Plusieurs fronts, deux univers, une parole

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Les oppositions sont multiples comme on peut le voir et la multiplicité des fronts1 empêche à l’évidence mon discours d’être entendu pour ce qu’il est dans sa substance, ses nuances et sa vision d’avenir. Certaines des critiques formulées sont bien sûr sincères et elles posent des questions légitimes auxquelles je vais d’ailleurs essayer de répondre dans le présent ouvrage, mais d’autres sont clairement tendancieuses et veulent faire passer leur écoute sélective et biaisée pour « un double discours » dont il faudrait se méfier. J’ai depuis longtemps fait la critique de leur surdité volontaire et de leur « double audition » idéologique2 : je tiens à aller de l’avant, à ne pas perdre mon temps avec ces distractions stratégiques, et à rester fidèle à ma vision, à mes principes et à mon projet.

Il s’agit d’établir des ponts entre deux univers de référence, entre deux constructions (très discutables) qu’on appelle les « civilisations » occidentales et islamiques (comme s’il s’agissait d’entités fermées et monolithiques) et enfin entre les citoyens à l’intérieur même des sociétés occidentales. Il s’agit de montrer, théoriquement autant que pratiquement, que l’on peut être tout à la fois pleinement musulman et occidental ou européen et que, au-delà de nos différences apparentes, nous partageons beaucoup de principes et de valeurs à partir desquels le « vivre ensemble » est possible dans les sociétés contemporaines pluralistes, multiculturelles et où coexistent plusieurs religions.

Au-delà des animosités que suscite la parole religieuse d’un musulman et dont j’ai parlé plus haut, il est clair que ce rôle de médiateur suscite des réactions négatives dans les deux univers de référence. De nombreux Occidentaux pensent que je suis encore « trop musulman » alors que certains courants musulmans me définissent comme « trop occidental ». C’est le prix à payer et que je savais devoir payer depuis le début de l’entreprise. Ce qui ajoute à la difficulté tient au fait que je ne me borne pas à mettre en évidence les zones d’intersection et les points communs entre les deux univers mais que j’appelle les savants, les intellectuels et les politiciens à un devoir nécessaire de cohérence et d’autocritique. Cet exercice est moins apprécié par mes interlocuteurs parce que, somme toute, il n’est pas aisé.

La rencontre entre l’Occident et l’Islam ne se réalisera pas constructivement et positivement (entre les civilisations, les nations et/ou les citoyens) par un simple vœu pieu en rappelant de façon optimiste l’existence de valeurs communes. Le problème est en amont. Il s’agit pour tous de faire preuve d’humilité, de respect et de cohérence. D’humilité en reconnaissant que personne, aucune civilisation ou nation, n’a le monopole de l’universel et du bien ; de respect vis-à-vis de l’autre parce qu’il faut être persuadé que les richesses et les acquis de ce dernier peuvent nous apporter quelque chose et enfin de cohérence car la présence de l’autre est comme un miroir qu’il faut utiliser pour faire face à nos propres contradictions et à nos incohérences dans l’application concrète et quotidienne de nos valeurs les plus nobles. L’exercice est difficile mais il est impératif. Au lieu de comparer injustement l’idéal de nos valeurs théoriques avec les déficiences de la pratique de l’autre, il importe de comparer les pratiques, de mettre en évidence les contradictions et les hypocrisies mutuelles pour s’imposer ensemble une double exigence : clarifier l’espace de nos valeurs communes et nous efforcer d’y être fidèles intellectuellement, politiquement, socialement et culturellement. Cette exigence stricte et déterminée m’a amené à être perçu comme « un traître » par certains musulmans et comme « un agent infiltré de la cinquième colonne » par certains de mes concitoyens occidentaux.

