Citoyenneté, Identité et le Sentiment d’appartenance. L’éducation : une première étape impérative

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Dans le cadre du projet social de la municipalité de Rotterdam, nous avions commencé par organiser plus d’une trentaine de rencontres de terrain pendant près de six mois : entrepreneurs, travailleurs sociaux, adolescents, journalistes, enseignants, associations de femmes, espaces culturels, etc. Il s’agissait de mieux comprendre la ville et les dynamiques qui la traversaient. Nous avons également constitué un groupe de réflexion qui avait pour fonction d’accompagner le projet en traitant de la question de la citoyenneté, de l’identité et du sentiment d’appartenance à la lumière des réalités de Rotterdam, des projets déjà réalisés et surtout des priorités quant aux chantiers et aux actions à envisager dans l’avenir. Ces diverses réunions étaient toutes importantes et utiles pour fixer les contours de notre projet et pour établir une vision d’ensemble.

Au fil des discussions et des débats, il a été établi qu’il fallait fixer notre attention sur trois axes prioritaires pendant les deux premières années. Il s’agissait d’abord de s’intéresser à l’éducation dans ces différentes dimensions, puis à la question de l’emploi et du marché de l’emploi et enfin des médias et de leurs rôles dans le façonnement des perceptions au niveau local. Il s’agissait donc de faire un état des lieux de ce qui se faisait déjà au niveau des diverses localités de la ville de Rotterdam, d’analyser les raisons du succès de certains projets (de même que les causes des possibles échecs), de cibler des activités et des zones qui pouvaient être prioritaires et, à terme, de proposer une vision globale des enjeux, des synergies possibles sur le terrain s’appuyant sur une ou plusieurs stratégies dans chacun des domaines susmentionnés (éducation, emploi ou médias).

Pour celui qui visite Rotterdam et qui prend le temps d’étudier les projets qui sont lancés au niveau local, il apparaît clairement que la ville recèle un dynamisme impressionnant. Le nombre de services, d’associations, d’organisations et d’activités – autonomes ou soutenus par la municipalité – est impressionnant. L’énergie dépensée par des fonctionnaires, des femmes ou des hommes, professionnels ou bénévoles, force le respect : ils sont nombreux sur le terrain à vouloir que les choses bougent et changent. Ce qui parfois est désarmant tient au fait que ce qui peut manquer à la meilleure efficacité de telle ou telle activité tient surtout au manque de coordination, de collaboration et de synergie entre des actrices et des acteurs qui travaillent dans la même ville mais qui n’ont pas toujours le temps de s’asseoir ensemble et de créer des ponts avec d’autres associations travaillant dans la même ville et dans le même domaine. L’établissement d’une vision générale de l’action éducative dans la ville (en ce qui concerne notre premier chantier par exemple), le temps de la réflexion que cela impose aux actrices et aux acteurs, les collaborations concrètes qu’il importe d’envisager sur le terrain… ce sont ces éléments qui nous ont paru manquer parfois tout au long de nos discussions et de nos rencontres. Ainsi, en nous engageant dans notre premier chantier, celui de l’éducation, il nous est clairement apparu qu’un grand nombre de projets intéressants étaient déjà réalisés et qu’il fallait parfois simplement les faire connaître, les dupliquer, établir des collaborations et lancer ainsi un mouvement plus large dans la ville. D’autres fois, comme nous le verrons, il fallait essayer de faire des propositions neuves en espérant ouvrir de nouvelles pistes quant à la réflexion ou aux activités concrètes.

I. Citoyenneté, Identité et Sentiment d’appartenance

Les pages qui suivent ouvrent une réflexion à la fois générale et pratique sur la question de l’éducation en relation avec le thème général Citoyenneté, Identité et Sentiment d’appartenance. Avant d’entrer dans la présentation des axes de travail que nous avons élaboré tout au long de ces mois de réflexion et de rencontres, il nous semble important de rappeler un certain nombre de positions de principe que nous avons déterminées en amont des trois chantiers retenus (éducation, marché de l’emploi et medias). Ces positions de principe ont influencé notre approche de la question et elles permettent d’éclairer la nature et le sens des propositions que nous faisons – et que nous ferons – dans chacun des domaines susmentionnés.

