Accueil Français Articles Autorité 3/4

Autorité 3/4

3
Autorité 3/4

L’histoire de Galilée révèle l’essentiel. L’Église, avec son interprétation de la Bible, ses croyances et ses dogmes, impose ses vérités : la thèse géocentrique est indiscutable, la terre est au centre et tout tourne autour. Galilée cherche, observe, décrit et établit, en se référant à la théorie copernicienne, la thèse héliocentrique : la terre tourne comme les autres planètes du système et elle n’est pas au centre. Ses découvertes seront contestées, refusées, condamnées : il sera jugé et devra finalement abjurer en 1633. Les vérités de la religion s’opposaient aux vérités de la science, la foi faisait face à la raison : le pouvoir était alors aux mains de l’Église qui fit plier, d’autorité, les prétentions de la raison et de la science. Cette opposition et cette condamnation participent d’une expérience historique fondamentale en Occident : une sorte de trauma qui n’a eu de cesse d’influencer tous les débats sur l’être humain, le savoir, l’autonomie, la liberté, le pouvoir et évidemment l’organisation sociale et politique. Si d’autres civilisations, de l’Inde à la Chine, ou d’autres spiritualités et religions, de l’hindouisme au bouddhisme en passant par le judaïsme et l’islam, n’ont pas connu cette tension-conflit traumatique (en tout cas jamais selon les mêmes modalités, et avec le même caractère tragique), il est proprement impossible d’appréhender l’Occident et le christianisme (la part de racines chrétiennes de l’Occident) sans comprendre les termes de l’équation du procès de Galilée. L’Église catholique imposait une vérité que contestait l’observation objective et scientifique de l’univers. Qui donc devait avoir le dernier mot ? Pendant des siècles, l’institution cléricale tenait le double pouvoir de l’autorité politique et scientifique : elle imposait l’ordre et la vérité. La découverte du rationalisme grec à la Renaissance, l’humanisme et la naissance de l’esprit scientifique ont lentement ébranlé les fondements de l’autorité cléricale : on assistait à l’émancipation de la raison, à son autonomisation et, de fait, à la naissance de la nouvelle autorité des sciences en matière de savoir. Cependant, la crainte de voir se perdre le sens et la prééminence de la foi dura des siècles, et ce même chez ceux qui apparaissaient les mieux armés pour affronter le rationalisme. Pascal affirmera environ un siècle plus tard, en pensant au rationaliste de Descartes : « Écrire contre ceux qui approfondissent trop les sciences. » Il fallait se méfier de la raison et des sciences qui mettaient en péril l’autorité religieuse en contestant les vérités de la foi et l’autorité de l’institution. Galilée avait perdu, et gagné.

Les autres spiritualités, religions ou civilisations, nous l’avons dit, n’ont pas connu cette crise et cette épique confrontation. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer : la nature même des enseignements spirituels et religieux, l’absence d’une autorité cléricale hiérarchisée et dominante, la nature des savoirs promus et/ou acquis dans l’ère de civilisation en question, etc. Parfois, plusieurs facteurs ont joué ensemble. Il reste que l’expérience occidentale, et catholique, du conflit entre la foi (la croyance) et la raison, entre le donné spirituel et le fait scientifique, est bien plus l’exception que la règle dans l’histoire des civilisations et des hommes. Ces questions demeurent toutefois intéressantes et centrales pour tous et partout : existe-t-il deux ordres de vérité ? Si oui, comment alors distinguer entre les vérités de la foi et celles de la raison ? Comment circonscrire l’autorité de la religion et celle de la science ? La métaphysique a-t-elle son mot à dire en physique ? Faut-il distinguer, opposer et/ou marier ces horizons ? Les textes des traditions spirituelles, de la Bhagavad-gītā aux Upanishad, s’intéressent, comme nous l’avons vu, à la science du sens et à la libération de soi à la lumière des Veda et des hymnes qui révèlent la connaissance absolue de l’origine. À travers toutes les évolutions qui menèrent à l’hindouisme, puis, encore, au bouddhisme, on relève une constante qui est un principe de facto : les enseignements spirituels ne s’intéressent que très marginalement à l’observation objective et scientifique des faits et des éléments. Implicitement, et finalement très explicitement, il s’agit de deux ordres de savoir différents : le sens, l’essence, la lumière et la liberté relèvent de l’enseignement spirituel alors que l’observation scientifique relève de l’ordre et du « comment » des choses et se présente comme un moyen et non une fin. En reconnaissant leur essentielle différence, ces traditions affirment leur impérative complémentarité. C’est ce que l’on retrouve, bien plus tard, dans l’approche du théologien, philosophe et médecin juif Moïse Maïmonide qui, au XIIe siècle, a établi des distinctions et a promu des correspondances entre les ordres de la physique et de la médecine et ceux de la théologie et de la métaphysique. Son Guide des Égarés est une tentative de rendre la science de la foi et de la loi (religieuse) aussi rigoureuse que celle de la science de la physique et, dans le sens opposé, il cherche à partir de la rationalité projetée sur le monde à remonter « scientifiquement » à la nécessaire preuve de l’existence du Créateur de l’ordre et des causalités.

