Le Coran et la sunna

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Le Coran est pour les musulmans la parole de Dieu révélée par fragments au Prophète Muhammad (PBSL) par l’intermédiaire de l’ange Gabriel pendant les vingt-trois années de sa mission. En ce sens donc, le Coran représente pour eux une parole d’absolu qui donne et prend sens au-delà des événements et des contingences de l’histoire : et ce parce qu’elle est, pour les fidèles de l’islam, le dernier message révélé aux hommes par Dieu qui, auparavant, avait envoyé d’innombrables prophètes et messagers dont Noé, Abraham, Moïse et Jésus.

Le texte coranique est, avant toute chose, un rappel aux hommes pour qu’ils reviennent à la foi originelle en Dieu et qu’ils aient de fait le comportement moral qui convient. Plus d’un tiers du Coran est constitué par l’expression du « tawhîd » : la foi en l’unicité du Créateur qui n’engendre pas et n’a pas été engendré. On trouve également évoquées les histoires des Prophètes dont la narration traduit le fait de l’essence unique des messages et de leur continuité. Tous ces passages sont propres à donner naissance à la spiritualité qui doit accompagner le croyant : leur dimension absolue est en soi logique, et légitime.

De nombreux versets du Coran parlent de la création, de l’univers et d’autres insistent sur les modes de relations que les hommes doivent entretenir entre eux ou avec la nature. La Révélation traite en effet de toutes les sphères de l’activité humaine : de l’ordre économique, du projet social, de la représentativité politique. C’est cette spécificité qui, à première vue, fait problème, car si la parole de Dieu est absolue, une et définitive, cela revient à dire que ce qui a été écrit et recensé au VIIe siècle comme « parole de Dieu » est à appliquer tel quel à toutes les époques ultérieures. L’islam serait donc, par essence, fondamentaliste au sens où l’on comprend cette notion dans l’histoire du christianisme.

Pourtant, ni le Prophète, ni ses compagnons, ni les premiers juristes ne l’ont entendu ainsi. Le Coran est descendu par fragments et les versets révélés étaient souvent des réponses à des situations spécifiques auxquelles devait faire face la communauté des fidèles autour du Prophète. C’est une réponse relative à l’événement historiquement daté : l’absolu révélé n’est pas dans la littéralité de la formulation, mais dans le principe général qui se dégage de ladite réponse. C’est ce qu’ont traduit les premiers juristes, après Abû Hanîfa et As-Shâfi’î4, avec la notion de « maqâsid as-sharî’a » : les objectifs, les principes d’orientation de la législation islamique.

Il s’agit là de la conceptualisation, après coup, de ce que Muhammad (PBSL) et ses compagnons comprenaient et appliquaient naturellement. Quand ‘Umar, alors qu’il avait succédé à Abû Bakr à la tête de la communauté musulmane, décida, durant l’année dite de la famine, de suspendre l’application de la peine de la main coupée aux voleurs, il suivait très exactement le principe énoncé ci-dessus : maintenir l’application de cette peine aurait signifié une trahison de l’objectif de la Révélation qui seule est absolue (même si cela pouvait apparaître comme un manquement à la lettre du Coran).

Il se trouve dans le Coran à peu près 228 versets (sur 6 238) qui traitent de la législation générale (code civil et pénal, droit constitutionnel, relations internationales, ordre économique, etc.). Il est impossible, avec ce qui ne représente que 3% du Coran, de répondre aux besoins d’une quelconque société – cette insuffisance était apparue du temps même du Prophète (PBSL) – et les juristes ont très vite cherché à dégager les principes généraux, et absolus, qui se cachaient derrière les réponses spécifiques données aux habitants de la péninsule arabique au VIIe siècle.