Citoyenneté, Identité et Sentiment d’appartenance

L’intitulé même de l’ensemble de ce projet explicite l’angle par lequel nous avons désiré aborder la question. Le statut de la citoyenneté, dans la société et la collectivité démocratique, place les individus, les femmes et les hommes, et ce quelle que soit leur origine, sur un pied d’égalité de droits (et également de responsabilités). Au-delà des différences d’appellations entre les citoyens autochtones et les citoyens allochtones, ce qui doit compter c’est la reconnaissance du statut de membre de la collectivité sociale. La deuxième dimension qui est importante ici est l’insistance, à travers la citoyenneté, sur ce qui est commun à tous les membres du corps social : non seulement il y a égalité mais cela repose sur une commune reconnaissance de la constitution et de la législation du pays. Les lois de ce dernier fixent le cadre que tous les membres respectent. Il s’agit donc de commencer par fixer ce qui est commun, ce qui fait le socle solide de notre « vivre-ensemble ». C’est à partir de ce cadre qu’il devient possible d’appréhender de façon positif, et plus sereine, la question de la diversité des identités culturelles ou religieuses. Le cadre légal et la citoyenneté nous permettent de déterminer les fondements et les contours clairs au sein desquels la diversité des identités doit être pensée : la spécificité des mémoires, la richesse des cultures et les particularités des pratiques religieuses doivent être appréhendées, nourries et positivement pensées en s’assurant que les termes du droit et de l’égalité sont reconnus et assumés par toutes les institutions représentant l’autorité publique et tous les individus membres de la collectivité.

Il reste, comme nous avons pu nous en apercevoir ces dernières années dans les sociétés européennes et notamment en Hollande, qu’il ne suffit pas d’insister sur la loi et/ou le droit pour nourrir le sentiment d’appartenance à la société dans laquelle vivent les individus. Un travail important doit être entrepris sur les représentations collectives, la conscience et l’éducation civiques, le sens des responsabilités, la participation aux affaires de la cité, l’engagement local, etc. Le sentiment d’appartenance est façonné de multiples façons et sa dimension psychologique est évidente : il s’agit de porter un regard positif et constructif sur son lieu de vie, de se sentir concerné par l’état autant que par son avenir, de ressentir de la confiance et du bien-être quant à son être, son identité ou ses choix de vie personnelle et enfin de percevoir la reconnaissance de la collectivité en ce qui concerne la valeur de la contribution apportée. La « confiance » et la « reconnaissance » sont impératives dans la formation du sentiment d’appartenance et elles sont nourries par le regard (positif) que l’on porte sur le caractère pluraliste de la société d’aujourd’hui, le discours assumé et inclusif vis-à-vis de cette réalité et enfin l’engagement local à valoriser la diversité, le dialogue, la contribution des individus et des cultures au projet commun. Il s’agit, on le voit, d’une démarche clairement volontariste qui doit s’appuyer sur une volonté politique locale tout à fait déterminée.

Un discours et une approche « post-intégration »

Pour atteindre ces objectifs, il nous paraît important de sortir du cercle vicieux dans lequel nos représentations et nos discours se sont enfermés depuis quelques décennies. On ne cesse de dire et de répéter que nous avons affaire à des questions culturelles et religieuses et que les problèmes du « vivre ensemble » quand les femmes et les hommes « issus de l’immigration » ou encore « allochtones » se seront enfin intégrés. On peine à voir que l’intégration religieuse et culturelle est déjà acquise pour de nombreux citoyens : cela est vrai non seulement en France ou en Grande-Bretagne où la présence musulmane par exemple est plus ancienne mais également pour les nouvelles générations en Hollande.

Des centaines de milliers de femmes et d’enfants d’origine marocaine, turque, surinamaise, sénégalaise, etc. – et dont la plupart sont musulmans – vivent en Hollande et n’ont aucun problème avec la législation du pays ni sa mémoire ni encore avec le fonctionnement des institutions du pays. Ils sont de la première, deuxième voire même de la troisième génération et ils sont déjà « intégrés » : continuer, pour ces citoyens, à parler d’ « intégration » revient à projeter sur eux des réalités et des craintes qu’ils ont déjà dépassées et surtout cela nourrit dans la société l’idée qu’il existe une « population différente » qui n’est pas encore des « nôtres ». Ceux qui doivent « s’intégrer » sont perçus comme des « étrangers de l’intérieur ». Cette représentation est non seulement fausse mais elle déplace la nature des problèmes. D’abord parce que l’intégration est acquise (ou en voie de l’être très largement) et que le vrai succès de l’intégration – à un moment historique précis du processus – est de cesser de parler d’intégration. Il importe aujourd’hui d’évoluer et d’élaborer une approche et un discours « post-intégration » qui reconnaisse les acquis et le statut à part entière des citoyens quelle que soit la diversité de leur origine.

