Émotion et spiritualité 1/5

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On nous a volé la poésie, et beaucoup d’imagination. Nous pensions que les émotions venaient de l’intérieur de notre être, de notre cœur, de nos entrailles. Elles semblaient exprimer nos sentiments, notre nature, notre spontanéité et donc notre sincérité : mes émotions sont ma liberté ; je suis ce que disent de moi mes émotions. Or, la réalité est bien moins romantique. Les études contemporaines sur le fonctionnement du cerveau humain nous donnent une tout autre idée de la « production » des émotions et de leur «nature». Le vocabulaire utilisé par les spécialistes des neurosciences est troublant : dans la nouvelle géographie du cerveau, il n’est point question d’un paysage offrant libre cours à notre for intérieur et à notre imaginaire, mais bien plutôt d’une sorte de gare, ou même d’un camp militaire, où tous les mouvements sont minutieusement réglés et répondent à une hiérarchie bien déterminée. Il y a d’abord des signaux émis par nos sens et envoyés vers le thalamus qui va analyser le contenu des informations reçues. Celles-ci sont ensuite diffusées dans les aires du néocortex (qu’on appelle parfois le « cerveau pensant ») où elles sont enregistrées et triées avant que se prennent les décisions. Les données qui ont trait aux émotions sont dirigées vers le cerveau limbique et l’amygdale (au sommet du tronc cérébral) qui va réagir selon la nature des informations reçues et «produire de l’émotion» : elle déclenche la sécrétion d’hormones, stimule le système cardiovasculaire, mobilise les centres responsables du mouvement, etc. L’amygdale est le « siège de l’émotion » et elle diffuse des signaux dans l’ensemble du cerveau : avec la sécrétion de la norépinéphrine, la réactivité du cerveau est augmentée et les sens aiguisés. Les informations émises au tronc cérébral vont accélérer le rythme cardiaque, élever la tension, ralentir la respiration et produire les expressions du visage (joie, frayeur, etc.). Le neurologue américain Joseph LeDoux a découvert, il n’y a pas si longtemps, qu’il existe un faisceau de neurones qui ne passe pas par le néocortex mais relie directement le thalamus à l’amygdale. Un certain nombre de signaux produisant des réactions émotives ne passent donc pas par le centre du « cerveau pensant », mais empruntent une voie plus courte, par l’intermédiaire d’une seule synapse, vers l’amygdale qui va déclencher des réactions immédiates. « Le système qui gouverne les émotions peut agir indépendamment du néocortex », affirme LeDoux, pour expliquer comment nos émotions prennent parfois le dessus sur notre raison et nous entraînent à réagir de façon incontrôlée, exagérée ou apparemment complètement folle. Nous sommes alors sous « le pouvoir de l’émotion » car notre néocortex a été pris de court, son pouvoir court-circuité par la réactivité immédiate de l’amygdale.

Il s’agit bien d’un vocabulaire de camp militaire où toutes les instances sont soumises à un ordre et à des directives et où les centres d’information et de pouvoir peuvent perdre la maîtrise du système entier quand certains signaux – informations – ne passent plus par le chef du bureau exécutif, le néocortex, le cerveau pensant. Nos émotions ne sont donc que des réactions physiques produites par des signaux, des stimuli et des sécrétions d’hormones dont l’intensité dépend de la voie que le faisceau de neurones a empruntée pour parvenir au cerveau limbique. Où sont donc passés les élans de notre cœur et la profondeur de notre sincérité si visibles par la manifestation de notre joie ou le flot continu de nos larmes, la beauté de notre émotion spontanée et libre ? Tout cela ne serait donc que neurones, synapses et hormones dans un cerveau où l’administration vit de profondes tensions et où deux instances se disputent le pouvoir. Le néocortex tient à gérer l’information et à permettre au sujet de maîtriser la réaction aux signaux reçus par les sens alors que l’amygdale produit des sécrétions immédiates qui peuvent prendre possession du cerveau et lui faire perdre le contrôle de la situation. Le psychologue américain Daniel Goleman parle même de « coup d’État émotionnel » pour expliquer ce renversement de l’autorité, ce bouleversement total des rapports de force, que représente la prise de pouvoir de l’amygdale sur la plus grande part du cerveau. Le sujet perd la maîtrise de soi et se retrouve sous l’emprise totale de ses émotions : il ne décide plus de rien, les émotions ont raison de sa raison et de son pouvoir de décision. Un véritable «coup d’État» au sein du camp militaire dont la fonction était pourtant de maintenir un ordre rigoureux à l’intérieur afin de prévenir les assauts pouvant provenir de l’extérieur. Voilà que le potentiel ennemi, le réel danger, provient du système lui-même et des conflits d’autorité qui s’expriment en son sein.