Aux musulmans, je répète que l’islam est une grande et noble religion mais que tous les musulmans ou les sociétés majoritairement musulmanes ne furent et ne sont de loin pas à la hauteur de cette noblesse, dans l’histoire comme à l’époque contemporaine : une réflexion critique s’impose sur la fidélité à nos principes, notre regard sur l’autre, les cultures, les libertés, la situation des femmes, etc. Nos contradictions et nos ambiguïtés sont innombrables. Aux Occidentaux, je répète de la même façon que les acquis indéniables de la liberté et de la démocratie ne sauraient faire oublier « les missions civilisatrices » bien meurtrières, les colonisations, l’ordre économique destructeur, les racismes, les discriminations, les relations entendues avec les pires dictatures, etc. Nos contradictions et nos ambiguïtés sont innombrables. Une même exigence et une même rigueur entre deux univers. Dans les deux univers, gênés par l’exigence de cohérence et d’autocritique, on a dit et répété que mon discours était « peu clair », « alambiqué » et surtout « ambigu ». Il se pourrait pourtant qu’il faille retourner la perspective comme le suggère le sociologue Charles Taylor en analysant mes positions : il se pourrait, en effet, que j’aie bien une seule parole, comme il le rappelle, toujours la même, entre deux univers qui ont bien du mal à faire face à leurs propres ambiguïtés.

1. Il ne faut pas oublier ici de mentionner les écrits des nouveaux « experts en terrorisme » qui n’ont de cesse d’entretenir les doutes, d’alimenter les rumeurs sur de possibles connexions, sans jamais vraiment prouver leurs hypothétiques conclusions. C’est le moyen pour eux de continuer à donner des « avis autorisés » sur « la nébuleuse terroriste » et de gagner un peu d’argent.

2D’aucuns me demandent par exemple pourquoi je suscite autant de passions et, parfois, autant de haine. Ils me citent en exemple le cas de la « journaliste d’investigation » Caroline Fourest qui, dans un livre, aurait analysé « objectivement » mes livres et mes discours. Outre le fait que son livre comporte plusieurs dizaines de fautes factuelles et de très nombreuses citations fausses ou tronquées (que malheureusement le lecteur ne prend le temps de vérifier), il faut rappeler que derrière cette « journaliste » se cache le profil d’une activiste qui réunit à elle seule quatre des oppositions citées plus haut : elle milite pour une laïcité très dogmatique et antireligieuse ; elle promeut un féminisme occidental exclusiviste et paternaliste ; elle défend, en tant que lesbienne, les droits des homosexuels et critique les religions qui, selon elle, les mettent en danger et elle est enfin une militante du sionisme le plus aveugle dans son soutien aux politiques israéliennes. Le cumul des postures idéologiques (et non pas seulement des opinions personnelles) suffit à expliquer ici l’origine de la haine objective.

9 Commentaires

  1. Très beau texte et très belle vision, encore une fois.
    Que Dieu vous accompagne, Mr Ramadan.

    Mais il est dommages que ce magnifique équilibre extraordinaire que vous décrivez, et que, j’ai sentiment même, vous incarnez et désirez véritablement….semble tenir sur et par l’antisionisme.
    Votre conclusion est malheureusement assez explicite et si Dieu le veut je vous invite a vous interroger et surtout interroger notre Seigneur a ce niveau.
    Lui seul connait ce qui se cache au fond de votre cœur.
    Vous commencez par parler d’univers, de civilisations…et vous concluez en y faisant surgir de nul par la politique Israélienne comme si elle était directement concerné et centrale.

    Malheureusement, vous avez raison. Elle l’est.
    Que Dieu vous bénisse et vous vienne en aide.
    Amen.

  2. Salut,

    Moi, cher Tariq, je t’ai reconnu immédiatement quand je t’ai vu la 1ère fois. Ça vaux ce que ça vaux…
    Il est des « choses » qu’on ne peut changer seul, des gens comme toi sont si rares et précieux, que peut-être cette fois-ci le changement aura lieu, en fait j’en suis sûr, car il a déjà eu lieu !

