Respect 4/4

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Quand il est question de relations entre des êtres humains libres et égaux, entre des nations autonomes et indépendantes ou entre des civilisations, des religions et des cultures, il ne peut plus être question d’appeler à tolérer autrui. Sur un pied d’égalité, il n’importe plus de concéder la tolérance, mais de s’élever et de s’éduquer au respect. La disposition de l’esprit et du cœur est alors bien différente. Cela commence d’abord par reconnaître le fait et la nécessité de la présence de l’autre dans ma propre conception du monde. Nous l’avons vu, les plus anciennes traditions africaines et asiatiques comme l’hindouisme et le bouddhisme, puis les monothéismes reconnaissent explicitement, ou implicitement, la présence nécessaire des autres voies : soit parce qu’elles stipulent qu’il y a plusieurs façons d’accéder à la vérité, soit parce que cette présence influence et façonne ma conception de mon propre rapport à ma vérité. Le pluralisme est ici une condition de l’humilité et une protection contre des excès potentiels. L’islam confirme cet enseignement transversal en synthétisant les deux dimensions. Le verset « Si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté » trouve ailleurs la révélation de l’essence et de la finalité de cette diversité : « Si Dieu n’avait pas fait en sorte que des groupes d’hommes [des nations, des sociétés, des religions] résistent à [contrebalancent le pouvoir] d’autres […], la terre aurait été corrompue [et] des ermitages auraient été démolis ainsi que des synagogues, des oratoires et des mosquées. » La diversité et l’équilibre des forces sont certes un risque de conflits et de troubles, mais ils sont, pour les hommes, une condition de survie, une éducation à la mesure et à l’humilité. Ce regard vers l’extérieur, vers le monde et les sociétés ramène la conscience à l’intérieur de soi et impose d’évaluer ses propres penchants à considérer que seule ma vérité est vraie : on ne cesse jamais d’être attiré par les sirènes de l’esprit dogmatique et sa suffisance hautaine. Son rapport à l’autre n’a de sens que si l’on cherche à le convaincre de sa seule vérité. Dialoguer consiste alors à parler, jamais à écouter : l’autre est le champ privilégié de mon prosélytisme. Ma vérité est ainsi devenue une passion aveugle et aveuglante : elle m’emprisonne alors qu’elle devrait me libérer. Une aliénation.

Un acte de raison s’impose donc d’abord pour nous apprendre à devenir raisonnables. Reconnaître la diversité des chemins et l’égalité de tous les êtres humains sont les deux premières conditions du respect (qui permet de dépasser le rapport de pouvoir propre pour accéder à une relation de tolérance). À cette reconnaissance factuelle et objective il faut encore ajouter une disposition de l’intelligence : si je peux tolérer et souffrir la  présence de ce que j’ignore, je ne peux atteindre le respect d’autrui sans chercher à le connaître. Le respect invite donc à une attitude non pas passive mais active, et proactive, envers autrui : être curieux de sa présence et de son être et chercher à le connaître après l’avoir reconnu. Reconnaissance, curiosité active et connaissance font entrer notre intelligence et notre cœur dans l’univers de la complexité d’autrui : ses principes, ses espoirs, ses tensions, ses contradictions, avec de surcroît la diversité des courants qui traversent son univers de référence, nous sont ainsi accessibles. La tolérance peut réduire l’autre à la simplicité de sa présence, le respect nous ouvre à la complexité de son être. En miroir, il s’agit de lui reconnaître la même complexité que soi : il est l’égal, le miroir, la question ; l’autre, en moi et moi, en lui.

Par la raison, on retrouve ainsi le chemin du cœur. Celui dont nous parlions au début du présent chapitre. Jamais les philosophies, les spiritualités, les religions et les courants de la psychologie ne se sont autant rejoints que sur cette question de la relation de soi à soi dans la gestion de la relation de soi à autrui. La nature et l’humanité,  avec leur unicité et leurs couleurs, nous renvoient à notre être le plus profond : avec ou sans microcosme, avec ou sans Dieu, avec ou sans inconscient, il faut chercher l’harmonie et la paix avec soi et accéder à l’autre, en moi, me découvrir, en lui. La raison, avec laquelle notre conscience chemine d’abord pour aller de la simple reconnaissance de l’autre vers sa connaissance et son respect, ouvre insensiblement la voie au cœur. Ce dernier, en comprenant, apprécie et, en appréciant, apprend à aimer. Le chemin est difficile et l’éducation bien longue : une rencontre avec l’autre, un retour à soi, un dépassement de soi, une initiation. Le sentier de la tolérance s’arrête aux abords de l’esprit décidé ; le chemin du respect est la clé du cœur qui s’est ouvert. Il s’agit  d’apprendre à la raison devenue raisonnable l’essence et les raisons de l’affection et de l’amour.

