Libération – Tariq Ramadan en tournée de soutien aux musulmans

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Un mois après les attentats du 13 novembre, les voix discordantes se font entendre pour s’insurger contre les dérapages de l’état d’urgence. La Ligue des droits de l’homme, Amnesty International, le Syndicat de la magistrature, des avocats, des parlementaires ont fait part de leurs inquiétudes et de leurs vives réserves. Le combat est mené aussi par les militants des jeunes générations musulmanes, soutenus par l’intellectuel Tariq Ramadan, de passage ce week-end en région parisienne. Malgré les controverses, son succès ne se dément pas. A un meeting à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), l‘intellectuel musulman, tête d’affiche, fait salle comble. Il y a là, ce vendredi soir, 600 militants au bas mot rassemblés à la Bourse du Travail par un collectif d’associations, notamment le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France). «Des militants de l’islam et les islamogauchistes», comme les appelle ironiquement Sihame Assbague, porte-parole du collectif Stop au contrôle au faciès.

A Paris le lendemain après-midi, l’amphi de 200 places est, lui aussi, bourré à craquer. On se serre et on installe des chaises pour la «masterclass» qu’il donne en compagnie d’une des figures montantes de l’islam de France, Mohamed Bajrafil, imam à Ivry. C’est l’UOIF (Union des organisations musulmans de France, la branche française des Frères musulmans) qui organise la réunion. Depuis un quart de siècle, Tariq Ramadan qui promet des «années difficiles», a toujours renouvelé son auditoire dont la moyenne d’âge ne dépasse guère les 25 ans.

Sa venue en France a, une nouvelle fois, déclenché la polémique. A quelques heures de la clôture de la campagne électorale, le porte-parole de Valérie Pécresse, Geffroy Didier a accusé Clémentine Autain et son mouvement Ensemble d’appeler au meeting de Saint-Denis. Démenti rapide de l’intéressée – candidate sur les listes du socialiste Claude Bartolone – sur son fil Twitter. Vendredi soir, Marwan Muhammad, ancien porte-parole du du CCIF déplore les «soutiens qui se dérobent». Samedi, Tariq Ramadan ironise: «Je ne suis pas le diable et je ne tiens pas de double-discours».

Le leader musulman qui s’est déclaré «ni Charlie, ni Paris» ne lâche rien de sa critique très politique. S’il condamne les attentats et «les extrémistes violents», il met fermement en cause le gouvernement socialiste (principalement, le Premier ministre Manuel Valls, épargnant le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve), dénonce la politique étrangère de la France et de l’Occident au Proche-Orient, matrice, selon lui, du terrorisme, se distingue du salafisme et de ses «lectures littéralistes» mais ne comprend pas que l’on veuille «criminaliser» cette mouvance et fermer ses mosquées, que l’on continue «d’entretenir des relations avec ceux (ndlr: dans la péninsule arabique) qui promeuvent cette idélologie», s’insurge contre les discriminations grandissantes à l’encontre des musulmans depuis l’état d’urgence.

«Pas de justice, pas de voix»

A Saint-Denis, les nombreux militants sont justement là pour dénoncer cette islamophobie, les dérapages des perquisitions et des assignations à résidence. Ils veulent lancer une plateforme pour dénoncer les bombardements et la guerre en Syrie et en Irak, promouvoir la paix. Marwan Muhammad et Sihame Assbague comptabilisent les griefs à l’égard de la gauche qui «n’a pas tenu ses promesses mais qui vient frapper à la porte pour obtenir des voix». Tous deux appellent très clairement à la fin «des chantages électoraux» pour les élections régionales. «Pas de justice, pas de voix», scande la militante de Stop au contrôle au faciès. Dans les jeunes générations d’activistes, le ton est radicalement différent que celui tenu par l’islam des grandes fédérations et des grandes mosquées, réunies il y a quinze jours à l’Institut du monde arabe pour condamner à l’unisson le terrorisme.

Discret sur les élections régionales, Tariq Ramadan est très offensif sur le thème de la laïcité. Pointant les abcès de fixation qui alimentent les débats publics, il s’exclame: «Y’en a marre de la laïcité, (des débats sur) la viande halal, le port du foulard.» Le public l’applaudit. Le lendemain, il réitère sur un ton moins virulent. «Cela fait trente ans que les musulmans n’ont pas de problèmes avec la laïcité. Le problème, c’est que celle-ci est à géométrie variable», martèle-t-il, dénonçant une instrumentalisation visant seulement à mettre en cause les musulmans. Dans la foulée, l’intellectuel plaide pour un engagement social et politique fort des jeunes générations. «Il faut une nouvelle visibilité des musulmans dans la société», dit-il, rejetant cependant l’idée d’un parti politique spécifique.

Après une série nourrie de questions, Tariq Ramadan s’éclipse avant même que Mohamed Bajrafil ne prenne à son tour la parole. Avec le jeune imam d’Ivry, la tonalité est moins politique, plus spirituelle. Au fil de sa conférence, il revient quand même sur cette question du vote. «Le musulman qui vit en France n’y est pas de passage», rappelle-t-il, démontant quelques arguments, ceux des salafistes notamment, plaidant pour l’abstention. Etudiante en chimie et habitant Paris, Rhada, elle, sait déjà qu’elle ira voter. «Mais je ne sais pas encore pour qui», avoue-t-elle.

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