Entre l’ « Occident » et l’ « Islam » : se rencontrer au-delà de l’essentialisme

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Depuis plusieurs années, et particulièrement depuis les attentats du 11 septembre, on entend en Occident que la paix dépendra grandement des résultats de la confrontation qui se déroule à l’intérieur de l’islam entre les extrémistes et les modérés. La fracture décisive ne serait au fond pas entre l’Islam et l’Occident, mais à l’intérieur même de l’univers islamique. L’Occident, prioritairement obligé de se protéger de la terreur, serait au fond plus spectateur que réel acteur de cette « lutte pour l’âme de l’islam ». La proposition est pertinente mais très insuffisante : il est vrai que le monde musulman est en crise mais minimiser le rôle de l’Occident vis-à-vis de l’univers islamique et de l’ordre international est dangereux. Face à notre avenir commun, les responsabilités sont et demeureront partagées. Les musulmans doivent se rendre compte que quelque chose a fondamentalement changé dans le monde de l’après 11 septembre. Ce dernier a marqué un tournant et une accélération. Après avoir constaté leur incapacité à frapper les gouvernements locaux, les islamistes radicaux ont décidé, selon les propos même d’Ayman az-Zawahri, de s’attaquer directement à l’Occident et de tenter une déstabilisation plus globale. Depuis, les actes terroristes et violents se multiplient à un rythme accéléré. New York, Bali, Moscou, Madrid puis ces derniers jours l’inacceptable prise d’otages en Ossétie, sans compter le conflit Israélo-palestinien, l’Afghanistan, la Tchétchénie, l’Irak… Partout on parle d’islam et toujours des musulmans revendiquent les pires actions au nom de leur foi. Les musulmans doivent faire face à leurs responsabilités. D’aucuns en ont pris conscience mais leur seule réponse est malheureusement de disparaître, de s’isoler, voire de sombrer dans la victimisation : « L’Occident n’aime pas l’islam et rejette les musulmans ». On entend souvent ce type de réactions craintives, sur la défensive, propres à justifier les théories du complot, la passivité ou l’absence d’autocritique. C’est la plus mauvaise des attitudes car elle rejette sur l’autre, « l’Occident », les déficiences intrinsèques du monde musulman. Il faut au contraire commencer par reconnaître que le monde islamique traverse une crise profonde dont les principaux responsables sont les musulmans eux-mêmes. Au lieu d’affirmer que le conflit Israélo-palestinien est la cause de tous nos maux, peut-être devrait-on reconnaître qu’il en est en fait la conséquence. Les musulmans, en Orient ou en Occident, doivent commencer à porter un regard très critique sur eux-mêmes. Ils reconnaissent qu’il existe différents courants de l’islam (littéralistes, traditionalistes, réformistes, soufis, strictement politisés, etc.) mais ils savent que le dialogue intracommunautaire est totalement absent des sociétés islamiques. A cause de cette absence de concertation, peu nombreux sont ceux qui osent tracer une ligne claire et dire que les attaques terroristes, le meurtre des innocents, les prises d’otages sont à condamner sans condition et sont contraires aux principes de l’islam de même qu’ils se doivent de critiquer la discrimination des femmes et l’absence de liberté politique. Non seulement l’Occident a besoin d’entendre ces voix mais ce sont d’abord les musulmans du monde qui ont un urgent besoin de savoir que leur religion est ainsi trahie. Il est également urgent de cesser d’alimenter des visions manichéennes quant aux réalités politiques. L’idée que la démocratie serait « occidentale » et que les régimes autocratiques seraient les seuls « islamiques » est erronée. Il appartient aux musulmans de d’affirmer que les principes d’Etat de droit, de citoyenneté égalitaire, de suffrage universel, d’alternance politique ne sont pas en contradiction avec l’islam et qu’ils doivent être promus dans les sociétés majoritairement musulmanes où vivent des juifs, des chrétiens, des hindous, des agnostiques, des athées, etc. Certes, chaque société, en respectant sa mémoire, sa culture, sa psychologie collective, doit pouvoir façonner son propre modèle de démocratie mais cela ne peut vouloir dire que l’on accepte des compromissions quant aux quatre principes susmentionnés. Pour ce faire, il faut que la société civile des pays arabo-musulmans se réveillent, qu’elle se prenne en charge et qu’elle propose de nouvelles alternatives politiques. Certes cela est difficile sous les dictatures, mais de l’Amérique du Sud à l’Afrique et à l’Asie, on a vu quantité de peuple faire preuve, dans la résistance, d’un engagement et d’une créativité politiques qui leur ont permis de se libérer des régimes militaires ou autocratiques. Refuser la violence, promouvoir une éducation populaire, éveiller