Des larmes

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Combien de fois, au premier détour de ces villes, me suis-je posé la même question ? Combien de fois mes yeux ont-ils croisé ces regards tiraillés. Combien de plaintes, de souffrances et de doutes sont-ils venus rappeler à mon cœur que la vie était une épreuve nourrie par les découragements, les larmes et les séparations. Combien sont-ils chaque jour, qui pleurent leurs insuffisances et l’horizon de leur déroute ? Combien sont-ils, dans cet Occident, de musulmans à l’intimité meurtrie. Qui croient en Dieu et s’en veulent de L’oublier.

Une famille éclatée. Des parents portés par la meilleure des volontés et déchirés pourtant : l’esprit ici, le cœur là-bas. Des revenus souvent modestes et une vie isolée. Animés par cette foi en Dieu si présent dans les cœurs. Parfois dans la pratique, parfois par les mots. Son souvenir toutefois ne sort que rarement des maisons. Dès le seuil de la porte, la mémoire est comme anesthésiée…

Dehors, il y a l’école, le travail et la rue. Il y a les camarades, les collègues, les amis, les amies qui vivent au gré de la vie et à qui l’on a appris à vivre comme ils sentent. Dieu, la morale, le devoir et la pudeur ont déserté le vocabulaire et le quotidien. L’heure est à la liberté et aux plaisirs. Et il y a ce mode de comportement devenu la norme et dont il est si difficile de se démarquer. On finit par s’habiller comme les autres, par vivre à leur rythme, par s’oublier pour les gagner. Au fond du cœur pourtant, quelque chose étouffe, s’agite, crie, se raidit et agit comme une torture : une tension, un malaise, une étincelle d’un lointain souvenir. Dieu ? La foi ? On leur ressemble en apparence, mais l’on sent que l’on se perd en vérité. Comment trouver la paix ?

D’aucuns vivent avec ce mal être, l’évitent, le dissimulent, ou tout simplement le nient. Dans leur vie, dans leurs relations, dans leur travail, ils trouvent la force de supporter la fracture, ou de faire comme si. Ils disent tout assumer, leur foi, leur non-pratique, leurs écarts, leurs oublis… voire leur assimilation. Apparence ou réalité ? Qui sait ? Ils semblent s’accepter, on les accepte.

Pour d’autres, la vie dans les sociétés occidentales prend les allures d’un drame intime et affectif. Le quotidien soumet leur volonté à une implacable lutte : entre une foi qui veille et des désirs qui voilent. Entre un cœur qui est mémoire et l’instinct qui est oubli. Ils cherchent, se perdent, se retrouvent ; prient aujourd’hui, négligeant tout demain… parlent de vérité, vivent de mensonges… espèrent et désespèrent… Ils peuvent avoir un métier, être au chômage, être mères au foyer, être étudiants ou marginaux, ou délinquants, ou toxicomanes : ils se sentent mal et s’isolent. Parfois, ils s’approchent des musulmans pour être entourés : ils cherchent des frères, des sœurs… Ils trouvent des juges, trop souvent.

Combien de ces destins sur ma route. Combien d’invocations à Dieu pour faire fleurir cette sérénité, de cette paix. Tous les jours, à tous les instants. Pour Omar et Fatima, pour Ammar, Nordine, Ahlène ou Karima… pour qu’ils trouvent leurs réponses, leur chemin. Pour que soit allégé leur fardeau.

14 Commentaires

  1. Salaamun wa rahmatullaah, wa barakaatuhu,
    C’est tellement vrai ce que vous décrivez sur ce que peut être la vie « hystérique » d’un croyant dans un environnement de non-croyants. Pour ces derniers, la foi n’est que délires évidemment.
    Pour un Occidental lambda, toutes les occupations, les discussions, tous les centres d’intérêts tournent principalement autour de cette vie-ci, matérielle, et de ses plaisirs. Les relations entre les gens (amitiés, alliances, rapports de forces etc) se tissent pour mieux développer tout cela. Religion (ou spiritualité) est secondaire, pas utile, pas nécessaire… futile ! La phrase qui revient sur les lèvres de tant de jeunes est celle-ci : « la religion ? je n’en ai pas besoin ! »
    Pour le croyant, l’obsession de cette vie ici-bas n’est que délires.
    Cependant, il existerait un terrain d’entente entre croyants et non-croyants : c’est le respect de chacun. Que chacun respecte ce qu’il perçoit chez l’autre comme un excès ou de la folie. D’un autre côté, penser à améliorer le quotidien de chacun (dans cette vie-ci, bien entendu) est aussi un dénominateur commun. Rien n’empêche en effet croyants et non-croyants de travailler ensemble, pour des causes communes, même si les finalités ne sont pas les mêmes (le croyant vise en plus une meilleure rétribution dans la vie d’après, alors que le non-croyant n’espère rien d’une « hypothétique » ou impossible vie d’après et mise tout sur cette vie-ci).
    Je voudrais aussi transposer ce sujet dans le cas de pays à majorité musulmane. L’hystérie d’un (vrai) croyant y est décuplée, voire centuplée… l’islam n’y est en général que pratiques de façade, alors que les occupations, les intérêts, les motivations des gens tournent essentiellement autour de cette vie-ci. Un Musulman lambda se retrouve noyé, perdu dans cette vie-ci avec toutes ses formes d’excès possibles et imaginables, au détriment de l’autre vie. L’imam du quartier qui donne des conseils misogynes aux bons chefs de famille, les violences contre les femmes, la maltraitance des enfants, et tous ces comportements vils que les Musulmans font insidieusement passer par la pilule de « c’est l’islam qui m’en donne le droit » (en s’appuyant sur des hadiths douteux, ou en mal-interprétant des versets, ou encore juste comme ça, en parachutant une loi qu’on assimile à une loi islamique…) et par dessus le marché la corruption à tous les niveaux…
    La résistance d’un croyant où qu’il soit est une résistance des plus difficiles. C’est tout à son honneur quoi qu’on en dise.