Le discours « post-intégration » doit nous permettre de ne pas nous tromper sur le diagnostic des problèmes auxquels nos sociétés font face. Certes, il existe des individus (et parfois de nouveaux migrants) ayant encore des problèmes d’intégration culturelle et/ou religieuse mais ce à quoi font face les générations nouvelles de citoyens et de résidents (de plus longue date) n’a plus rien à voir avec ces difficultés. Le discours « post-intégration » doit s’appuyer sur deux approches majeures : la première consiste à être inclusif quant à la réalité plurielle de nos sociétés et la seconde à analyse les problèmes socio-économiques pour ce qu’ils sont et ce qu’ils exigent de politiques sociales adaptées. En d’autres termes, il s’agit d’engager tous les citoyens, au nom de leur appartenance à la même société et au nom de leurs espoirs en son avenir, à se mobiliser ensemble contre les vrais problèmes qui sont d’abord ceux de l’exclusion sociale et économique, de la marginalisation et de la ségrégation symbolique et territoriales et enfin de la discrimination structurelle et institutionnelle (écoles, marché de l’emploi, habitations, voire médias, etc.). Il s’agit de ne plus accepter de tomber dans le piège de la « culturalisation », de la « religionisation » ou encore de l’ « islamisation » des problèmes socio-économiques. C’est au nom de notre commune citoyenneté, conscients de nos responsabilités partagées et de nos droits égaux, que nous devons lutter ensemble contre les défaillances et les contradictions internes au fonctionnement de nos institutions d’une part et contre les possibles incohérences entre les idéaux démocratiques et les réalités du terrain d’autre part. Il ne faut pas réduire à une affaire d’intégration culturelle et religieuse ce qui relève de l’application égalitaire du droit et de l’égalité des chances. C’est en procédant ainsi que nous réussirons à atteindre l’objectif supérieur de nourrir et de façonner le sentiment d’appartenance dont nous parlions et qui s’apparente à une disposition émotive et psychologique de première importance : se sentir chez soi quels que soient les problèmes sociaux et économiques auxquels le quotidien nous impose de faire face.

Un nouveau « nous »

C’était le sens de notre Manifeste, il y a quelques années, proposant l’émergence d’un « nouveau NOUS ». En tenant compte de la nécessité de nous engager dans une nouvelle approche fondée sur un discours « post-intégration » (qui prend en compte le besoin de « confiance » et de « reconnaissance » tout en refusant la nouvelle « culturalisation » ou « la religionisation » des anciens problèmes socio-économiques), il nous apparaissait important de développer des stratégies qui permettent d’obtenir des résultats concrets sur le terrain. Face aux débats paradoxaux et contreproductifs sur « l’intégration » toujours à réaliser et à la méfiance entretenue, il fallait s’engager dans une véritable « politique de confiance » assumant la diversité et voulant répondre ensemble aux problèmes qui minent nos sociétés. C’est là le sens profond de ce « nouveau Nous » qu’il faut façonner et créer et cela ne peut être possible que par l’action locale, à l’échelle d’une ville et de ses différentes localités. A terme, il faudra envisager un mouvement national (visionnaire et concerté) d’initiatives locales mais il est possible de commencer tout de suite à réaliser des progrès au niveau local. On le voit dans beaucoup de villes à travers l’Europe, et Rotterdam, en ce sens, fait office de ville-pilote qui multiplie les expériences et s’engage résolument dans une politique d’ouverture et de confiance donnant naissance à un « nouveau nous », à l’élaboration du « sentiment d’appartenance » à l’échelle locale fondé sur la citoyenneté commune et la diversité assumée comme une richesse.

C’est sur le plan local (ville, municipalités, localités) qu’il faut engager le mouvement. A ce niveau il faut parler de citoyens et de résidents faisant face à des défis communs (éducation, chômage, violence, drogues, etc.) qui les concernent tous et l’avenir de leurs enfants de la même façon. Autour de projets ciblés, autour des écoles, au nom du bon voisinage, il convient de développer des projets qui permettent l’ouverture vers l’autre, une meilleure connaissance puis la confiance. Donner la possibilité aux uns et aux autres, dans le quotidien, d’exprimer la richesse de leur identité et la valeur de leur potentielle contribution (culturelle, artistique, culinaire, sportive, etc.) à l’imaginaire national et à la psychologie collective…cela ne peut se réaliser que modestement, sur le long terme, au niveau local. La bonne nouvelle reste que, loin de nos discours politiciens au niveau national, de vraies dynamiques sont à l’œuvre au niveau du terrain des municipalités comme le prouve Rotterdam et qu’il y a des raisons objectives de rester optimistes et d’entretenir l’espoir d’avenirs meilleurs.

