Liberté 1/5

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Sur son île déserte de l’océan Indien, Hayy Ibn Yaqzān (Le Vivant, fils de l’Éveillé) découvre la vie, la nature, les éléments et apprend à comprendre. Élevé par une gazelle, il établit, seul, les étapes de la connaissance et se met en route, armé de sa seule raison. Inspiré par l’œuvre d’Ibn Sīna, le roman d’Ibn Tufayl (XIIe siècle), Hayy Ibn Yaqzān, est sans doute l’un des premiers romans philosophiques. Il y est question de l’accès au savoir et à la vérité, mais également de l’expérience, du déterminisme et de la liberté humaine. Traduit dès le XVIIe siècle en latin (Le Philosophe autodidacte), puis en anglais (L’Amélioration de la raison humaine), l’ouvrage laissait déjà entrevoir clairement la substance du propos : seul, qui suis-je ? Que puis-je savoir ? Quelle est la nature de ma relation à autrui ? Jusqu’à quel point suis-je libre ? Et tant d’autres questionnements encore. L’influence de l’œuvre d’Ibn Tufayl se perpétuera, malgré les négligences de la mémoire européenne, dans de nombreuses productions à travers le monde et notamment en Occident : chez Defoe et son Robinson Crusoé échoué sur une île déserte ; chez alGhazālī et Descartes avec leur approche du doute ; chez Locke et Hume avec la théorie empiriste ; chez Marx et Engels avec le matérialisme historique. Tous sont directement ou indirectement revenus aux thèmes de ce roman fondateur. Il s’agit certes de savoir et de comprendre, mais il est également question de déterminer ce que je peux, ce que je veux – ce que je suis dans ce que je veux.

Au cœur de la nature, seul et en relation avec les animaux et leur instinct, l’être humain cherche à appréhender les pouvoirs réels de son esprit, l’essence de sa liberté (du sentiment de liberté, voire de son illusion). Les lois naturelles qu’il découvre, puis les règles qu’il va instaurer vont le renvoyer à son propre fonctionnement : il est soumis à un corps, à des besoins, à des instincts qui décident pour lui, en lui, avant lui. Ce sont les lois extérieures qui, paradoxalement, le rendent conscient tout à la fois de sa liberté et de ses limites. Mon naturel décide pour moi, mais c’est bien lorsque je suis confronté à la loi extérieure que j’ai les moyens de mesurer ce que je peux décider, ce que je peux et/ou veux entreprendre. Rousseau et Kant affirmeront bien plus tard qu’il n’existe pas de liberté sans établissement de la loi. L’expérience imaginée de Hayy Ibn Yaqzān ou de Robinson tendrait à démontrer que c’est la loi qui est première (celle de l’instinct, de la nature, voire de l’ordre social) et détermine s’il existe ou non une liberté. En d’autres termes, et dans les deux cas de figure, la liberté humaine n’existe qu’en relation avec ce qui la limite et/ou la permet : elle n’est et n’existe que si elle est mesurable. La loi et l’ordre naturel, comme l’instinct, enfantent la substance de la liberté de la même façon que le besoin de loi exprime l’aspiration à l’ordre et à la liberté. Apparent paradoxe que l’intuition du romancier Michel Tournier, dans Vendredi ou les limbes du Pacifique, traduit de façon originale : Robinson, seul et libre, se sent soudain emprisonné dans l’ordre de la nature et du grand cosmos et c’est les lois qu’il établit pour lui et son serviteur Vendredi (les lois sociales) qui le font accéder au sens de sa liberté. Ainsi, toute réflexion sur cette dernière aborde ces questions ardues, complexes, paradoxales et contradictoires : chaque conscience se sait un tant soit peu déterminée par son corps, ses instincts, ses parents, son passé, voire ses sentiments. Chaque esprit sent pourtant en lui le souffle et les élans d’une liberté qui a les moyens de comprendre le monde par la force de la raison et de le repeindre par la puissance de son imagination. On ne décide pas de tout, mais on sait que l’on peut décider de tant…

2 Commentaires

  1. Salam…

    حرية halià…الحرية al halià…

    Plus souvent que parfois, les points communs sont les points de vue de l’ordre naturel, sans pour autant faire dire que l’arbre et la feuille soient les mêmes dans leur « unique » ensemble…c’est donc bien entre la source et le « fruit », d’une vie, d’une chose,… qu’une loi s’éveille dans l’immense et limite son existence.

    Transmettre la liberté n’est ni le moindre ni le pire des horizons.

    Salam, merci…

  2. Ma liberté s’arrête ou commence celle d’autrui. Même si ce cher être humain tente quelques escapades.
    Donc rien de neuf sous les cocotiers, c’est déprimant !!

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