Le Coran offre donc des principes directeurs, des principes d’orientation. Ces derniers sont, par essence, absolus puisque, pour le musulman, ils proviennent du Créateur qui indique à l’homme la voie (la sharî’a) à suivre pour respecter Ses injonctions. Ces principes sont la référence des juristes qui ont la responsabilité, en tout lieu et à toute époque, d’apporter des réponses en prise avec leur environnement sans trahir l’orientation première. Ainsi, il ne s’agit pas de refuser l’évolution des sociétés, le changement des modes et des mentalités, ou les diversités culturelles : bien au contraire, le musulman est mis en demeure de respecter l’ordre divin (qui a voulu le temps, l’histoire et la diversité) :
« Dieu fait sortir le vivant du mort ; Il fait sortir le mort du vivant. Il rend la vie à la terre quand elle est morte : ainsi vous fera-t-Il surgir de nouveau.
Parmi Ses signes : Il vous a créés de poussière, puis vous voici des hommes dispersés sur la terre.
Parmi Ses signes : Il a créé pour vous, tirées de vous, des épouses afin que vous reposiez auprès d’elles, et Il a établi l’amour et la bonté entre vous. Il y a vraiment là des signes pour un peuple qui réfléchit.
Parmi Ses signes : la création des cieux et de la terre ; la diversité de vos langues et de vos couleurs. Il y a là vraiment des signes pour ceux qui savent. » Coran 30/19-22
Les étapes de la création – des cieux, de la terre et des êtres humains – et la diversité des idiomes et des couleurs sont autant de signes tant de la Présence que de la volonté divines qu’il faut donc respecter. L’interpellation à l’ensemble des êtres humains va dans le même sens :
« Ô vous les gens ! Nous vous avons créés d’un homme et d’une femme et Nous avons fait de vous des peuples et des tribus pour que vous vous entreconnaissiez […] » Coran 49/13
Ainsi l’homme, porteur de la foi, doit admettre, à l’instant même où il s’occupe des affaires humaines, les données de l’évolution historique, de la diversité cultuelle et culturelle. Faire face à ses responsabilités de croyant, c’est appréhender l’horizon de cette complexité et, d’emblée, s’activer à chercher, pour son époque et son pays, la meilleure façon d’établir une harmonie entre les principes absolus et la vie quotidienne.

La Sunna du Prophète, seconde source du droit islamique, permet de s’approcher des objectifs de la Révélation. En effet, en analysant ce que Muhammad (PBSL) a pu dire en telle ou telle circonstance, ou comment il a agi, ou encore ce qu’il a approuvé, nous sommes à même de mieux comprendre le sens et la portée des injonctions divines. De la même façon, les juristes se sont efforcés de dégager à partir des dires, des faits et des décisions du Prophète (PBSL), les principes qui devaient permettre aux musulmans de vivre avec leur temps ou leur environnement tout en restant fidèles à son enseignement.

À première vue, la référence constante au Coran et au Prophète peut apparaître comme un obstacle au changement, comme sa négation manifestée par la volonté de voir appliquée aujourd’hui une législation vieille de quatorze siècles. Ce que nous venons de dire est la démonstration que cette compréhension est bien réductrice et qu’elle ne correspond ni à l’enseignement de Muhammad (PBSL) ni à l’attitude des ulémas (savants) de la première époque. La détermination des principes généraux est un fait avéré dans les modalités de lectures juridiques du Coran et des traditions et que confirment, s’il en était besoin, l’exigence de « l’effort de réflexion personnelle » (ijtihâd) dans des situations dont ne parlent ni le Coran ni la Sunna.

10 Commentaires

  1. A part la méthodologie je ne vois pas quelle réponse, peut apporter à nos besoins et aux sociétés modernes, les « savants » juristes. Les mœurs, les droits et les devoirs de l’époque du prophète sont très loin des nôtres et pas forcément meilleur. Tant qu’on considérera la tradition comme une chose sacré et que les sociétés musulmanes du moyen-âge comme supérieur aux nôtres, nous resterons, en tant que communauté, à la marge du monde moderne et la risée du monde.