    Baarakallaahu fiika, Pr. Ramadan !

    • As Salam aleykoum
      L’argumentaire développé exprime de façon concise mon opinion. Surtout lorsque vous évoquiez le cas des pays à prédominance musulmane et ces « pratiques de façade » qui s’y retrouvent. La peine est sans doute grande de constater que notre communauté vit de plus en plus dans l’apparence de l’acte réligieux et l’absence de toute profondeur spirituelle.
      Vivre avec la foi est sans doute une dure épreuve, comme cela est rapporté dans le hadith du compagnon qui voulait mourir dans le djihad pour ALLAH. La vie en conscience de Dieu est un djihad de tous les jours.
      Alors qu’ALLAH nous assiste et qu’Il ne nous laisse pas à nous même l’espace d’un clin d’œil.

  2. Bonsoir,
    Oui Monsieur Ramadan c’est difficile, et même très difficile quelquefois. Ce qui me gêne le plus personnellement, c’est le fait de devoir me justifier en permanence quand je refuse de boire de l’alcool à table ou de manger du porc. C’est usant à force !
    Par ailleurs, je trouve que la femme musulmane doit gérer une difficulté supplémentaire dans cet occident chaotique : c’est très dur pour une femme qui a une sensibilité orientale et qui porte en elle la foi de l’Islam de vivre son intimité en occident (c’est un avis personnel qui n’engage que moi). Un homme occidental, même enclin à être pieux et croyant, sera trop matérialiste pour elle (il a été élevé ainsi), et un homme oriental (même vivant en occident) est trop souvent colonisé par un schéma patriarcal enraciné en lui hélas malgré une foi et une pratique religieuse qui peuvent être exemplaires (je dis les choses comme je les ressens mais surtout sans généraliser) et cela, il faut pouvoir le supporter dans la vie de tous les jours…J’invite donc mes sœurs en Islam à bien peser le pour et le contre, autant que faire se peut, avant de s’engager pour la vie avec qui que ce soit dans cet occident plein de surprises et de contradictions.
    Mes amitiés et mes prières à vous toutes.

    • Assalam alaikum.
      Je suis complètement d’accord avec votre avis! Je viens d’une communauté africaine(Afrique centrale), je peux vous dire que les femmes rencontrent de ma communauté se heurtent à cet Islam « mal compris » de la part des hommes. Entre subir des contraintes des mariages officieuses « islmaique ( halal) », ma polygamie désordonnée et les conflits liées à la notion de responsabilité… et la vie occidentale et ses normes, le mariage est devenue source de malheur plus qu’autre chose. Malheureusement, notre nouvelle génération nés en Europe souffrent et accuse l’islam d’être la source de leurs malheurs. Ils grandissent en se détournant de la religion . Et fini part « intégrer » à la façon péjorative du terme, en délaissant les parents et finissent par de perdre dans les méandres de la vie  » de consommation ou de la liberté »

    • Salam mon frère,

      ça me touche énormément ce que vous dites sur la femme orientale musulmane et ce qu’elle peut ressentir dans l’occident. Moi je suis en occident et je partage à 100 % avec vous le même avis surtout que je le vis.

      Vos mots me vont droit au coeur

  3. Des larmes oui…

    Combien de fois je me pose les mêmes questions en voyant aussi tant de choses qui se passent à chaque coin de la rue.. …dans chaque regard,.. dans chaque mot..dans chaque écrit…dans une simple promesse…
    Parce que l’Islam m’apporte paix et réconfort……combien de fois je me suis approchée de muslumans….j’ai cherché quelqu’un qui me tende la main… un frère …une soeur….une épaule…
    Je pensais qu’ils allaient m’aider à trouver la paix…..mon chemin….m’apprendre.
    Certains l’ont fait…et d’autres….non.

    Combien de fois..parce que je pensais qu’ils étaient musulmans…qu’ils avaient la foi et le savoir, ….combien de fois..,,j’ai tendu ma main.,,,sans réponses,,,,. pour rien.
    Ou peut être, en réfléchissant….. j’ai appris que nul est parfait, que nul est semblable à Son image….et que ce chemin, je dois le parcourir seule…avec ma foi, mon coeur, et ma raison, et ne pas perdre confiance en Lui.