II. L’éducation

Comme nous l’avons dit plus haut, nous avons décidé d’engager une réflexion fondamentale et des actions orientées dans le domaine de l’éducation qui est apparu prioritaire pour le groupe de réflexion qui a accompagné notre engagement depuis le début du processus. Il fallait donc essayer de commencer par établir une sorte d’inventaire – d’état des lieux – de la situation et de dégager les lignes-forces d’un engagement local qui sache tirer parti des réalisations efficaces que l’on trouve déjà sur le terrain et d’en proposer de nouvelles pour l’avenir en gardant à l’esprit les objectifs susmentionnés que nous avons stipulés dans le cadre du projet Citoyenneté, Identité et Sentiment d’appartenance.

Il paraissait important de commencer par lister les anciens et les nouveaux problèmes afin d’avoir une idée plus claire des chantiers sur lesquels il fallait s’engager prioritairement. Ce n’est qu’à partir de là qu’il pouvait être possible de dessiner les contours d’une vision générale et cohérente pour l’avenir. C’est ce que nous avons fait ci-après en déterminant trois axes en rapport à l’éducation. Il importe selon nous de travailler concomitamment dans trois directions : la représentation, la communication et l’action ciblée. Nous reviendrons sur ces différents axes qui nous mèneront à proposer quelques mesures pratiques et concrètes pour améliorer les choses sur le terrain.

Anciens et nouveaux problèmes

Lors de nos différentes rencontres avec les écoles, les enseignants, les parents et les jeunes, nous avons pu établir et circonscrire une série de problèmes dont certains sont très anciens et d’autres plus récents (ou qui ont pu s’aggraver). Sans que cette liste soit exhaustive, elle nous permet néanmoins d’établir des priorités dans le domaine strict de l’éducation dans les écoles et en relation avec ce qui se passe à l’intérieur des familles de la même façon. Ainsi, il importe de considérer de façon critique :

a. Le contenu de ce qui est enseigné dans les cours : il importe que le contenu sur le plan de l’histoire, de la mémoire, et des contributions culturelles soit plus inclusif. L’idée d’une histoire commune des mémoires et importante et une meilleure connaissance factuelle des religions est aussi importante.

b. La formation des enseignants : ils ne connaissaient pas toujours la culture, la religion, voire le parcours de certains de leurs élèves. Cela développe un fossé dans la communication et parfois des représentations négatives.

c. Le profil des enseignants : les enseignants sont souvent d’un univers social et culturel qui ne correspond pas à leurs élèves. Il importe d’avoir des enseignantes et des enseignants qui soient plus représentatifs de la diversité culturelle (et religieuse) du pays. La présence de tels enseignants officialise la reconnaissance et permet une communication plus immédiate, plus en confiance.

d. La communication entre les enseignants et les élèves est aujourd’hui problématique. Le profil des enseignants peut aider mais il importe de donner aux enseignants des moyens, des outils et du temps pour améliorer cette communication au-delà de la simple transmission de connaissance dont ils ont d’abord la charge.

e. La communication entre l’école et les parents est un autre domaine dans lequel il importe d’investir en matière de stratégies innovatrices. Comment atteindre les parents, comme impliquer les pères si souvent absents de ce processus ? Il est important d’ouvrir l’école de façon positive aux parents par des activités qui les en rapprochent.

f. La communication entre les parents et les enfants est aussi un problème tangible dans toutes les familles et notamment entre les premières et les secondes générations issues de l’immigration. La société semble impuissante et on s’arrête à observer un phénomène dont les conséquences sont assez graves. Même si les mamans sont à la maison, elles semblent souvent dépassées par les comportements de leurs enfants

g. La relation entre l’école, l’environnement social et la rue est aussi un chantier qu’il faut explorer. Tout se passe comme si l’école était déconnectée des réalités et qu’il ne s’agissait pas d’un lieu de vie. L’école et l’éducation permanente et populaire ne sont pas vraiment intégrés à la vie de la localité et de la cité et on constate que, comme dans la communication, des fossés se sont créés entre des lieux et des espaces de vie, et ce même au niveau local.

h. La confusion entre les problèmes socio-économiques et les appartenances religieuses et culturelles est aussi une réalité qui entretient des représentations négatives sur les jeunes issus de certains milieux culturels ou professant l’islam par exemple. Les projets locaux et la communication doivent s’intéresser à cette confusion qui joue un rôle même dans l’orientation des enfants durant leur parcours scolaire.

i. Le manque de « modèles » (role models) est aussi un déficit dans le domaine de l’éducation. Les jeunes peuvent être motivés par la mise en avant de modèles de jeunes qui, dans tous les domaines, ont réussi à gravir les échelons sociaux sans avoir eu à se renier ou à cacher leur origine et leur identité.

j. Le manque d’histoires réussies (success stories) est en lien direct avec le point précédent mais l’approche est ici plus globale. Un grand nombre d’activités, de projets locaux et de stratégies pleines de créativité donnent des résultats intéressants mais souvent anonymes. Ces histoires qui réussissent positivement, ces acquis sur le terrain ne sont pas mis en avant et les médias sont malheureusement pleins des échecs, des ruptures voire des catastrophes mais cela ne rend pas compte de la totalité de la réalité.