Rien n’est jamais acquis néanmoins : le rejet, l’intolérance, la xénophobie, le racisme individuel et institutionnalisé, le prosélytisme missionnaire, les tentations colonisatrices, les vérités imposées et les suffisances collectives, passionnées, voire hystériques et sourdes, ne cesseront jamais de menacer les hommes, riches ou pauvres, et les sociétés, industrialisées ou non. Les êtres humains ne seront jamais définitivement à l’abri de cette part sombre de leur humanité. Les spiritualités, les philosophies et les religions traversent l’Histoire afin de nous rappeler ces fragilités, ces vulnérabilités, ces risques : elles sont autant de rappels sur la route comme le sont leurs propres excès. Il s’agit d’observer le monde et de s’observer avec l’humilité de ceux qui sentent et qui savent, tout au fond de leur être, qu’il importe de s’engager dans une éducation d’humanité continue, toujours renouvelée. Apprendre à écouter et à s’écouter, tous les jours, toujours. Une vérité : rien n’est jamais vraiment acquis – ni le respect ni l’amour.

8 Commentaires

  1. La campagne aérienne des États-Unis en Irak et en Syrie laisse songeur : on ne saurait détruire un groupe terroriste exclusivement par des bombardements aériens. En Irak, les États-Unis et le CCG ont couplé leurs actions avec celles de troupes irakiennes ou kurdes au sol. En Syrie, ils ne disposent d’aucune force sérieuse pour lutter contre l’Émirat islamique. Et même dans ce cas, « ces bombardements ne sont pas capables d’affecter les capacités de l’Émirat islamique ou ses opérations dans d’autres régions d’Irak ou de Syrie », selon le général William Mayville, chef des opérations à l’état-major états-unien [1].

    Au demeurant, et malgré les déclarations officielles, l’Émirat islamique est une création des États-Unis et du CCG, qui sert leurs intérêts et n’a pas démérité :
    • En mai 2013, le sénateur John McCain venait illégalement en Syrie rencontrer l’état-major de l’Armée syrienne libre (modéré), dont Abou Youssef, alias Abou Du’a, alias Ibrahim al-Baghdadi, l’actuel calife Ibrahim (chef des extrémistes) [2].
    • En janvier 2014, Reuters révélait que le président Obama avait convoqué une séance secrète du Congrès au cours de laquelle celui-ci vota le financement et l’armement des « rebelles » en Syrie, y compris ceux de l’Émirat islamique jusqu’en septembre 2014 [3]. Il s’agissait bien d’une séance secrète et non pas simplement à huis clos. L’ensemble de la presse états-unienne ayant respecté la censure de cette information.
    • Fière de cette reconnaissance la télévision publique saoudienne revendiqua alors le fait que l’Émirat islamique était dirigé par le prince Abdul Rahman al-Faiçal [4].
    • De son côté le chef du renseignement militaire israélien, le général Aviv Kochavi, mettait en garde face à une multiplication des combattants anti-Syriens et révélait que les membres d’Al-Qaïda, dont ceux de l’Émirat islamique (qui n’avaient pas encore divorcé) étaient entraînés [sous contrôle de l’Otan] dans trois camps en Turquie, situés à Şanlıurfa, Osmaniye et Karaman [5].
    • En mai 2014, l’Arabie saoudite livra à l’Émirat islamique des armes lourdes neuves achetées en Ukraine et quantité de Toyota neuves pour envahir l’Irak. Le transfert fut assuré par un train spécial affrété par les services secrets turcs.
    • Le 27 mai, Massoud Barzani, président du gouvernement régional kurde d’Irak, se rendait à Amman pour coordonner l’invasion de l’Irak entre les Kurdes irakiens et l’Émirat islamique. Une réunion supplémentaire se tenait, toujours à Amman, avec de nombreux partenaires sunnites, le 1er juin [6].
    • Début juin, l’Émirat islamique et le Gouvernement local du Kurdistan passaient à l’attaque. L’Émirat islamique, conformément à sa mission, semait la terreur de manière à réaliser le nettoyage ethnique que l’armée des États-Unis avait été incapable de faire en 2003. Ainsi se réalise le plan de l’état-major états-unien, adopté en 2001, de remodelage du « Moyen-Orient élargi ».

  2. Salam…

    comment combien pourquoi toujours d’un lien identique et sacré entre les vies les temps et leurs reflets, le respect mène à la paix et la paix veille au respect, qui sait et qui ne sait autrement…

    sans déconsidérer l’origine méconnue et la maturité lente épisodique et caractéristique de cette prise ou mise en conscience positive constructive et mutuelle, le respect, comme tant d’autres facultés primordiales et nécessaires à toutes activités probantes et humaines, fait partie indivise et prenante de ces/nos réalités évolutives essentielles et existentielles qui, lorsque vous les ignorez les évitez et/ou les dénigrez ne peuvent que se dresser se défendre et se combattre intemporellement face à cette contrainte en carence d’intégralité, comme résurgentes à leur seul et véritable principe intégré, tout à fait résistant, cohérent, et mesuré à toutes issues favorables et consenties de par cette seule et même évidence que peut être, sans nul doute, la vie et son, et ses composés…

    pour ce que relève et révèle le respect humain et commun au fil des vastes tolérances honorifiques et légitimes entre tous rapports d’être, et selon bien des réalités relatives éducatives et successives à tous comportements et à tous suivismes d’ensembles de toutes époques, le respect en lui même dépasse suffisamment la raison ordinaire et naturelle pour lui offrir, ou lui débattre, toujours aussi fastueusement, donc sans rôle ni but dominant, sa complète et unique valeur, mais, bien au delà de ce constat, c’est bien lui qui la déclare la consigne et/ou la détermine, ou non, à cette efficience ou à cet intérêt, parmi des façons impartiales unanimes et égales, « façons » toutes constituées et érigées au nom de chacun(e) et entre tous genres ou types de frontières, les limites culturelles spirituelles et, aujourd’hui, politiques de l’esprit étant les plus souvent sollicitées en matière de respectabilité, « responsable »…

    en fait, et face au dit respect, global, vivant, important, chacun(e) peut aisément remarquer, ici ou ailleurs, qu’un grand nombre de rapports s’apporte et s’entretient à traiter trop souvent du sujet par les voies récurrentes et défavorisées du manque ou du non respect de la raison commune*, comme contre sa véritable et incomparable pertinence alliée d’existence, et bien que celle-ci* puisse désigner à soi comme à tout(e) autre un lien vers et pour LE BIEN COMMUN DE LA VIE, les libertés d’un ou plusieurs sens particuliers, proches ou lointains, visibles ou invisibles, encerclés et retranscrits au gré d’une foule de valeurs ancestrales impériales et patrimoniales, s’octroient, et dispensent, à leur tour, une somme non négligeable et fortement préjudiciable à chacun(e) produisant nombreux désaccords dramatique et planétaire, eu égard des différences et des tragédies accumulées répercutées et déstabilisantes entre des êtres et des peuples, encore bien insatisfaits de cette immense interférence…

    donc bien plus qu’un idéal tolérant ou toléré car fondamental à l’humanité, ici bas et quelle que soit la raison première intermédiaire et/ou finale d’une perspective individuelle ou collective, dans la joie dans la peine, dans l’amour dans la colère, dans l’histoire dans le temps…, le respect intégral de la vie représente la ligne fondamentale des valeurs et conforte l’autorité principale des hommes, serait-ce alors juste, ou injuste, qu’autant de mémoires, même si respectables et convergentes à leurs idées, dominent et confisquent, sur le passé le présent et l’espoir des hommes, autant d’éventualités et de volontés humaines à naître, encore et toujours, du même respect…

    …KHassan…Salam…merci…

  3. Respect !
    Une petite note encore :
    En langue arabe, le respect a cette racine « h-r-m » d’où les « hou-rou-maat » (féminin, pluriel), qui peuvent désigner des lieux, des personnes ou autres notions plus abstraites. Les « hou-rou-maat » représentent ce qu’on doit s’interdire de franchir/humilier/détruire/s’approprier… et l’interdiction est divine ou non. On s’interdit quelque chose quand on est enclin à le faire, mais que des règles l’empêchent, l’interdisent. C’est donc qu’un effort est demandé pour sauvegarder, protéger ces « hou-rou-maat ».
    Le respect (« Ihtiraam » en arabe) c’est un auto-rappel à observer les interdits (moraux/autres).

    Que la paix et les bénédictions de Dieu vous accompagnent.

  4. Merci pour ces mots et ces idées qui touchent profondément et qui inspirent pour un meilleure comportement de chacun et une meilleure vie pour tout le monde.
    Que Dieu vous garde et vous donne toute l énergie pour inspirer et guider des millions d êtres humains.

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