la conscience citoyenne, ouvrir des poches de démocratie participative locale sont autant de d’alternatives à proposer. Depuis les Etats-Unis, la machine de « guerre contre le terrorisme » a été lancée et le monde musulman comme la majorité des Européens (de même qu’un pan entier de la population américaine) ne perçoivent pas la cohérence cette politique. La guerre contre l’Afghanistan (qui n’est pas terminée), l’invasion de l’Irak et les politiques sécuritaires qui s’appliquent en respectant de moins en moins le droit et les libertés civiles des citoyens sont des signes alarmants : les Etats occidentaux semblent gérer la guerre et non construire la paix. L’idée que l’Europe doive se distancier ou s’opposer aux Etats-Unis est à la fois irréaliste et non pertinente : ce qu’il faut espérer aujourd’hui est un engagement européen nouveau sur la scène internationale. Au lieu de se satisfaire de la critique facile de l’ « hyperpuissance américaine », il est urgent que l’Union européenne propose des alternatives à l’unilatéralisme de l’administration Bush. Dans les faits, il s’agit de revoir ses relations avec les régimes dictatoriaux et d’exiger des garanties tangibles de démocratisation, de mettre un poids plus important quant à un traitement plus équitable dans le conflit israélo-palestinien et enfin de penser une politique de proximité avec les pays du pourtour méditerranéen et non pas se suffire de la seule gestion de l’immigration et de la sécurité du continent. L’autocritique de l’Occident est aussi impérative. De dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est de créer des ponts et des espaces de confiance entre le monde occidental et le monde islamique. Nous avons besoin d’un dialogue critique et profond qui dépasse les représentations simplistes et les préjugés. Paradoxalement, c’est en Occident que la rencontre est possible et que ces défis peuvent être relevés. Les Occidentaux musulmans, fidèles aux principes de leur religion, vivant dans les pays démocratiques, participant aux débats intellectuels et politiques, peuvent jouer un rôle conséquent dans l’échange et le renouvellement de la pensée islamique quant aux défis contemporains. Encore faudra-t-il que leurs concitoyens dépassent leurs peurs et aillent au-delà de la suspicion entretenue à l’égard des musulmans pour s’engager dans un dialogue et un partenariat critiques et sans fausse complaisance. Nous avons tous besoin de nous libérer de nos ghettos intellectuels parce que la guerre contre le terrorisme et les politiques sécuritaires vont avoir des conséquences sur tous les citoyens occidentaux, musulmans ou non : sur les champs de bataille, comme cibles des attaques, à travers les politiques liberticides de surveillance que nous voyons s’appliquer partout. La peur s’installe et les droits fondamentaux sont peu à peu remis en cause. Je viens de vivre une expérience qui symbolise à merveille cet état de fait. Je devais enseigner dès l’automne à l’Université de Notre Dame. J’avais obtenu mon visa puis soudain, à 9 jours, de mon départ celui-ci a été révoqué. Sans explication. Moi qui depuis des années n’ai cessé de condamner le terrorisme et de me battre pour le dialogue, je me suis retrouvé en face de soupçons et d’allégations, jamais prouvées. J’ai autant critiqué les errances du monde islamique que les excès guerrier de la politique américaine mais de la part d’un intellectuel musulman la seule critique de cette dernière le rend douteux et dangereux. La vraie loyauté vis-à-vis de l’Occident semble ne pouvoir être prouvée que par un soutien aveugle et inconditionnelle aux choix des Etats. Ce n’est pourtant pas les qualités souhaitées chez un citoyen consciencieux et engagés. Bannis des Etats-Unis avec comme seule justification le soupçon, l’administration envoie aux communautés musulmanes d’Occident et au monde islamique en général le dangereux message que tous les musulmans sont suspectés, qu’au-delà de chaque pratiquant se cache un « potentiel extrémiste ». Avec qui était-on donc prêt à parler aux Etats-Unis ? Il est un autre message, plus essentiel peut-être et qu’ont compris les universitaires américains qui réagissent fortement depuis des semaines contre la décision de l’administration : la liberté de travailler et de s’exprimer est niée à un intellectuel musulman a des conséquences sur tous les professeurs dans l’exercice de leur fonction. C’est la liberté académique de tous qui est en danger. Si les musulmans, au nom de la guerre contre le terrorisme, perdent leurs droits dans les sociétés démocratiques, alors tout le monde y perdra. Plus que jamais, nous devons nous parler et agir ensemble, citoyens de toutes les confessions (ou sans confession), contre le terrorisme, les peurs et les caricatures au nom de nos valeurs et de notre avenir communs.