    Et comme vous dîtes Monsieur Ramadan  » Le quotidien soumet leur volonté à une implacable lutte : entre une foi qui veille et des désirs qui voilent. Entre un cœur qui est mémoire et l’instinct qui est oubli. Ils cherchent, se perdent, se retrouvent ; prient aujourd’hui, négligeant tout demain… parlent de vérité, vivent de mensonges… espèrent et désespèrent… »

    Faut il leur en vouloir? ..je ne crois pas… ce ne sont que des hommes, des femmes..perdus…la vie n’est pas facile..tout est si difficile..

    Oui,,,que de larmes… Des larmes pour toutes ces questions sans réponses.
    L’Islam…une belle religion si seulement beaucoup de musulmans respectaient Sa parole, et leurs paroles…
    Grace à Dieu…ils ne sont pas tous comme ça..

    Dans vos invocations à Dieu .. pour faire fleurir cette sérénité, et cette paix.… pour qu’ils trouvent leurs réponses, leur chemin, pour que soit allégé leur fardeau, n’oubliez pas les personnes comme moi, qui cherchent une main, sincère, pour être guidées… sans être lachées….n’oubliez pas une prière.. pour alléger aussi notre fardeau…et continuer à avancer…peu importe le prénom, Omar, Fatima, Ammar, Nordine, Ahlène ou Karima…..le mien…est tout simplement…Angélina.

    Merci pour ce beau récit..plein de larmes….., comme moi.

    Salam

    • Salam,

      Je cherche autant que vous une main pour marcher ensembles sur le même chemin, pour être comprise et acceptée et surtout rassurée dans les moments de doutes et d’hésitations.

      En tant que musulmans on est sensés vivre en communauté et jamais isolés, malheureusement peu de musulmans le comprennent et sont plutôt concentrés à gagner les coeurs des non coyants ou de juger leurs semblables de leurs tendre la main.

      C’est une triste réalité.

  4. Salam ou haleikoum mon frère ! Merci pour votre présence ! Je connais très bien ce que vous décrivez , ce déchirement qui m’ a très souvent handicapé … Je remerci Allah (rj) de vous avoir mis sur mon chemin….. Pardon aussi de vous avoir appeller au téléphone il y a à plus de 15 ans pour vous posez une question déplacée … qui était le fruit d’un déchirement profond … Je vous aime en Dieu !

  5. La tristesse de vos paroles est à l’image de ses gouttes de pluie qui obstruent la vue, monsieur Tarik Ramadan. Ce qui est au delà, n’est-il pas exceptionnel ??? A mon humble avis, au regard de l’Histoire, les musulmans ont émergé, ont secoués le joug du colonialisme, ils parlent, ils lisent, ils travaillent, ils construisent. Hier, nos aïeuls étaient des « déchets », nos pères des « indigènes », il fallait les exterminer…. Aujourd’hui, elhamdou li Allah, malgré tout, les uns et les autres sont animés par la volonté d’exister, la soif de savoir, l’envie de bâtir. N’y a-t-il pas là des raisons de se réjouir ?
    Pourtant, au regard de l’actualité désastreuse dans nos pays, j’ai cette crainte qu’ Allah remplace notre Oumma par une autre car nous ne faisons pas suffisamment pour celles et ceux qui subissent la répression, c’est là une grande crainte ! Voyez-vous, c’est très difficile d’être dans la quiétude aujourd’hui, car la Oumma islamya n’a jamais connu de répit depuis si longtemps, seulement des éclaircies, si brèves mon Dieu, qu’elles semblent illusions. Que faire ? que dire ? Sinon continuer à être musulman comme vous l’expliquez si bien dans vos vidéos; merci wa el Hamdou li Allah.
    Fatiha

  6. Félicitations M. Ramadan, on aura rarement déployé autant de délicatesse, employé une si belle plume à essayer de nous convaincre que l’Occident c’est l’enfer sur Terre, que les musulmans (tous les musulmans) y sont systématiquement maltraités, opprimés, que toute tentative d’assimilation est vouée à l’échec et qu’il est de toute façon condamnable d’essayer d’adapter les us et coutumes de ces pays.

  7. Salem

    barakAllah oufikoum de contribuer sur tous les fronts au bien être des citoyens français de confession musulmane : pensée intellectuelle sur la réforme de l’islam, soutien des causes des plus démunis, transmission des sens spirituels de la pratique de l’islam contrairement à une compréhension rigoriste mécanique du halel et harem, présence médiatique pour répondre auX détracteurs de l’islam. C’est la religion française qui ne cesse d’être bafouée malgré sa présence depuis des décennies et sa haute valeur ajoutée de par
    l’engagement et la diversité ethnique de ses composantes.
    Quelle belle religion que l’islam dans toute sa philosophie du juste milieu et de l’équilibre entre le corps et l’âme, entre la vie matérielle et la vie spirituelle.
    Quel bonheur de vivre cet état intérieur d’apaisement malgré tous les obstacles et les difficultés posées par l’Homme et/ou décrétées par Dieu.
    C’est un combat de chaque jour de chaque instant pour atteindre et garder cet état d’apaisement intérieur.

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