    Courage et endurance a toi,

    • Le changement doit venir. La situation a été pourrie et elle est liée à cette guerre injuste contre les Palestiniens qui n’ont eu que des pierres pour se défendre et qu’on a traités comme des « terroristes » ! alors que ceux qui utilisent les grands moyens, personne n’ose leur dire quoi que ce soit. ce sont eux les « grands terroristes » car ils ont terrorisé la Terre entière ! On ne peut plus circuler comme avant, on ne vit plus comme avant. Au lieu de régler le problème d’une guerre, ils ont multiplié les guerres sur cette Terre paradisiaque ! Notre Terre est devenue polluée et souillée par tant de sang humain …
      Et on n’a pas besoin d’être Musulman pour dire ce genre de choses! n’importe quel être sensé et juste, dira la même chose ou peut-être encore mieux, car moi je n’ai pas le don d’écrivain.
      Nous l’avons bien vu quand le monde entier avait manifesté contre la guerre en Irak mais quand un fou du pouvoir a le pouvoir que peuvent faire les peuples ? Le monde entier avait manifesté en masse partout ! … mais on est allé en Irak et on commis des destructions impardonnables ! etc etc … Une guerre basée sur le mensonge, pour exploiter les pays pétroliers et qui sont musulmans.
      Même si l’être humain pardonne, Dieu ne pardonne pas l’injustice ! Dieu est Juste. Il ne pardonne que si on a payé. Car Il est Pardonneur.

      Denia LEBGAA

  3. Après chaque prière je demande à Dieu de Faire entendre à tous les humains sur terre qui sont perdu et dégoûté de ce bas monde pour qu’ils puissent comprendre le sens de leur humanité et comprendre que faire en t’en que humaine. je vous remercie Mr Ramadan pour m’avoir éclairer le chose depuis que j’ai commencé à vous suivre et au Nom de toutes la communauté malienne en France que Dieu vous garde Salam

  4. Merci Mr Tariq pour tous ce que vous nous apporter, on apprend beaucoup on lisant vos ouvrages , en écoutant vos débats etc…….Vous êtes très appréciable que Dieu vous bénisse Amen. Ali Bakhlakh.

  5. Bonjour Mr ramadan
    Je tiens a vous remercie pour ce grand travail que vous faite franchement ces grandiose
    Je suis d’Algérie et sache que tous le monde ici vous admire et Nchallah bon continuation

  6. Il est assez désagréable de voir, sur votre page facebook ou autres supports par exemple votre photo apposée à celle de Fourest ou d’un (e) autre suppôt de cet empire médiatique.
    Ce ressenti n’est pas simplement esthétique mais idéologique. En vérité, qu’est-ce que ce refus, ce rejet et, ce mensonge construits autour de votre personnalité?
    Je m’interroge sur cette « peur » des médias et du pouvoir politico-financier qui serait générée par votre présence sur la scène en France. Je me demande si ce discours « du double discours» n’est pas lui aussi une réalité alimentée, entretenue. N’est-ce pas une situation bienheureuse lorsque vos propos leur donnent du grain à moudre, lorsque vos interventions leur servent à attiser le feu et ainsi enfumer la scène et les spectateurs. Ce « jeu » verbal n’est-il pas une forme d’anthropomorphisme par lequel se revigore le système en place ? Ne vous remercient-ils pas en secret ?
    Voilà mon ressenti même si cela peut sembler du délire ou une autre maladie de l’esprit, je l’assume!
    Mais par ailleurs, tout votre travail de lecture, d’interprétation et d’enseignement du Coran nourrit, j’en suis convaincue, des milliers d’être de par le monde. Malgré tout, grâce aux nouvelles technologies, il n’existe plus de centre du monde, et la parole éclaire, révolutionne les esprits sans être liée à un espace donné. A mon humble avis, le message de paix, de fraternité, ce message intemporel et universel qui sous-tend chacune de vos interventions ne doit souffrir aucun ancrage. Wa Allah ya3lam
    Et vous avez tout à fait raison, « Aller de l’avant …. » c’est certainement le meilleur des choix car « Mon ami, il est des injures auxquelles un homme qui se respecte ne doit répondre que par le silence et le mépris.».
    Avec toute ma considération. Fi aman Allah.
    Fatiha

  7. plusieurs sens, deux possibilités, une raison…

    A force d’excédent altéré, altérant et préjugeant toute alternative, tout ne passe pas par là où les consciences défient l’histoire, et tout ne se satisfait mieux que l’histoire puisse le faire, l’idée s’y perdrait des volumes de valeurs comme omettant principalement et laissant possiblement croire à quiconque et chaque fois, que l’espoir est un savoir aussi parfait que circonférentiel en son « arbre », mais quel inverse n’eut été aussi complet qu’universel à sa « source »…

    …merci…

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