  2. Ne peut on pas penser que pour ce qui concerne les hadith et les biographies écrites par les musulmans portant sur la période prophétique constituent incontestablement une étape majeure dans l’élaboration des méthodes de recherches scientifiques en histoire, ce dont les historiens d’aujourd’hui, musulmans comme non musulmans, sont rarement conscients. Il n’en reste pas moins que cet apport historique incontestable doit être replacé dans le contexte d’une avancée scientifique en amélioration constante. Aujourd’hui, en histoire comme d’ailleurs pour les détectives, on sait que même les témoignages des personnes les mieux intentionnées ayant assisté à une scène ou retransmis ce qu’elles ont entendu ne sont jamais entièrement fiables et se contredisent souvent avec d’autres ou parfois avec eux-mêmes. C’est pour cela que la méthode de collection des informations nécessite et les témoignages croisés de personnes ayant un a priori favorable envers une thèse, une personne, une croyance, et de personnes ayant un avis négatif sur le même sujet. Ce qui permet de recouper les informations et de s’approcher de la vérité. Sachant que, même dans ce cas, nous ne sommes jamais à l’abri d’erreurs en histoire comme dans le domaine judiciaire, les erreurs judiciaires récurrentes de juges bien intentionnés, musulmans comme non musulmans, en étant la preuve manifeste. Comme, à la différence de ce que prétendent les rabbins et les Eglises chrétiennes envers la torah et les évangiles, l’islam ne considère pas que la Sunna et la Sira ont été écrites sous la protection de Dieu, à la différence du Coran qui est une parole divine protégée dans son intégralité par Dieu, il faudrait en conséquence me semble-t-il admettre que la Sunna, comme la Sira, sont certes le fruit tout à fait admirable de « l »intelligence collective » de la communauté musulmane d’alors qui a, à cette occasion, su développer, par ses rapporteurs et collecteurs successifs, des méthodes de collecte d’informations ouvrant la voie vers la méthodologie scientifique, mais qu’elle n’est pas arrivée alors au stade supérieur, encore moins final, de recoupement des faits. Elle a lancé un processus de perfectionnement intellectuel mais elle ne pouvait pas alors arriver d’emblée au bout de ce processus en amélioration constante, ce qui nous pousse à l’humilité devant la grandeur du savoir. D’autant plus que les collecteurs d’informations étaient à la fois eux-mêmes le produit de leur temps, de leurs appartenances sociales et soumis directement ou indirectement, consciemment ou inconsciemment, à l’influence des pouvoirs du moment, politiques mais aussi sociaux. Du coup, tout en étant bien intentionnés, ils ne pouvaient que privilégier certaines informations et en négliger d’autres. La Sunna doit donc être analysée comme une oeuvre humaine, une oeuvre certes dynamique et créative, mais pas comme un bloc immobile et incontestable, encore moins divin. C’est là d’ailleurs que réside sa vraie richesse et peut-être la vraie volonté divine, même si la comparaison des diverses sources des hadiths, sunnites puis chiites, tend à montrer qu’une grande partie des hadiths qui sont rapportés par des sources différentes sont les mêmes ou convergent, ce qui donne une certaine véracité, par recoupement incomplet mais néanmoins réel, à l’ensemble de l’oeuvre. Qui ne devrait manquer de fasciner le croyant mais aussi un non croyant honnête. Mais on doit du coup aussi avoir l’honnêteté de reconnaître que certains hadiths jugés fiables sont contradictoires entre eux comme ils peuvent être aussi en contradiction avec le Coran, ce qui démontre la relativité de leur valeur et du coup de celles des autres hadiths de même source qui semblent plus en cohérence. Cela doit être accepté comme un fait aussi bien pour un observateur impartial et non musulman que pour un musulman qui doit penser « qu’il y a là des signes pour ceux qui réfléchissent ». Donc, quelque soit notre croyance, nous devons admettre que si la critique islamique selon laquelle les êtres humains de religion juive ou chrétienne ont déformé, volontairement ou non, les récits sur les prophètes antérieurs à Muhammad est vraie et que Dieu a laissé faire cela dans une visée pédagogique pour l’humanité, alors un musulman doit accepter du coup aussi de considérer que si Dieu a, selon sa croyance, protégé le Coran, il n’a pas jugé pertinent d’exiger d’enregistrer la Sunna de manière incontestable. Il y a là matière à réflexion critique, et un croyant doit y voir là aussi un signe de la volonté divine. L’islam, et toutes les traditions prophétiques qu’il inclut, doit rester vivant et dynamique et non pas statique et immobile …sinon il ne sert à rien de plus que les religions ou idéologies païennes répondant à des besoins strictement humains du moment sans aucun objectif vers la vérité éternelle en processus de créativité et de fécondité infinies. Il est peut-être temps d’arriver à cette étape du développement de notre réflexion collective, par dessus nos différences formelles ?

    • Je vous remercie pour votre commentaire pertinent, qui reflète ma pensée. Merci aussi à Tariq Ramadan pour cet article qui m’a laissée sur ma fin pour ce qui est de la Sunna. J’ajouterais qu’il y a des magnifiques hadith et qu’il ne faut pas les rejeter en bloc, sous prétexte que l’oeuvre est humaine. Toutefois je m’inquiete de constater qu’à l’heure actuelle, beaucoup de musulmans qui se radicalisent évoquent plus la Sunna pour se justifier que la parole du Très Haut (le Coran). En outre, un certain nombre de mesures violentes ne viennent pas du Coran, mais bien de la Sunna ( la lapidation du couple adultère, peine de mort pour l’apostat par exemple). Cela me fait beaucoup réfléchir.

