient : une femme qui a été violée a le droit d’avorter, une femme qui sait que l’enfant est dans une situation de déformation mentale, une femme qui ne peut pas… on est entré en matière dans toutes les écoles juridiques et en particulier, il faudrait le rappeler au Maroc, dans l’école malèkite, votre école ici. Il y a des réalités d’ouverture.
Pour moi, cette idée qu’on continue aujourd’hui à se donner l’impression qu’on protège la religion par l’interdit… non, on ne protège jamais une religion par l’interdit ! On protège une religion par la cohérence sans hypocrisie. Je ne suis pas la législation nationale sur ce plan-là. Et je ne le fais pas parce que je suis un occidental, je le fais de l’intérieur des références musulmanes qui disent en l’occurrence : oui, le principe premier c’est de ne pas aller dans le sens de l’avortement mais on a toutes les circonstances qui font qu’une législation qui l’interdit n’est pas une législation qui est en accord avec la flexibilité de la législation musulmane sur la question.
illi
Salamwalikoum monsieur ramadan,
J ai récemment visionné la conférence sur la réforme de l islam organisée par monsieur macquart.les principaux intervenants sur la question étaient très bons.je parle de m.adnan ibrahim et de m.mohamed bajrafil essentiellement. J’ai regretté votre absence de ce débat ainsi que la présence de filkenkrault. Ma question est donc pourquoi n y étiez vous pas présent alors que vous êtes à mes yeux la référence pour ce type de sujet important et nécessaire.