Nous sommes bien loin de la poésie des émotions et des élans spontanés de l’imagination libre. Les neurosciences nous ont donc volé et la poésie et la liberté. Nos émotions sont d’abord le produit de signaux et de stimuli et dans l’amygdale, qui en est le siège, il est toujours question de luttes d’influence et de tensions. Selon l’intensité des signaux qui sont véhiculés par les faisceaux neuronaux respectifs, on assiste même à des révolutions de palais, et l’individu est alors l’esclave de ses affects. La neurologie nous renseigne sur des caractéristiques physiologiques qui sont des plus intéressantes sur les plans psychologique et philosophique : l’émotion est le résultat d’une relation, parfois maîtrisée, parfois tout à fait conflictuelle, entre le siège de la pensée et celui de l’affectivité et c’est la vitesse, l’immédiateté de la réactivité qui permettent son expression la plus vive et la plus intense. Tension, réactivité, intensité, immédiateté, voilà quelques-unes des caractéristiques de l’émotion : on a gagné en connaissance objective ce que l’on a perdu en poésie et il faut en tirer le meilleur parti. Le paradoxe et l’illusion des affects tiennent au fait que nous croyons exprimer par eux, en toute liberté, la spontanéité de notre être alors que la neurologie nous rappelle qu’il s’agit exactement du contraire : les émotions, de basse ou de grande intensité, résultent toujours d’une réactivité dont le contrôle est limité (ou totalement absent) et qui détermine les modalités de notre agir à l’instant précis où nous ne sommes justement pas libres.

12 Commentaires

  1. Salâm,

    S’il vous plaît, mentionnez des études neurologiques non univoques et contradictoires. Vous faites un usage quelque peu essentialisant de cette science sans développer une approche critique des conditions concrètes de la réalisation des travaux mentionnés. Vous évacuez totalement de la notion de « plasticité cérébrale » par exemple. Quoi qu’il en soit, votre démarche est l’illustration de la dimension jamais totalement objective d’une science, fusse t’elle « dure », qui s’articule à son temps et à l’idéologie auquel adhère un locuteur.

  2. Certes, on ne peut ignorer les neuro-sciences. Surtout en matière d’avancées dans les thérapeutiques. De là à y voir la fin de la poésie et de l’imagination… Je doute que les neurosciences puissent expliquer la poésie et la créativité de Victor Hugo ou celle de Mahmoud Darwish.
    Et comment ignorer le rôle constructif des émotions dans la construction des personnes? Quel très jeune élève pourrait-il apprendre sans être soutenu par le plaisir et l’affectivité?
    Etonnée de votre point de vue.
    Même s’il faut avoir conscience des emportements de la raison dans des situations extrêmes, comme on peut le voir dans le contexte actuel, il ne me semble pas qu’une raison dite « scientifique » doive ôter de la poésie à la vie…Heureusement que nous sommes sensibles à la beauté du monde, à la présence d’autrui… Sinon, pourquoi s’engager dans la défense de la nature ou dans celle d’un peuple? Par pure rationalité? Sans sensibilité?
    J’écoutais une émission où l’on parlait de la pensée de l’économiste assassiné, Bernard Maris. Heureusement, il existe des personnes comme lui qui résistent (oui, je parle au présent) au poids de la « science », à celui des « moyennes » et de la statistique, et pose à nouveau la question de la valeur…

    F

  3. Il te questionneront sur l’ âme dit leurs qu’elle est régie par mon créateur..les atomes..a thariyates..thara .atome..alors on est que molécules. Interactions..cet force qui lie les hommes et femmes est beaucoup plus secrète et sage..

  4. Salam

    mon commentaire n’a pas été publié, peut-être n’a t-il pas été compris, il s’agissait de questionner l’utilisation d’un dessin avec une voyante et non le contenu du dessin.