Cette liste, nous l’avons dit n’est pas exhaustive mais elle nous permet, à partir des discussions que nous avons sur le terrain, de dessiner les grandes du projet à la fois ambitieux et réaliste qu’il nous faut engager sur le terrain. C’est en tenant compte de ces réalités que nous pouvons élaborer une vision à la fois holistique et efficace.

Une Vision

En essayant d’établir la synthèse de tout ce que nous avons entendu et vu, nous pouvons déterminer trois axes sur lesquels il faut concentrer notre attention. Il faut certes, nous l’avons dit, intégrer ce qui se fait déjà sur le terrain, mais il importe aussi de développer une vision globale qui puisse nous permettre d’être innovateurs dans un certain nombre de domaines. Avant d’en venir aux propositions concrètes, il importe que nous précisions le sens et le contenu des trois axes de la vision globale que nous avons pu élaborer tout au long de ces six mois d’activité de terrain :

1. Représentation

Si l’on veut travailler de façon effective sur l’éducation et parvenir à nourrir positivement le sentiment d’appartenance, il importe de travailler sur les représentations et les perceptions qui nourrissent la méfiance, les préjugés et le mal-être. Il s’agit d’analyser ce que l’Etat, les institutions, l’école, les médias disent, officiellement ou non, de « notre société », de ce « nous » auquel on se réfère ensemble sans vraiment le définir. Il s’agit d’établir un discours positif sur soi en tant que société pluraliste, ouverte et dont l’Histoire commune intègre désormais des mémoires diverses et riches. L’éducation et l’instruction d’un enfant ne réussissent que lorsqu’elle/il a une image positive de soi, que l’enfant se voit reconnaître une valeur et qu’il peut avancer en confiance. Cet axe est prioritaire et fondamental.

2. Communication

En établissant la liste des problèmes auxquels nous étions confrontés, il apparaissait clairement que les déficits de communication étaient patents. Tous les observateurs et les acteurs sociaux relèvent un manque de communication entre l’école et les parents, les enseignants et les élèves, les parents et les enfants, l’école et la cité, les autorités et les citoyens, etc. Il faudra prendre la question de la communication et de son organisation temporelle et spatiale très au sérieux. Il s’agit donc de répertorier tous les « fossés » (gaps), tous les ghettos et les ségrégations dans l’ordre de la communication et développer de nouveaux projets permettant aux femmes, aux hommes et aux enfants – tous les citoyens et les résidents – de mieux communiquer, de prendre le temps d’écouter, de s’exprimer et de mieux se connaître.

3. Actions coordonnées et ciblées

La démarche holistique permet à la fois de penser les actions à l’intérieur d’une vision générale mais également en ciblant très spécifiquement un chantier. Il s’agit ici de penser à des actions pratiques, ciblées et efficaces qui soient en cohérence avec une vision et une stratégie globale qui soit cohérente et équilibrée. De nombreuses actions ont déjà cours sur le terrain (et certaines sont intéressantes et très réussies) mais il manque parfois une coordination, une synergie, qui permette de tirer encore davantage de ces réalisations. Il importe que les politiciens, les enseignants et les acteurs de terrain prennent le temps de partager une vision et des objectifs communs au moment où ils engagent dans les activités concrètes. A la lumière des débats que nous avons eus, nous proposons un certain nombre d’activités à penser à la lumière des trois axes que nous avons développés ici.

Mesures pratiques

Comme nous l’avons dit plus haut, les mesures pratiques que nous proposons sont le produit de la vision que nous proposons et qui tourne autour de trois axes. Il s’agit ici d’être capables d’intégrer ce qui déjà se fait de positif sur le terrain, d’y ajouter des initiatives nouvelles et créatrices et d’intégrer le tout dans une stratégie de politique sociale locale. Il est question ici de promouvoir le sentiment d’appartenance, le sens civique, la responsabilisation et l’autonomisation des individus à partir d’une citoyenneté assumée, d’une éthique de la citoyenneté qui refuse la posture victimaire (la mentalité de victime) pour insister sur les devoirs de civisme et de civilité, l’engagement et le service vis-à-vis de la collectivité au moment même où l’on reconnaît les droits légitimes de chacun à être traité égalitairement et sans discrimination. Réaffirmer ce cadre est impératif et nous permet de donner un éclairage plus concret sur les mesures pratiques proposées en fonction des trois axes de la vision dont nous avons parlés :

1. Représentation

a. Développer un discours clair, officiel et positif sur la diversité perçue comme une richesse et une contribution

b. Revoir le contenu des curricula-programmes notamment ceux d’Histoire pour enseigner une Histoire commune intégrant les mémoires des femmes et des hommes, de même que leur expérience de l’exil (souvent économique)

c. Développer des enseignements ou des activités montrant la richesse et la contribution positive des religions et des cultures au niveau international, national et local (arts, littérature, etc.)

d. Inviter des femmes et des hommes de différentes cultures et origines dans les écoles afin d’aller à la rencontre des élèves et ce non pas pour parler directement de leur culture ou religion mais pour parler de leur spécialisation, de leur engagement dans la cité, etc.