La foi et la raison sont des facultés clairement distinctes, comme le sont la religion et la philosophie d’une part et la science d’autre part. Les convergences sont possibles et même nécessaires : ne jamais oublier le sens dans l’observation scientifique des faits et questionner rationnellement le sens de la foi par les faits. On retrouve chez Maïmonide les interrogations qui traversent l’œuvre d’al-Ghazālī et qui l’ont tant influencé : la distinction des ordres est un fait. Ainsi la foi (qui est confiance et conviction) et la raison (qui est observation et analyse) ne devraient pas s’opposer en termes d’autorité quant aux savoirs, mais, au contraire, se compléter en termes de référence quant à l’action. C’est ce qui l’intéresse d’abord dans son œuvre bien nommée : Critère de l’action (Mizân al-‘Amal). Avant même le questionnement philosophique sur la nature du rapport entre la foi et la raison, on trouve dans la tradition légale islamique une différence d’ordre et de méthodologie entre les sphères du credo (’aqîda) et des pratiques cultuelles (‘ibadât), d’une part, et celle des affaires sociales (mu’âmalât), d’autre part : il est une distinction – dans la lecture même de la révélation – entre le donné révélé, clair et immuable, et l’orientation générale à interpréter et à contextualiser rationnellement. D’Abô Hanifa à Ja’far asSâdiq et Ibn Hanbal, des sunnites aux chiites, jusqu’aux savants contemporains, il existe bien deux ordres dans l’exercice du droit. L’ordre de la foi ne peut se passer de l’exercice critique de la raison pour rester fidèle à ses propres enseignements : impératif mariage, nécessaire harmonie. C’est très exactement cette problématique qui est au cœur de la question de l’autorité politique. La séparation de l’Église et de l’État est une traduction, au niveau politique, de la résolution – par le divorce – de la crise philosophico-religieuse de Galilée dans le domaine de la science. Il s’agit dans les deux sphères (scientifique et politique) de distinguer les pratiques et les pouvoirs : si l’Église et la foi déterminent et reconnaissent l’autorité par le haut (Dieu, la révélation, le clergé), il est impératif de reconnaître une autorité par le bas, par l’observation et l’analyse scientifiques du réel, par le débat critique et la négociation plurielle tels que les exigent la science, la philosophie et la politique. Le principe de distinction est fondamental, la séparation est multidimensionnelle et globale. Certains savants et intellectuels musulmans, questionnés sur la séparation de l’Église et de l’État, la distinction du religieux et du politique, répondent en affirmant que l’islam – comme le judaïsme – n’a pas d’Église et qu’il est donc impossible de séparer l’État d’une entité qui n’existe pas. Ils manquent ainsi – ou évitent – la question. Ce qui importe est de savoir s’il existe une distinction entre l’ordre de la foi et celui de la rationalité, le dogme et la science, la vérité révélée et imposée et la vérité rationnelle et négociée. Or l’islam, comme les spiritualités qui l’ont précédé, comme l’hindouisme et le bouddhisme, et – de façon plus explicite encore – comme le judaïsme, établit (à travers l’œuvre de ses savants et de ses philosophes classiques) une distinction implicite des ordres et une catégorisation explicite des méthodologies distinguant les sphères et les autorités. Au demeurant, des traditions spirituelles et religieuses les plus anciennes aux philosophies et idéologies les plus modernes, il a toujours été question d’éviter deux excès : mêler l’ordre de la foi (et parfois celui de la philosophie et de la croyance) et celui de la raison scientifique au point d’étouffer et de museler la raison au nom d’un sens ou d’un système déterminé a priori ; séparer les deux ordres au point que l’autonomie de la raison analytique et technicienne, et de sa logique scientifique et/ou politique, empêche tout questionnement sur le sens, l’éthique et les finalités. Nous avions rencontré la quête de sens, puis celle de l’universel : nous voici en quête d’harmonie.

3 Commentaires

  1. j’ai beaucoup apprecié et apris de cet article restreint et vous encourage de nous eveiller avec de telles choses florales. Nous souhaitons d’autres articles sur le dogme religieux et les prejugés religieux en islam. Je suis l’un de vos lecteurs fideles que vos ecrits influencent beaucoup par leurs lucidité et neutralité. Je regarde vos videos, conferences et preches et surtout je lis vos ecrits. Mecri vraiment et vous m’inspirez beacoup au point je vous admire

  2. Au dix-septieme siecle Galilee a etabli la these heliocentrique.

    Au dix-neuvieme siecle Darwin a etabli la theorie de l’ Evolution.