    La voyance en islam étant interdite , même si l’intention de mettre le dessin n’était surement pas de promouvoir ce mal, l’utilisation d’un tel dessin posait problème.

    merci

  5. Bonjour,
    La biochimie et la physiologie des émotions nous enseignent que nos ressentis sont issus de mécanismes complexes parfois en accord avec la réalité, parfois en désaccord jusqu’à la contradiction. Un mécanisme soumis aussi aux dysfonctionnements.
    Pourtant, cette mécanique n’est pas pour autant réductrice, car au delà de cela, nous avons une conscience, Conscience que les chercheurs tentent désespéramment de localiser dans le marasme neuronal. C’est cette conscience qui nous permet , je pense, de valider ou non les émotions en interaction constante avec notre monde intérieur ou extérieur. Et c’est en développant cette conscience que l’on sera plus à même d’identifier l’honnêteté de cette émotion, non pas alors issus de nos motivations inconscientes ou autres perturbateurs psychologiques ou physiologiques, mais comme émanant d’une profondeur et d’une sincérité authentique et en parfaite adéquation avec la réalité, voilà la belle émotion, celle qui nous pousse à surpasser nos travers, celle qui nous transcende et qui au final met en lumière ce qui nous définit comme des Êtres merveilleux ou la poésie trouve toute sa noblesse.

  6. Article intéressant, il met en lumière le problème de la liberté humaine :la liberté est elle une illusion?
    Cela dit si l’apport des neurosciences est essentielle pour mieux comprendre le fonctionnement mentale de l être humain. N’oublions pas que les neuroscientifiques peuvent être influencés par une philosophie matérialiste. D autres expériences ont démontré le pouvoir de la méditation et de la prière sur la chimie du cerveau, ce qui peut nous amener à penser qu’il existe autre chose qui contrôle les connexions neuronales ( une substance immatérielle?)
    La compréhension du fonctionnement du cerveau est un défi excitant.

  7. Tel que je le vois, les neurosciences ne volent qu’à elles-mêmes. Une vraie science n’exclut rien. Les scientifiques parfois me font penser à des incroyants qui décortiquent le cerveau pour (se)convaincre que Dieu ne s’y trouverait pas. Surtout depuis qu’ils ont imaginé que l’infiniment petit ferait penser à l’infiniment grand.
    L’être humain s’arrange très bien d’absurdités que la science ne saurait accepter. La foi, l’amour, et la poésie, vivent de contradictions que la science ne saurait supporter.
    Maintenant, est-ce bien une science, celle qui nie une partie de l’évidence pour mieux s’imposer?
    Réduire pour mieux décrire?
    Nous savons tous que nous portons en nous une infinité qu’aucune science finie ne pourra appréhender.

  8. J’aime à penser qu’il y a trois centres de contrôle chez l’humain.Imaginons un véhicule terrestre , le corps pour chacun de nous.Sur son siège un seul passager discret observateur que j’appellerais « conscience » qui est la source de toute intention émise durant ce voyage et qui choisit la direction à prendre selon ses valeurs: « ce qui est important, ce qu’il aime, qui peut varier d’un individu à l’autre . Sa joie, son bonheur vient de cela qu’il réalise son intention.Ses commandes sont envoyées au « pilote » de ce véhicule, le cortex ayant pour tâche de rassembler et d’analyser toute information pertinente et veiller à l’exécution des intentions du passager-ci dessus et prendre des décisions dites rationnelles. Ce centre traite les données logiquement. Il fait des distinctions, la différence. Quand il réussit il est satisfait du travail bien fait. Mais ce véhicule sophistiqué , le corps doit survivre dans cet environnement terrestre et s’y adapter. Il puise dans l’environnement et métabolise toute les sources d’énergie dont il a besoin Aliments, eau, air, lumière.
    Pour cela il est équipé de senseurs cutanés ( température, pression, position, douleur), gustatifs (sucré, salé, acide, amer) Il reçoit de l’environnement qu’il explore de l’information en continu sous formes d’ondes captées par des senseurs visuels et auditifs.Ces signaux sont envoyés en priorité au « copilote » du véhicule centre de contrôle appelé « thalamus » en relation avec l’hippocampe siège de la mémoire des expériences passées.
    Ce centre analyse l’information de manière analogique, il compare les semblables Extrêmement réactif toute ressemblance avec un danger mémorisé va déclencher immédiatement une réaction neuro-hormonale appelée émotion et un comportement conditonné.

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