2. Communication

a. Améliorer la communication entre les enseignants et les élèves : donner du temps dans la gestion des programmes ou avec des activités extrascolaires à l’intérieur de l’école pour que la communication devienne possible au-delà de l’évaluation du travail strictement scolaire. Faire de l’école, aussi, un lieu de vie.

b. Améliorer la communication entre l’école et les parents : ouvrir les écoles pour des activités pour les parents (en fin d’après-midi, le soir, etc.) Rendre l’espace scolaire accessible et s’appuyer sur la seconde génération afin de mieux aider la première à communiquer, à se faire comprendre (pour les questions de langue, de codes culturels, etc.)

c. S’appuyer de façon plus systématique sur certaines organisations dont l’objectif est de faire le lien entre l’école, l’environnement social et les parents (de Meeuw, Delphi, etc.) De nombreuses expériences existent déjà qui devraient être dupliquées et, parfois, améliorées.

d. Il importe d’être créatif dans le but de pouvoir impliquer les pères dans ces processus. La communication et l’engagement sont particulièrement difficiles avec les pères et il s’agit d’une priorité pour l’avenir. Cela peut être pensé dans le cadre des activités culturelles et sportives, voire par l’enseignement aux parents, mais il apparaît clairement que les projets sont déficitaires sur ce point.

3. Actions coordonnées et ciblées

a. Il est important, sur le plan local d’ouvrir les écoles, au cœur de la cité, pour que celles-ci s’intègrent à la vie de cette dernière. Nous avons pu visiter des expériences intéressantes qui doivent être généralisées.

b. Ouvrir les écoles pour dispenser des cours de langue (néerlandais ou autres) dans l’enceinte des écoles avec, en sus, des activités culturelles et techniques pour la population

c. Il serait bon que les enseignants, avec leurs élèves, organisent des activités de solidarité dans le voisinage de l’école : c’est le meilleur moyen de donner une valeur positive à la présence des élèves au-delà de leur appartenance culturelle. Il s’agit là d’un moyen de valorisation et de reconnaissance naturelle

d. Organiser des jumelages locaux entre des écoles qui n’accueillent pas des élèves de même statut social ni de même bagage culturel. Encourager ainsi plus de rencontres et de mixité sociale

e. Multiplier les initiatives du type Student Mediation Program où des jeunes aident leurs pairs à résoudre des conflits ou des situations difficiles

f. Il serait bon aussi d’ouvrir des voies de communications ou d’activités communes avec des organisations culturelles et/ou religieuses locales afin de permettre de promouvoir la connaissance mutuelle et d’engager des activités autour de la citoyenneté, de l’éducation civique, du sentiment d’appartenance etc.

Rotterdam est une ville très dynamique et beaucoup de projets sont déjà réalisés au niveau local. Comme nous l’avons relevé, ce qui manque parfois tient à la coordination, à la synergie et au dialogue avec les autres acteurs sociaux. Ce qui nous intéresse, dans le cadre de ce projet – dont la première phase est l’éducation – est de promouvoir les initiatives existantes, intéressantes et efficaces et d’en développer de nouvelles à la lumière des trois axes que nous avons déterminés dans le présent document. Il faut insister ici sur les deux premiers axes qui réfèrent à la représentation et à la communication et qui ont un impact psychologique déterminant sur les actrices et les acteurs du corps social. Il faut répéter ici que le sentiment d’appartenance ne se réduit pas à la citoyenneté juridique mais il est nourri par des considérations psychologiques et émotionnelles qu’il ne faut surtout pas sous-estimer dans l’élaboration de notre projet. Cela concerne tous les citoyens et n’est pas seulement lié à ceux que l’on perçoit encore comme des « étrangers ». De nombreux habitants de Rotterdam, des autochtones de longue date, quittent la ville car ils ne se sentent pas « chez eux » tant les choses ont changé : il faut respecter ce sentiment, tenir compte du facteur psychologique et essayer de rompre avec les processus de ségrégation territoriale et sociale. Raison pour laquelle nous devons tous, citoyens, politiciens, journalistes, enseignants, chefs d’entreprises, travailleurs sociaux, étudiants, adolescents, etc. nous sentir impliqués et nous engager, selon notre expertise et nos champs d’intérêts, dans la réalisation de ce projet. Cela commence par questionner nos propres représentations, pour notre capacité à écouter et à communiquer et, enfin, à évaluer notre engagement personnel et concret pour que la cohésion sociale soit possible et le sentiment d’appartenance soit partagé dans le respect et la confiance mutuels.

