Tolérance et respect 1/4

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Observer l’horizon. De sa vie, de l’infini et des finalités. Chercher le sens, l’harmonie et la paix. Intime besoin, quête universelle. Nous sommes en route avec notre conscience, nos convictions, nos questions, nos amours et nos espoirs. Il y aura des joies, du bonheur, des larmes, des souffrances et bien des doutes sur le sens de la vie, les signes, les absences et la mort. Si l’on se prend à regarder autour de soi, à observer les individus et les sociétés, à étudier les philosophies et les religions, on comprend que notre solitude est partagée. Notre solitude est plurielle, notre singularité est ressemblance. Pourtant les chemins sont multiples et les voies infinies, depuis les temps les plus reculés jusqu’à notre époque, dans nos villes, nos rues, notre voisinage : cette unique humanité se distingue par sa diversité et ses différences. Nous n’avons pas le choix, finalement.

Cette disposition intellectuelle nous permet-elle pourtant d’accéder à l’acceptation du réel et de sa diversité ? Nous suffit-il d’observer et de savoir que nos quêtes et nos  espérances sont identiques, que nous avons à composer avec nos différences pour pouvoir effectivement reconnaître nos similarités et gérer positivement nos distinctions ? Assis devant un bureau,devant un café ou au moment du repas, dans nos salles de classe, nos salons, nos salles à manger ou nos salles de conférences et de congrès, tout cela est possible, dit et répété, avec la conviction et la sagesse de nos intelligences et de notre humanité. La grandeur d’âme des êtres humains, en théorie, ou lorsque leur quotidien ou leurs richesses ne les exposent que très marginalement à la différence de l’autre, est bienvenue, certes, mais elle ne dit rien sur la vie et ne résout pas les difficultés de la diversité. Élaborer de grandes et belles philosophies de la tolérance et du pluralisme quand nos modes de vie nous ont enfermés dans l’univers clos des amis qui nous ressemblent est une déclaration de générosité et de bonnes intentions très virtuelles. Cela équivaut à s’afficher, intellectuellement, antiraciste alors que dans la vie de tous les jours l’on ne croise pas, ou si peu, de Noirs, d’Arabes ou d’Asiatiques (ou, inversement, de Blancs quand on est noir, arabe ou asiatique). Être contre l’antisémitisme ou l’islamophobie en vivant, volontairement ou non, à une distance respectable des juifs et des musulmans est, certes, honorable, mais ne révèle rien, au fond, des véritables dispositions personnelles de l’être humain qui théorise ainsi. Le ghetto a ses  caractéristiques et ses conséquences : qu’il soit physique, social, intellectuel ou mental, il nourrit toujours chez ses membres des projections plus imaginaires que vraies sur soi ou le monde environnant. Dans les ghettos de l’intelligence et des théories idéalistes, il est beaucoup d’intolérants et de racistes qui s’ignorent. Assurément.

Observer l’horizon, pour appréhender, en conscience et en intelligence, la diversité nécessaire des êtres humains, des routes et des chemins n’est que le début du défi. Cela ne suffit pas, cela ne suffit jamais.Faire face et gérer la diversité, cela exige de sortir des belles idées théoriques et idéalistes et de se plonger dans la vie réelle ; de se libérer du ghetto de la noble et sécurisée intelligence pour pénétrer dans l’univers des émotions brutes, tenaces, parfois folles et dangereuses ; de passer de l’ordre maîtrisé de l’esprit aux tensions et aux désordres chaotiques du coeur et des entrailles, des « tripes » pour utiliser le langage commun bien plus expressif. Vivre et rencontrer l’autre, avec ses  différences de peau, de tenues vestimentaires, de croyances, de coutumes, d’habitudes, de psychologie et de logique intellectuelle, nous renvoie à nous-mêmes, à nos horizons intérieurs, à nos intimités. Notre esprit n’est point maître de tout : nos certitudes et nos habitudes peuvent être simplement ébranlées, mais nos émotions réagissent et s’expriment également. Loin des salons et des salles de conférences, elles peuvent aisément prendre possession de nous. L’« autre », tous « les autres » et toutes leurs différences visibles et/ou supposées sont les révélateurs des dimensions autant lumineuses que sombres de notre humanité. Si « les autres » paraissent convaincus et sereins, alors que nous ne sommes nous-mêmes pas sûrs de nos vérités, s’ils dérangent notre espace vital par leur visibilité ou perturbent nos habitudes par leur présence, s’ils semblent nous voler le peu de travail, si leurs richesses nous rappellent nos difficultés, voire notre pauvreté, alors ils réveillent en nous des émotions qui sont à l’être humain ce que l’instinct de survie est à l’animal. La réaction est à peine contrôlable : tous les beaux discours volent en éclats, nous voilà renvoyés à notre humanité brute et il faut composer avec des émotions, des dispositions du cœur et nos « tripes » qui colonisent notre esprit et l’envahissent de peur, de suspicion, de rejet et de préjugés. Le racisme purement intellectuel est minoritaire, souvent marginal. Ce qui nourrit le rejet de l’autre – consciemment ou non – est toujours un mélange de doute, de crainte, d’insécurité, d’habitudes perturbées, s’ajoutant à des rapports de richesse, de nombre et de force, réels ou fantasmés : les problèmes du quotidien, l’immigration, le chômage, la pauvreté, la sensation d’être dépossédé, envahi, etc. On est bien au cœur de l’humanité et de la vie : on peut bien mépriser et condamner les dogmatiques et les racistes dans les espaces feutrés de nos salons et de nos salles de réunion, il est injuste de ne pas prendre l’exacte mesure des peurs et des doutes – souvent très instinctifs – qui, dans la réalité, produisent les pires rejets de l’autre. Ce qui ne signifie pas justifier ou minimiser le racisme, l’intolérance et la xénophobie, mais comprendre d’où ils naissent, comment ils prennent corps et comment, enfin, ils peuvent être alimentés et instrumentalisés. La force des discours populistes de rejet tient exactement à cette capacité de réveiller et d’atteindre les émotions brutes, les peurs, les « tripes » et de leur donner des raisons et des explications simplifiées. Les discours théoriques idéalistes doivent se réconcilier avec la vie et ne rien mépriser des dimensions réalistes de l’humain.

 

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  1. […] © Tariq Ramadan Observer l’horizon. De sa vie, de l’infini et des finalités. Chercher le sens, l’harmonie et la paix. Intime besoin, quête universelle. Nous sommes en route avec notre conscience, nos convictions, nos questions, nos amours et nos espoirs. Il y aura des joies, du bonheur, des larmes, des souffrances et bien des doutes sur le sens de la vie, les signes, les absences et la mort. Si l’on se prend à regarder autour de soi, à observer les individus et les sociétés, à étudier les philosophies et les religions, on comprend que notre solitude est partagée. Notre solitude est plurielle, notre singularité est ressemblance. Pourtant les chemins sont multiples et les voies infinies, depuis les temps les plus reculés jusqu’à notre époque, dans nos villes, nos rues, notre voisinage : cette unique humanité se distingue par sa diversité et ses différences. Nous n’avons pas le choix, finalement. Cette disposition intellectuelle nous permet-elle pourtant d’accéder à l’acceptation du réel et de sa diversité ? Nous suffit-il d’observer et de savoir que nos quêtes et nos espérances sont identiques, que nous avons à composer avec nos différences pour pouvoir effectivement reconnaître nos similarités et gérer positivement nos distinctions ? Assis devant un bureau,devant un café ou au moment du repas, dans nos salles de classe, nos salons, nos salles à manger ou nos salles de conférences et de congrès, tout cela est possible, dit et répété, avec la conviction et la sagesse de nos intelligences et de notre humanité. La grandeur d’âme des êtres humains, en théorie, ou lorsque leur quotidien ou leurs richesses ne les exposent que très marginalement à la différence de l’autre, est bienvenue, certes, mais elle ne dit rien sur la vie et ne résout pas les difficultés de la diversité. Élaborer de grandes et belles philosophies de la tolérance et du pluralisme quand nos modes de vie nous ont enfermés dans l’univers clos des amis qui nous ressemblent est une déclaration de générosité et de bonnes intentions très virtuelles. Cela équivaut à s’afficher, intellectuellement, antiraciste alors que dans la vie de tous les jours l’on ne croise pas, ou si peu, de Noirs, d’Arabes ou d’Asiatiques (ou, inversement, de Blancs quand on est noir, arabe ou asiatique). Être contre l’antisémitisme ou l’islamophobie en vivant, volontairement ou non, à une distance respectable des juifs et des musulmans est, certes, honorable, mais ne révèle rien, au fond, des véritables dispositions personnelles de l’être humain qui théorise ainsi. Le ghetto a ses caractéristiques et ses conséquences : qu’il soit physique, social, intellectuel ou mental, il nourrit toujours chez ses membres des projections plus imaginaires que vraies sur soi ou le monde environnant. Dans les ghettos de l’intelligence et des théories idéalistes, il est beaucoup d’intolérants et de racistes qui s’ignorent. Assurément. Observer l’horizon, pour appréhender, en conscience et en intelligence, la diversité nécessaire des êtres humains, des routes et des chemins n’est que le début du défi. Cela ne suffit pas, cela ne suffit jamais.Faire face et gérer la diversité, cela exige de sortir des belles idées théoriques et idéalistes et de se plonger dans la vie réelle ; de se libérer du ghetto de la noble et sécurisée intelligence pour pénétrer dans l’univers des émotions brutes, tenaces, parfois folles et dangereuses ; de passer de l’ordre maîtrisé de l’esprit aux tensions et aux désordres chaotiques du coeur et des entrailles, des « tripes » pour utiliser le langage commun bien plus expressif.Vivre et rencontrer l’autre, avec ses différences de peau, de tenues vestimentaires, de croyances, de coutumes, d’habitudes, de psychologie et de logique intellectuelle, nous renvoie à nous-mêmes, à nos horizons intérieurs, à nos intimités. Notre esprit n’est point maître de tout : nos certitudes et nos habitudes peuvent être simplement ébranlées, mais nos émotions réagissent et s’expriment également. Loin des salons et des salles de conférences, elles peuvent aisément prendre possession de nous. L’« autre », tous « les autres » et toutes leurs différences visibles et/ou supposées sont les révélateurs des dimensions autant lumineuses que sombres de notre humanité. Si « les autres » paraissent convaincus et sereins, alors que nous ne sommes nous-mêmes pas sûrs de nos vérités, s’ils dérangent notre espace vital par leur visibilité ou perturbent nos habitudes par leur présence, s’ils semblent nous voler le peu de travail, si leurs richesses nous rappellent nos difficultés, voire notre pauvreté, alors ils réveillent en nous des émotions qui sont à l’être humain ce que l’instinct de survie est à l’animal. La réaction est à peine contrôlable : tous les beaux discours volent en éclats, nous voilà renvoyés à notre humanité brute et il faut composer avec des émotions, des dispositions du cœur et nos « tripes » qui colonisent notre esprit et l’envahissent de peur, de suspicion, de rejet et de préjugés. Le racisme purement intellectuel est minoritaire, souvent marginal. Ce qui nourrit le rejet de l’autre – consciemment ou non – est toujours un mélange de doute, de crainte, d’insécurité, d’habitudes perturbées, s’ajoutant à des rapports de richesse, de nombre et de force, réels ou fantasmés : les problèmes du quotidien, l’immigration, le chômage, la pauvreté, la sensation d’être dépossédé, envahi, etc. On est bien au cœur de l’humanité et de la vie : on peut bien mépriser et condamner les dogmatiques et les racistes dans les espaces feutrés de nos salons et de nos salles de réunion, il est injuste de ne pas prendre l’exacte mesure des peurs et des doutes – souvent très instinctifs – qui, dans la réalité, produisent les pires rejets de l’autre. Ce qui ne signifie pas justifier ou minimiser le racisme, l’intolérance et la xénophobie, mais comprendre d’où ils naissent, comment ils prennent corps et comment, enfin, ils peuvent être alimentés et instrumentalisés. La force des discours populistes de rejet tient exactement à cette capacité de réveiller et d’atteindre les émotions brutes, les peurs, les « tripes » et de leur donner des raisons et des explications simplifiées. Les discours théoriques idéalistes doivent se réconcilier avec la vie et ne rien mépriser des dimensions réalistes de l’humain. […]

  2. En réalité nous sommes tous des  » Loup-garous », la bataille entre l’humain et l’animal, la difficile réflexion contre le besoin irrépressible de défendre son « territoire » (intérieur, comme extérieur).

  3. Premièrement, quel dogme arrive à survivre face à une conscience éveillée, une conscience qui reconnaît et qui assume la diversité attestée par la réalité ? Deuxièmement, à l’arrivée, est-ce qu’on ne retomberait pas dans un autre dogme, qu’on nommerait le « réalisme humaniste » ? Choisir, c’est renoncer …

  4. Salam…

    au coeur des ensembles et parmi bien des horizons physiologiques idéologiques techologiques, qui n’entendit jamais, qu’au delà « des parfois », il se murmure ou s’affirme substantiellement que « c’est (ce peut etre) un détail qui fasse, ou fait, toute la différence… », mais pour chacun(e) il n’est en rien interdit ni contrevenant d’imaginer ou de croire que ce meme détail, ou un autre, de meme espèce, puisse faire lui aussi, tout autant, toute la lumière toute l’unicté toute la somme de ce que le respect et la tolérance impliquent en toute légitimité et désignent en toute légalité, au titre de la bienveillance commune et des rapports dignes, sans omettre la moindre valeur des tailles d’un acte ou d’une parole portant à chaque éléments, temporels et vivants, le sens ou la raison d’une séquence d’une pensée, temporelles et vivantes…

    alors, bien sur, des détails, incorporant sans équivoque le respect d’une globalité naturelle et la tolérance extreme d’une vérité universelle, sont-ils partout et tous des valeurs mesurables des accessoires circonstanciés ou des réalités occasionnelles, attestant par la meme leurs particularités adjacentes autant que leurs impartialités évidentes, à titre individuel ou universel, néanmoins reste que peu d’exemples dans l’histoire contribuent à définir positivement simplement et unanimement les détails communs, ou moins, et l’horizon humain, et naturel, d’une vie, ou d’un extrait…

    mais, peut etre, quand meme, au fil d’une importance qualifiée juste, par endroit des justices et des changements de la société humaine, la peine capitale et mortelle est, ou justifie, assez largement l’un de ces récents détails, (par l’exemple des échelles si je puis me permettre), qui fut estimé à et pour chacun(e) comme la primauté du droit à la vie entre tous actes perpétrés et toutes paroles émises, et fit subitement disposer une égalité au rang de l’Humanité et de la Fraternité, laissant sans liberté et sans contre partie détaillée cette autre nouvelle et pénible circonstance, ainsi donc, maintenant, « sauver » une vie s’accroit-il du pire qu’il soit, du meilleur qu’il manque, sauver la paix c’est offrir la tolérance des hommes et garantir le respect de la vie…

    tout ceci n’est peut etre que pure « pensée », intellectuelle ordinaire ou citoyenne, car au plus simple de quelques quetes, « immortelles », la tolérance ajoutée au respect fait obtenir en toutes perpectives que la paix soit un seul et meme résultat, et donc une valeur commune et absolue dans l’existence, mais où se situe l’oubli… la mémoire… l’histoire… le déni… pour qu’aujourd’hui, de plus en plus, des milliers, des millions de pensées émanent librement pacifiquement et frolent sans jugement dramatique quelques fréquences existentielles, d’autres s’invitent aussi diversement que culturellement parmi des séquences essentielles de la réalité, laquelle se partage indéfiniment, meme si autrement, assurément…

    ainsi donc, et entre tout cela, des causes historiques unies ou désunies sous le meme signe des hommes, signe regroupant au gré de la vie, la tolérance le respect le commun la paix l’égal le vrai,… et leurs renaissances, luttent sans cesse au travers de chaque somme découverte ou parmi chaque différence ignorée, pourtant il est inévitable que la tolérance et le respect n’ont pas 37 000 degrés ni mille et un choix sans relativité potentiellement, et exponentiellement, humaine, et partagée…

    aller, que la paix soit avec vous, et la force suivra…

    …KHassan…Salam…merci…

  5. Mon Dieu pardonne-nous notre faiblesse. Pardonne-nous de ne point trouver les mots, des mots plus forts, qui peuvent passer outre l’écran trompeur que d’autres humains dressent pour empêcher que ta lumière pénètre les coeurs en quête de paix et de bonheur.

  6. Je pense que si tout un chacun pouvait se mettre à la place de l’ « autre », on éviterait bien des drames. L’empathie manque terriblement. Par contre, l’esprit guerrier, la loi du plus fort (celui qui se met en devoir de piétiner les faibles), la logique du profit avant tout et au détriment de tout le reste (de valeurs morales, « humaines », éthiques…), tout cela est consciemment célébré et encouragé. La question alors est de savoir le rôle des penseurs et des philosophes, quand -en observant ce beau monde- ils théorisent ces principes de respect et de tolérance, principes parfaitement bien bafoués par la plupart ? Est-ce pour donner bonne (ou mauvaise ?) conscience à l’humanité qui s’entretue, se tape dessus et se moque de son humanité ?
    Le « bien » est reconnaissable, et le « mal » aussi. Le non respect de l’autre est « mal », on le sait, les enfants l’apprennent à l’école… Mais, sortis de l’école, ils voient rarement ces belles théories mises en pratique. L’éducation au respect des autres et à la tolérance, et en général aux valeurs universelles, passe par l’engagement des éducateurs, des parents, de la famille au sens large, des amis, et de toute une société, pour le respect de ces valeurs. Un engagement ce n’est pas juste des lignes écrites ou lues devant un parterre d’étudiants ou de séminaristes, c’est un engagement à toute épreuve, dans toute situation (sinon, ce n’en est pas un).

  7. salem ailaikoum tout à fait vrai nous subissons ce racisme au quotidien essayons de changer cela avec l aide allah inshallah mon frère continu ainsi car ton site m apporte beaucoup au niveau humain balkou allah oufik salem ailaikoum

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