De l’universel 1/5

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On entend partout parler de l’universel. Comme si, en ces temps de relativité générale, il fallait rappeler une forme d’absolu, une sorte de référence qui transcende la multitude des points de vue ou, plus indirectement, la perte de références. À l’heure où les concepts fleurissent qui disent la fin des ordres et des systèmes logiques, celle des narrations et des récits cohérents, celle enfin des idéologies de la totalité politique et des finalités humaines ; à l’heure de la postmodernité, du déconstructivisme – inflation de concepts qui font imploser les anciens rapports à la vérité –, voilà que l’universel ne cesse d’être invoqué pour exprimer et qualifier le statut de certaines valeurs et de certains principes. À y regarder de loin, et même d’un peu plus près, il semble que le sentiment de perte de sens et de repères, à l’intérieur, est compensé, à l’extérieur (dans le rapport aux autres civilisations), par une volonté déterminée et forte de dire, de traduire, voire de détenir l’universel. Ainsi, ce que l’expérience postmoderniste nous volerait, relativement à nous-mêmes, la revendication de l’universel nous le rendrait, relativement à autrui. Il est une certaine logique intellectuelle et même psychologique à ces vases communicants : il est ici question de doutes, et toujours de pouvoir.

Sait-on seulement ce que l’on entend par « universel » ? Puisque chacun et tous, comme nous l’avons vu, sommes existentiellement « dans le besoin », en quête de sens, de vérité et de paix, où allons-nous donc inscrire l’universel de l’expérience humaine ? Dans la nature de nos communes questions ou bien plutôt dans les similarités possibles de nos différentes réponses ? Dans les deux ? D’où parle celle ou celui qui voit, définit et dit l’universel ? Ces questions ne sont pas nouvelles et ont été formulées de façon de plus en plus naturelle (et de plus en plus récurrente) dans la philosophie occidentale, avec l’émergence du rationalisme autonome de Descartes et surtout de Spinoza. Il fallait répondre à une question somme toute fondamentale : accède-t-on à l’universel « par le haut » en identifiant un Être, une Essence ou une Idée, cause du Tout, ou s’agit- il d’un processus « par le bas » par lequel la raison humaine identifie des traits communs partagés à travers la diversité des êtres humains et des éléments ? Hegel appelait « universel concret » cette idée d’un Type ou d’un Être idéal qui serait cause ou donnée transcendante des êtres et des choses, par opposition à l’« universel abstrait » qui serait construit à partir d’un exercice de la raison identifiant le genre commun des êtres et des choses. C’est aussi le sens de la distinction qu’opérait Schopenhauer entre l’Idée et le Concept : une distinction d’origine et une différence de nature quant à l’essence même de l’universel. Au cœur même de la philosophie occidentale, comme dans le dialogue entre les civilisations ou les religions, nous ne sommes pas sortis de ce questionnement sur l’origine et la nature de ce dernier. On pourrait avoir l’impression, à la lumière de la simplicité du présent exposé, qu’un Socrate, postulant les Idées, avait opté pour l’universel par le haut, l’universel concret, alors que Kant, décrivant les catégories et les qualités de la raison pure, avait opté pour l’universel abstrait, élaboré par la déduction rationnelle. Or, à l’étude, on s’aperçoit que les choses sont bien plus complexes: Socrate a déduit ce qu’il place pourtant en amont de ce qu’il pense être des inductions, de même que Kant a clairement une idée a priori de ce qu’il pense avoir rigoureusement découvert au terme de ses déductions. Nous sommes au cœur de la complexité et de quelques paradoxes. Il existe néanmoins une vérité simple qu’il faut accueillir avec sagesse: la façon dont on dit accéder à l’universel révèle beaucoup de nos partis pris (voire de notre état d’esprit) à l’origine de notre réflexion. Il faudra s’en souvenir.

Toutes les traditions spirituelles (non théistes) ou religieuses ont pensé, d’une façon ou d’une autre, l’universel. Il s’agit de se référer à un Être, une Idée ou une Voie (universel concret) qui dit, en amont, l’essence de l’expérience humaine. Que l’on croie que la nature soit habitée par une ou des âmes, ou qu’il faille se libérer de l’ego et de l’emprisonnement du retour éternel par une initiation au dépassement de soi, ou encore qu’il importe de reconnaître l’Unique et de pratiquer un rite, cela suppose implicitement, pour chacun, que les vérités et les exigences éthiques et rituelles sont considérées, respectivement, comme universellement vraies. La vérité (en tant que valeur) et le sens pour soi sont logiquement pensés comme la vérité et le sens du Tout. Ce choix de l’universel a priori n’implique néanmoins pas forcément pour les spiritualités et les religions qu’il n’y ait aucune légitimité à construire un universel à partir de l’exercice de la raison, voire qu’il ne puisse exister des convergences entre les deux cheminements. Comme nous le verrons, les deux approches ne sont pas mutuellement exclusives mais cela dépend, encore une fois, des dispositions de l’individu qui s’engage dans cette réflexion et dans cette quête. Il ne s’agit pas simplement, en effet, de déterminer comment l’on conçoit, soi, d’accéder à l’universel, mais également d’être capable d’entendre (sans forcément toujours les comprendre) les raisons de l’universel d’autrui, ce qu’elle/il en dit, d’où elle/il le dit, et apprendre à appréhender les différentes formes de l’universel : l’universel transcendant, l’universel immanent, l’universel intime, l’universel du cœur, l’universel de la raison, voire l’universel nihiliste du vide et du non-sens. La question de l’universel est donc d’abord une question de voies, de sentiers et d’états d’esprit.

1 COMMENTAIRE

  1. Salam…

    en attendant…

    « …certes, du plus érudit des hommes présents etou à venir et, depuis tous temps unis d’un espace en lumière, il n’est pas, ne peut être, seulement à force de voir ou de regarder le ciel la mer et la terre, que l’air l’eau et la matière existent conjuguent et partagent à chacun(e) une somme universelle parmi les/des différences existentielles… »

    …KHassan…Salam…merci…

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