1 COMMENTAIRE

  1. Que dire après votre touchant témoignage et votre pertinence (qui manifestement fait peur plus qu’autre chose) si ce n’est : BRAVO!!!
    Continuez à ne vous soumettre ni aux exces des gouvernements occidentaux ni aux dictatures mais à la probité intellectuelle. Et ce quel que soit le prix à payer. Tot ou tard vos sacrifices seront payés par Le Pourvoyeur de toutes choses (glorifié soit-il). Quant à moi, je vous témoigne mon soutien et ma gratitude.

  2. Cher Frère,en France on vous bâillonne pour votre intention « de créer des ponts et des espaces de confiance entre le monde occidental et le monde islamique » refusant ainsi tout « dialogue critique et profond qui dépasse les représentations simplistes et les préjugés. ».

    Mr Ramadan qui est un intellectuel musulman reconnu pour sa grande moralité est traité de la sorte par le pays dont la devise « d’apparat » est Liberté Egalité Fraternité. Quel sort est prévu pour le « commun » des musulmans ?

    L’occident devenu riche en pillant les richesses des pays qu’il a rendus pauvres ne peut tolérer comme co-locataires de la planète terre que des clients consommateurs des articles qu’il décidera de leur vendre. Sa religion est le profit, son allié Satan & Cie et sa destinée sera celle des tyrannies l’ayant précédé au cours de la courte histoire de l’humanité.

    • Cher Monsieur,

      Je ne peux que réagir vivement à votre vision simpliste de l’occident : vous caricaturez d’une manière absolue ce qui pour vous représente « l’occident ». N’oubliez pas que l’occident est constituée d’hommes et de femmes qui comme dans les pays musulmans essaient d’améliorer leur quotidien et se battre contre les aléas de la vie. Après avoir été dominé et muselé par les autorités religieuses catholiques, la france a depuis le siècle des lumières (18e s.) décide de pratiquer un esprit critique sur son environnement et de prendre de la distance par-rapport à une religion dogmatique et oppressante. Après 20 siècles de guerre, les pays européens se sont enfin unis pour le meilleur et pour le pire. Que sont les pays musulmans aujourd’hui? Les droits de l’homme sont-ils respectés ? Les femmes ont-elles la liberté de suivre la vie qu’elles ont choisies ? Comment est-il possible de tuer au nom d’une religion ? N’est-ce pas contraire à l’esprit de la religion ?
      De plus, n’oubliez pas que dans les sociétés occidentales, des écarts énormes séparent les riches et les pauvres, et ce sont effectivement ces premiers qui recherchent frénétiquement le profit. Il est vrai que malheureusement le modèle économique anglo-saxon a tendance à s’imposer en Europe.
      Pour finir, je vous invite à plus de nuance concernant votre vision des sociétés occidentales.

  3. Seuls les Occidentaux musulmans peuvent proposer de nouvelles alternatives politiques en dialoguant avec l’ « Occident » car les autres musulmans restent déboussolés malgré leurs prétentions de s’opposer à l’occident (=Ouest en entrant ou en sortant ?).
    Mais par où commencer dans notre monde actuel dominé manu militari par l’impérialo sionisme ( Mammonites)?

    « Tout, dans ce monde, est vivant et corrélé : notre histoire, notre présent et notre futur, nos conceptions et nos structures sociales, les tempêtes de sable et les ouragans, les tremblements de terre et les révolutions : tout cela fait partie intrinsèque de la trinité étroitement soudée constituée de la Terre, de l’Homme et de Dieu.»