  3. Assalamu aleykum wa rahmatulah wa barakatahu professeur, mes freres et soeurs

    Alhamdulilah c’est une grace de Dieu que de vous avoir parmi nous frere Tariq, la maniere sereine avec laquelle vous abordez la question d’actualisation des principes de l’Islam est unique.

    Il n’est pas courant de trouver des gens bien instruit, sinceres et engages avec une approche demystifiee en la matiere.
    Certains ont tellement venere la generation des musulmans qui ont suivi le prophete qu’ils se mefient de mettre en question les travaux de ces derniers de peur de se mettre en position de competition avec des figures si renommees de l’histoire de la religion.
    Dans d’autres circonstances les personnes dottees de connaissances cherchent a subordonner le musulmans commun tout en utilisant leur connaissances de l’Islam comme des accessoirs pour etablir une renommee et recruiter des adeptes.
    Toutes ces raisons contribuent au manque d’objectivite et de liberte de beaucoup de nos imams.
    Pourtant la necessite se pose et il faut bien commencer quelque part dans l’espoir d’installer la culture de l’effort d’adaptation des enseignements de l’Islam pour les musulmans d’aujourd’hui.

    Votre soeur qui vous aime en ALLAH

    • Je ne suis pas musulman, mais je trouve effectivement qu’on ne peut trouver une figure plus apaisante et éthique que celle de Tariq Ramadan pour aider tout le monde à mieux comprendre les textes religieux musulmans. La France  »officielle », qui ne l’aime pas, devrait s’en faire un ami et ainsi aider toute la communauté musulmane de France à prendre calmement sa place.

  4. Quand ‘Umar, alors qu’il avait succédé à Abû Bakr à la tête de la communauté musulmane, décida, durant l’année dite de la famine, de suspendre l’application de la peine de la main coupée aux voleurs, il suivait très exactement le principe énoncé ci-dessus : maintenir l’application de cette peine aurait signifié une trahison de l’objectif de la Révélation qui seule est absolue (même si cela pouvait apparaître comme un manquement à la lettre du Coran).

    J’ai lu hier et je suis passée dessus, mais aujourd’hui, je pense qu’il faudrait éclaircir cette phrase: « maintenir l’application de cette peine aurait signifié une trahison de l’objectif de la Révélation … »


  5. Si il y a des signes pour chaque existence)s il y a des valeurs pour chaque tolérance)s…

    Alors bien sûr, les nombres mesurés d’une ou plusieurs consciences peuvent se permettre et faire admettre, un peu partout, et pacifiquement, qu’inverser le sens des signes et des valeurs pour et parmi les raisons et les sujets d’une existence et d’une tolérance, ne fait et ne fera, en rien, obscurcir chaque évidence…

    Si il y a des valeurs pour chaque existence il y a des signes pour chaque tolérance…

    Par contre, les nombres intempérants d’une ou plusieurs résiliences veulent, des mêmes verbes et d’une autre manière, subjuguer l’espérance ordinaire et/ou condamner la pertinence complémentaire des mondes et/ou des natures qui, malgré tout, les entourant, les nourrissant, leurs échappent cruellement…

    Même au conditionnel de l’imparfait des suites, les fatalités sont-elles des signes malveillants, des valeurs encombrantes, des pouvoirs intransigeants, des facultés récurrentes, …en toute sérénité, loin des poussières, au cœur des univers, et à moins qu’il ne faille plus de lumière, comment (ne pas) se rappeler obstinément des contraires à leurs origines et se dispenser résolument des affaires à leurs conséquences…

    …merci…

  6. Salam alaykum… Merci encore à Mr Tariq!
    La sunna dont parle Mr Tariq est celle là même dont la compréhension et l’application provoquent le malaise,la fracture au sein de l’islam. Elle est objet à beaucoup d’altérations,donc diversement comprise.

  7. bonjour , je voudrai savoir le coran et la sunna sont un seul et meme livre ou ce sont 2 livres distincs ?? , car on explique mal ce détail sur internet en générale , on parle d’eux en détail mais on oublie de dire si ce sont 2 livres ou un seul livre , je vous remercie soyez bénis !!

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