19 Commentaires

    • « Vous n’aurez que des paroles de bonté pour tous les êtres », le Coran.
      Bien avant Freud, le prophète Mohammed bsl a souligné l’excellence des paroles constructives et incluant toute l’humanité. La Oumma nous offre une certaine quiétude (partage du même Ecrit). En aucun cas, vous n’y trouverez des parfaits mais des individus qui s’engagent à progresser par le devoir d’écouter et d’échanger. Nous ne sommes pas dans un monde idyllique mais ces deux principes énoncés assurent la possibilité d’un vivre ensembles par l’effort (notion d’acteur) de chacun. En celà, la oumma assure la transmission de l’intemporalité du Message au travers d’interdits qui font société. Ne relever qu’un problème n’est pas sérieux. La fidélité, la chasteté, le dépassement des excès, la maitrise de soi, l’ouverture à l’autrui et autres qualités ne s’acquièrent pas en un jour ; chacun aura d’autres points à travailler. Voilà pourquoi fréquenter des croyants est essentiel ! Chacun insuffle un modèle et support au carences de l’autre sans que celà ne soit même conscient (notion de complémentarité dans l’amitié, le couple principalement).
      Une soeur, Salam

    • Félicitations pour votre courage, M. RAMADAN
      Permettez moi de poser un constat (La logique méritocratique bourgeoise induit un hyper-egocentrisme qui se manifeste en fonction des cas soit par une culpabilité d’exclu soit par un orgueil démesuré face à ses succès.) Racisme, communautarismes et xénophobie nous rappelle combien nous avons peu l’occasion de nous connaitre et re-connaitre, communiquer dans la vie quotidienne.
      A quand des espaces communs qui transcendent les frontières sociales et culturelles (hors champs de la consommation)?
      A ce rythme et sur la base de ce fond individualiste contraire à tout sentiment social abouti (entendez : développé et non avorté), nous ne vivons plus dans une société mais dans un grand marché. Ces initiatives sont excellentes mais sans la création de lieu d’échanges collectifs, la tribalisation et la fragilisation des individus devraient tendre à s’accentuer. L’éducation pour le futur. De tels espaces pour la génération des parents du « prêt à consommer ». Sourire Merci pour votre engagement Salam PS : Vous êtes beaucoup critiqué car nous sommes dans une logique du retrait et de la critique. Quand passerons nous à l’ère de la créativité ? Les freins émotionnels et les blocages sont abyssaux et pourtant personne ne veut le reconnaitre. Sarkozy l’a bien compris et en a bien joué. Toutefois ce n’est pas avec une politique d’ultra libéralisme que l’on construit quoique ce soit (excepté une fortune personnelle mais en aucun cas l’avenir et la paix à laquelle tout citoyen aspire). Merci

  1. salam o alaikom

    Il est très intéressant de voir de tels projets plein d’espoir. je pense que c’est peut-être là une vision utopique car il reste facile d’énoncer les pbs,trouver une solution c’est mieux,mettre en oeuvre ces solutions c’est excellent.J’ai une impression de « déjà entendu » mais j’éspère que ces projets seront réalisés activement.Il reste beaucoup à faire et ce travail doit être effectué par tte la population et non une association. Il faut donc une implication à tout les niveaux pour que ce projet tienne sur plusieurs générations. En remerciant tout ceux qui font bouger les choses,je souhaite sincérement bonne chance à M. Ramadan!

    Que Dieu nous aide…

    • Ce n’est pas forcement un signe de bonne santé que de vouloir s’adapter à une société profondément malade.

      J.Krishnamurti

    • Très très belle parole qui montre à quel point l’orientation aujourd’hui que peuvent prendre beaucoup de nos coreligionnaire est révélatrice de l’état de santé de la oumma…

    • Non mais de désirer guérir les maladies reste un devoir pour l’Homme valide.

    • On parle bien des sociétés occidentales non? je comprends pas le « non mais »…

  2. Salam

    Abou Yoûssouf dit de Abou Hanifa : « Il me supporta financièrement ainsi que mes enfants pendant vingt ans. Et si je lui dis : « je n’ai vu plus généreux que toi », il me répondait : « qu’aurais-tu dit si tu avais vu Hammâd, je n’ai vu d’homme réunissant les nobles qualités comme lui » ».

    qu’Allah nous facilite la facilité

    Salam

  3. Salamou ‘alaikoum,

    j’ai eu le même sentiment en lisant cet article.
    J’ai l’impression que vous êtes fort naif M.Ramadan.
    Pensez-vous réellement que les mentalitées vont changer?
    Qui faut-il éduquer finallement??
    Les parents? Les enseignants?
    Les enfants?

    Entre-nous, je me sens pas plus européenne que eux ne me voient!!!

    C’est de l’utopie, un doux rêve dont il vous faudra vous réveiller cher frère!

    Amicalement

    • Salam o ‘alaikom

      je ne suis pas d’accord.J’ai l’impression que votre vision mène à la passivité…il y a beaucoup à faire et Dieu sait ce que l’on peut faire si tous les efforts se réunissent.Ne pas croire à ce projet est une fatalité en soi!L’on ne peut faire changer les mentalités d’un coup de baguette magique,forcément cela prendra beaucoup de temps mais il faut bien établir un programme.Les personne affirmant vouloir faire changer le monde ou du moins le pays en 5 ans et qui se plaignent au bout de leur mandat de ne pas avoir réussit ne peut être que stupide si il n’y a pas de solidarité dans ce projet.Derrière ce projet,il n’y a pas que M.Ramadan..loin de là!!!L’éducation n’est jamais fini,elle reste à faire…

      Amicalement

    • Est-ce être un doux rêveur que d’espérer un changement? Est-ce de l’utopie que de penser qu’un jour il en sera autrement?
      Monsieur Ramadan est donc un doux rêveur et un utopiste mais doublé d’un citoyen conscient et actif car il fait ce qu’il faut pour que cela change!

      Dire que cela va mal, c’est bien! Essayer de faire changer ce qui va mal, c’est mieux!

    • Dieu Aime les patients. Votre position, cher frère, manque d’un élément de poids : la projection ! Que vous soyez las, tout le monde l’est par moment. Le pessimiste doit se taire car il n’est plus dans l’effort mais dans la démission. Et ce principe doit e^tre tenu quelques soient les difficultés vécues. Voilà le devoir du monothéiste, du véritable martyre, oserais-je dire. Salam

  4. Certains d’entre nous sont nés dans l’espace européen et sont devenus fonctionnaires, professeurs, maires, secrétaires d’Etat…dans beaucoup de pays. Malheureusement le discours diffusé à leur encontre a plusieurs années de retard. Des thèmes tels que « l’intégration de nos élèves » ; « l’intégration de nos collègues » montrent à quel point on se leurre ! Les belges nous considèrent encore marocains, turques, congolais…et beaucoup d’entre eux mettent en avant la suprématie du modèle judéo-chrétien, des valeurs occidentales, du mode de vie en Europe…Cette arrogance et cette méconnaissance de l’Autre minent des actions comme celle de Rotterdam. Nous les adultes on est armé de sagesse, certains parleront de ruses !, pour éviter ces pièges destinés aux campagnes électorales. Nos enfants sont et resteront victimes de certaines mentalités incapables de comprendre que le monde évolue, avec ou sans eux.
    Et si on parlait d’intégration des européens dans le monde musulmans…des milliers de personnes qui vivent comme des pachas et profitent à fond de l’accueil et des facilités pour scolariser leurs enfants, développer leurs projets…Certains veulent gagner à domicile et en déplacement. Soyons sportifs.

  5. Je trouve que le sujet ici traité est primordial.Faire un travail de fond dans les quartiers au niveau social est fondamental si l’on veut sortir de cette « ghettoisation ».Une union et une solidarité entre la population,les associations…est indispensable pour mener ces projets à bien et tt le monde doit se sentir concerné!!!!Il faudrait ces mêmes initiatives en France…

    PS:ce nouveau site est très intéréssant,très instructif.

  6. Bonjour,

    Si seulement c’était possible…peu être sur le très long terme ><' Je suis au collège et d'aprés ce que je vois chaque jours, les mœurs que ce soit des éléves comme des professeurs sont pour la plus part en opposition avec de tel "réformes" .Il faudrait reconditionner le libre arbitre de chaqu'un..... Bon courage^^ Au revoir

    • Sortir du mythe bourgeois libèrera l’ego de ses barrières et voiles multiples. Le croyant devrait devancer la racine des maux. A suivre. Salam

  7. salam
    belles perspectives, beau projet, j’espère que vous serez soutenu et écouté
    de plus j’espère pour vous que la municipalité de rotterdam prolongera votre contribution à l’amélioration du vivre ensemble chez elle
    que dieu vous protège

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