    Mais « Les médias possédés par les Etats-Unis, ces instruments de propagande, devraient être traités comme les apologues du racisme qu’ils sont, pour avoir sanctifié le massacre de milliers d’Arabes. Les forces armées des Etats-Unis devraient quitter l’Eurasie. La paix serait ainsi restaurée dans l’intérêt de toutes les parties.
    Car si l’on regarde ceux que les médias mammonites louangent, on constate qu’il s’agit obligatoirement de leurs collaborateurs. Ils aimaient Mikhail Gorbachev, le démolisseur de l’URSS ; ils aiment Tony Blair, qui a fait de l’Angleterre une colonie américaine. »

    Les Mammonites sont aveuglés par leur pouvoir absolu et par la réussite de leur bon coup, qui a consisté à entraîner l’Amérique dans leur plan mondial. Leur absence totale de compassion s’est manifestée à Guantanamo, où ils maintiennent en cage leurs prisonniers infortunés. Leur culot, leur ‘chutzpah’, s’est montré avec éclat lorsqu’ils ont exigé que l’on désarmât l’Irak avant de l’attaquer eux-mêmes, nous transformant tous, autant que nous sommes, en hommes de main à leur service. Leur absence de sincérité s’affiche à travers leurs campagnes massives de mensonges et de désinformation. Leur nature athée se révèle dans leur refus d’obéir aux instructions pastorales des Eglises (Seuls de rares prêcheurs sionistes télévisés soutiennent leur croisade).
    ( Israel Shamir.)

    Peut-on dialoguer avec ceux qui faussent les cartes et changent à leur gré les règles du jeu???

  4. « eur absence de sincérité s’affiche à travers leurs campagnes massives de mensonges et de désinformation »et bien écoute je ne pense pas que l »occident ai le monopole du mensonge mon cher!dans vos analyses il faut etre juste dans les deux sens!et je rejoint les idées de laurent!le probleme chez les musulmans est la scuceptibilité,je le vis au quotidien avec ma femme(musulmane),alors elle me demande de m’interreser au coran,chose que j’ai fait!je l’achete et je lis quelque passages(je vais direct la ou cela fait mal bien, sur!!!)et la elle n’accepte en aucun cas ma vision de son livre,a commencer par aisha…et tous les versets qui appellent a la méfiance des chrétiens et des juifs!!!et
    la elle me rétorque qu’il faut des livres de théologies pour comprendre!et bien moi je dis non tout est clair!j’avais l’impression de revivre le procés des caricatures a la maison!!!alors qu’elle meme est d’accord pour dire que certains versets sont scandaleux et ignobles!alors syndrome de stockolm????

    • Iran,

      Je ne suis pas experte en relations conjugales et je ne peux vous être d’aucun secours en ce qui concerne votre relation mystique avec votre épouse…Mais en feuilletant le Coran, vous devez vous dire que certains passages – parfois violents, parfois cruels je vous l’accorde – ont une origine historique et justifiée à l’époque de la révélation…C’est ce que beaucoup de musulmans négligent et ce que de nombreux non-musulmans ignorent complètement!

    • justement,c’est bien cela qui pose probleme aux gens comme moi!!!toutes religions ne parlent que de faits contextuel,d’ou la logique de mon raisonement a dire que cela fut écrit par des hommes!Quand nous observons les religions du monde,c’est fou a quelle point toutes et chacune se « completent »les unes aux autres selon la situation géographique!!!et la force du nombre n’est en aucun cas un argument valable(croisades…),l’amérique est devenus le flambeau du christianisme ,détruisant toutes croyances religieuse propre a leur civilisation!c’est fort n’est ce pas???et résumer l’histoire des indiens a des massacres serait reducteur et faux(les maladies occidentales les ont ravagés!)si ils ont adoptés la religion chrétienne c’est d’une part en confrontant le bien(la bible) au mal(leur croyance meurtriere,sacrifices…etc),grace a une opération séduction de grande envergure!la bas les pretres était d’une exemplarité inégalé!!!!pas comme en europe ou de nombreux abus ont débouchés sur le protestantisme…Donc forcement quand vous avez un oppresseur qui vous esclavagise(les conkistadors)et des pretres qui vous comprennent et s’interressent a votre culture et vos moeurs,la « boué » de sauvetage est la religion!

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