    Ils etaient capables de fournir de l’evidence indiscutable pour leurs decouvertes. Neanmoins tous les deux ont qualifies d’heretiques pour avoir avance ces idees.

    ‘Existe – t – il deux ordres de verite?’

    Comment voulez – vous que ca marche? Ou bien c’est vrai ou c’est faux, n’est – ce pas?

  3. Salam…

    Bien qu’en général l’Autorité soit entendue estimée déclarée comme un besoin clair à élever des natures, une lumière douce à concevoir des futurs, une puissance sage à partager des univers, quels(autres) desseins naturels culturels politiques spirituels philosophiques… éclairent des hommes, donnent de la justesse, et apprennent possiblement autant, ou au mieux, et partout des valeurs supra-, anté-, humaine, du sens, de la raison…??? Serait-ce alors un, ou cet ensemble d’entendements, jamais décomposé et si peu complexe, qui l’a structure indéfiniment, consciencieusement, raisonnablement, et, malheureusement, différemment, autrement, quand du nombre important des dialogues et des drames imposent et brisent au fil du temps, le dénuement actif et approprié d’une sagesse éclairée…

    L’autorité est une reliure relative et vérifiable de la nature, un ordre pacifique et courant de la vie, une racine terrestre et multiple des lois, un héritage équitable et mûr de la vérité, une ressource fraternelle et appréciée des savoirs, un relais établi et préservé de la civilité, un respect ordinaire et commun de la conscience, un(e) hymne libre et intelligent(e) de la paix, …, mais, au fil des équilibres, comme pour des répertoires évolutifs de l’histoire des mémoires et, comme avec des pouvoirs interactifs de la nature des hommes, qui des nombres et combien du monde disent et savent, encore, reconnaître d’elle, autant et partout, autant et beaucoup, toujours et surtout, comme un ciel dans son immense, sa généreuse réalité vivante, et renaissante comme toutes saisons pour, pourtant, ne rendre ne partager et ne donner qu’aussi si peu des places et des valeurs universelles, semées à toutes volontés, élevées à tous degrés, récoltées à chaque fertilités…

    L’autorité…des lieux, des personnes, des états, des mémoires, des projets,…, la meilleure étant donnant logique, la pire ayant portant tragique, donc en toutes égalités, aux réalités mêmes de la nature seule et éclairée, parmi les consciences anciennes des hommes, au cœur de la Vie nouvelle des Peuples, au delà des liens des autres du sang, dans le temps les âges des rythmes, à l’esprit des valeurs du monde, et, même en mémoires ternies des peines, c’est le sens double et entier de la raison entendue et, indivisiblement, de cet écho naturel, de ces moitiés relatives, c’est la raison simple et parfaite des sens indiqués…

    Au delà des efforts humains conscients et salutaires que la vie ordonne, et, au devant des matières utiles nombreuses et nécessaires que la terre redonne, la somme égale et sollicitée, d’une histoire réunie et produite des natures et des pensées humaines, fasse observer, remarquer, et dire, à toutes autorités, que la différence importante et certaine, d’un commun brillant et consenti des savoirs et des regards humains, est temporellement trop et tant en deçà du sens de la raison du partage de la Vie, nouvelle ou ancienne, des vérités, comme si sans gré, ni mieux, de cette réalité d’ensemble entre une ou plusieurs matières autrement et parfaitement conciliables dans le temps…

    Autorité…rite universel et automatique…
    Autorité humaine… rite naturel conscient et réfléchi, à l’autorité…
    Autoritarisme…rite humain inconscient et irréfléchi, à l’autorité…

    Les temps de la vie ne se confrontent jamais, les temps de la vie des hommes ne se confrontent autant…

    L’Autorité ne serait donc ni le constat ni le propre d’une, et plusieurs, conquête pernicieuse, malveillante, malheureuse, dominante,… comme des instants précieux donnent du pouvoir et des instances majestueuses offrent de l’autorité certes, mais, si, puisque, pour beaucoup, des apprentissages des messages étendus entre des hommes et des expériences des valeurs reconnues entre les mêmes se limitent et se résument à parvenir injustement et à force du « meilleur », de leurs poursuites de leurs partages de leurs consciences, quel jour quelle nuit n’évoluent et ne dessinent à travers temps et dans leurs bénéfices, le même équilibre, la même autorité, une seule et juste suprématie…

    …KHassan…Salam…merci…

Répondre à Douassou chaibou Annuler la réponse

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici