Des civilisations 1/5

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Nous ne cessons de parler de «civilisation» et nous ne sommes pas même d’accord sur la définition du terme et le contenu du concept. Certains se réfèrent à des définitions plus ou moins précises ; d’autres à un corps d’idées qu’ils rapportent à la notion de «civilisation» ; d’autres encore s’appuient sur l’«intuition» d’une entité existant «quelque part» et se traduisant par les liens naturels qui s’établissent entre les hommes et les sociétés partageant des valeurs communes ; alors que d’autres enfin y décèlent la terminologie paternaliste des «dominants». Même si cette confusion est troublante, il n’en demeure pas moins que la référence constante au concept de «civilisation» a effectivement créé des catégories, des «perceptions» qui reconnaissent des entités, des grands ensembles, des univers de référence où l’on dit «nous» et à partir desquels on se différencie des «eux».

L’étymologie du concept, son évolution et les différentes façons dont on l’a interprété au cours de l’Histoire sont éclairantes. La racine latine «civilis» est la forme adjectivale de «civis» (citoyen) : elle renvoie à la société régulée par la loi permettant d’agencer l’espace public, l’espace civil, et d’organiser les relations interpersonnelles entre ses membres. À la source, il y a donc des êtres humains, un cadre légal, l’établissement de statuts différenciés entre les individus (à l’intérieur ou à l’extérieur du groupe en question) et appartenant à une société organisée avec ses normes de comportements formels ou informels (une «civilité» pour reprendre un terme de même racine et auquel nous nous sommes référés plus haut). On a affaire ici à une première définition qui tente de déterminer objectivement les éléments qui font d’une collectivité humaine une société «civilisée», au sens où elle est régulée par des lois. Or, on s’aperçoit vite que cette façon de formuler les conditions de l’espace civil et de la civilité peut déboucher sur des jugements de valeur quant au caractère plus ou moins «civilisé» d’une société : car toute société humaine, même péjorativement nommée «primitive», est régulée par des lois et détermine des statuts spécifiques à ses membres. En ce sens toutes les sociétés, et a fortiori les «sociétés primitives», sont bien «civilisées» car elles ont le caractère et les conditions de la «civilisation».

C’est qu’à l’origine même de la constitution du concept il n’existe pas seulement un regard sur soi mais également une comparaison implicite avec ce que l’on pense être «l’autre», l’autre société, celle des «étrangers» et des «barbares», encore. La définition de la «civilisation» est donc forcément relative et c’est la raison pour laquelle l’usage du concept va évoluer en fonction des représentations que l’on a de soi et d’autrui et, bien sûr, des rapports de force qui se sont historiquement établis. La relativité de la définition ne remet pas en cause le caractère impératif du processus: c’est ce qu’Ibn Khaldûn veut expliquer dans son Introduction à l’Histoire universelle (Al-Muqaddima). Les sociétés, les dynasties et les civilisations ont toutes originellement besoin d’une passerelle entre elles, une sorte de référence sociale commune, un lien du sang ou un sentiment partagé d’appartenance (asabiyya) qui va se renforcer par une communauté d’intérêts. L’organisation de la hiérarchie et de la souveraineté (mulk) et l’intégration de la religion étant les facteurs supplémentaires de sens et de liant collectifs. L’analyse psychanalytique que propose Freud au XXe siècle établit la même nécessité historique du processus de «civilisation» qu’il justifie dans son Malaise dans la civilisation par la peur et l’angoisse. Notre corps, le monde extérieur ou autrui peuvent être des sources de souffrances et de traumatismes et il faut nous en protéger: nous recherchons donc naturellement une société, une civilisation et une religion structurées comme nous cherchons un père pour nous protéger et nous rassurer (par l’ordre, les lois, la morale). Pour reprendre l’image de notre introduction, l’être humain a d’abord besoin d’un cadre, d’une fenêtre (qui distingue et qui protège le moi) par laquelle il est possible de voir et de considérer l’océan. Freud fait d’ailleurs justement référence au «sentiment océanique», qui consiste à se considérer comme membre du tout, à «faire un avec le monde», en affirmant qu’il ne peut être qu’une conséquence réfléchie et assumée seulement a posteriori. En d’autres termes, le processus de la «civilisation» qui protège est l’exact opposé de l’accès à l’universel (l’océan) qui expose. Pourtant, seul le passage par la première permet paradoxalement d’accéder à la seconde. On n’ose s’exposer que si l’on se sent protégé.

1 COMMENTAIRE

  1. La Civilisation de la ferraille.

    Certains affirment qu’elle a commencé avec les colonisateurs et les missionnaires innovateurs
    L’invasion belliqueuse et massive des continents et l’expropriation des terres par les civilisateurs

    D’autres assurent qu’elle a surgit avec la poudre à canon et les violences de la conquête des braves
    Le génocide des peuples indigènes, les pillages et dévastations des ressources et les marchands d’esclaves

    Les multinationales exploiteuses attestent qu’elle a vue le jour en somme
    Par la révolution et croissance industrielle et l’exploitation de l’homme par l’homme

    Les scientifiques soutiennent qu’elle est née avec les inventions et découvertes accidentelles
    La machine à vapeur, les armes à tuer en masse, le téléphone et la lumière artificielle.

    Les contestataires l’on située avec la protestation des peuples et la prolifération des sages
    La démographie galopante des nations, la multiplication des conflits et les guerres sauvages

    Les politiciens certifient qu’elle s’est implantée avec la démocratie, le libéralisme et la prospérité
    La médiocrité des dirigeants, l’intronisation des dictateurs ineptes et corrompus et la réforme des sociétés.

    Les écologistes la rapproche à la société de consommation désirante, la destruction de l’écosystème de la planète, et le matérialisme.
    Les poubelles spatiales, les cimetières radioactifs, la pollution et la colonisation des villes et campagnes par l’automobilisme.

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