Il avait tout pour réussir. Ayant passé ses examens mandarinaux avec succès, il était prêt à emprunter les voies de la reconnaissance spirituelle et politique. Pourtant le philosophe chinois Wang Yangming (XVeXVIe siècle) décida de rester digne et de défendre jusqu’au bout ses principes. En 1506, il prit la défense d’un fonctionnaire en s’opposant à un eunuque qui avait injustement fait jeter en prison un policier alors que ce dernier enquêtait sur la corruption au plus haut niveau de l’administration. Wang Yangming dut alors vivre l’exil, quitter sa position et ses potentiels privilèges pour avoir voulu rester fidèle à sa morale : il vivra encore d’autres situations similaires et fera systématiquement le choix de l’éthique plutôt que celui de la politique ou de la compromission. Wang Yangming vécut une illumination qui l’éloigna des principes classiques du confucianisme officiel et il ne cessa de chercher à rester cohérent avec lui-même, ses valeurs et ses objectifs. Dans son étude sur les conditions de la sainteté, il cherche la voie qui permet à l’homme d’accéder au principe de toute chose et de sympathiser avec l’essence de l’univers : il affirme que la clé de l’initiation se situe dans l’esprit auquel il faut revenir, dont il faut retrouver la pureté originelle afin de dépasser les illusions de l’ego et des désirs. Alors l’homme peut découvrir l’essence de la morale et se réconcilier avec la connaissance innée qu’il a du bien et du mal. Derrière le voile des manifestations trompeuses, l’être humain découvre le fondement moral de toute chose qui repose en lui et qu’il n’a point besoin de chercher ailleurs qu’en lui.
Grandement influencé par le bouddhisme, le néoconfucianisme de Yangming répondait positivement à la question philosophique millénaire de savoir si la morale est innée plutôt qu’acquise. Dans la lignée des grandes traditions spirituelles et des religions monothéistes, le philosophe chinois affirmait que, dans la pureté de l’état de nature, l’esprit pouvait accéder à la paix intérieure fondée sur, et confondue avec, l’attraction naturelle vers le bien. Les philosophes n’ont de loin pas tous adhéré à cette vision : même les deux thèses opposées de l’homme naturellement bon de Rousseau ou de l’homme fondamentalement agressif et prédateur de Hobbes ont ceci en commun qu’elles placent la naissance de la morale a posteriori, comme un produit de l’établissement de la loi et du contrat social. Ainsi, la morale serait moins un principe fondateur a priori qu’un instrument élaboré a posteriori et destiné à réguler les comportements humains dans le rapport des hommes les uns avec les autres (selon la théorie de Hobbes) ou dans leur relation au pouvoir (selon le contrat social de Rousseau). La question est fondamentale et la réponse apportée non moins essentielle effectivement : sur le versant spirituel, Wang Yangming fait de la morale un principe et stipule que l’action morale permet l’union, la fusion des deux dimensions dans l’esprit : celui-ci est principe et action et permet l’harmonie et la paix avec le cosmos, les éléments et les hommes. C’est le principe de foi et d’amour associé aux injonctions morales que l’on retrouve aussi dans les enseignements fondamentaux du judaïsme, du christianisme et de l’islam. Sur le versant strictement rationnel, la morale n’est point une libération mais un facteur de régulation et donc de contrainte souvent utile et positif : elle n’est pas au cœur de l’esprit mais elle trouve sa place et sa fonction entre les esprits et elle permet l’harmonisation des relations interpersonnelles.
Ce ne fut pourtant pas la seule attitude des philosophes s’inscrivant dans une démarche fondée sur la raison. Dans sa Critique de la raison pratique, Kant détermine le principe de l’autonomie de la morale qui certes exige d’établir des postulats de cohérence (la liberté, Dieu, l’immortalité de l’âme), mais qui ne repose sur rien d’autre que sa propre nécessité. Dire à la conscience de l’individu « Agis de façon telle que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans tout autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen », c’est exprimer un « impératif catégorique » de nature universelle. Ce que la spiritualité et la religion établissaient dans le cœur de l’homme au nom du sens du Tout et/ou de la foi, Kant l’établit, rationnellement, en maxime universelle en soi et dans la relation entre les individus. Dans les rigoureux méandres de la Critique et des Fondements de la métaphysique des mœurs, il retrouve quelques aspirations mystiques et affirme : « Deux choses remplissent l’âme d’une admiration toujours plus grande : le ciel étoilé au-dessus de ma tête et la loi morale dans mon cœur. »
Kant parlait de morale, avant lui le rationaliste Spinoza se référait à l’éthique. Pour ce dernier, l’éthique est le moyen pour l’homme de devenir un agent actif, de soumettre les illusions imparfaites de l’imagination à la gestion raisonnée et raisonnable de l’entendement. La tension entre les deux facultés est permanente et l’éthique donne le pouvoir à la conscience de transformer l’être en sujet. C’est entre ces deux pôles, la morale universelle qui ordonne selon Kant et l’éthique de la conscience individuelle qui maîtrise selon Spinoza, que se sont situés les débats contemporains distinguant la morale de l’éthique. Paul Ricœur admet que la distinction qu’il opère lui-même est purement conventionnelle : l’« éthique » sera, dans son vocabulaire et dans la lignée de la philosophie aristotélicienne, l’aspiration individuelle au bien (dans l’agir) alors que la « morale » est cette norme universelle qui a un caractère contraignant et qui s’impose à l’homme, comme le suggère Kant. Le philosophe allemand Habermas, lui aussi influencé par Kant, établit cette même distinction en liant l’éthique aux principes matériels de la sensibilité et aux déterminations de l’individu dans la quête du Bien alors que la morale se fonde sur les principes formels à vocation universelle. Habermas veut néanmoins soumettre l’universalité des principes moraux du juste et de la justice à l’étude critique et à la discussion. Il ne s’agit pas seulement d’affirmer avec Kant le fondement universel de l’impératif catégorique et de stipuler une règle : « Agis selon la maxime qui peut en même temps se transformer en loi universelle », mais encore faut-il ouvrir le débat et fonder l’universalité de la morale et de ses fondements sur « ce que tous peuvent reconnaître comme norme universelle ».
Du XVIe siècle en Chine aux traditions religieuses millénaires, en passant par le rationalisme, le siècle des Lumières, puis le XXe siècle, tout se passe comme si nous n’avions cessé de cheminer en cercle en rencontrant toujours – certes formulées différemment – les trois mêmes questions sur la morale et l’éthique : existe-t-il en chacun de nous (en son esprit, dirait Yangming) un sens moral inné qui serait de fait universel ? La morale est-elle un principe fondamental de l’agir ou un instrument circonstanciel de la relation interpersonnelle (qui sert à protéger ou à contrôler) ? Existe-t-il une différence (et faut-il l’établir) entre la quête individuelle et collective du bien dans l’action (l’éthique) et la norme universelle commune qui s’impose à tous (la morale) ? Les questions sur l’origine, la fonction et les objectifs de la morale ont parfois établi une distinction entre le mot latin (morale) du mot grec (éthique), mais ce qui demeure une constante – au cœur de ces débats sans cesse recommencés –, c’est la nécessité de règles et de normes qui déterminent le bien, le juste et la justice et qui, quelles que soient leurs origines, se placent à l’extérieur de chacun et régulent les relations entre tous. Que la morale soit inscrite dans mon être le plus profond ou qu’elle naisse tout au long des pérégrinations de ma raison, il est impératif qu’elle s’installe hors de ma personne, qu’elle se dépersonnalise et se transforme en éthique collective dont l’universalité pourra être discutée ou non, mais dont la fonction bienfaitrice de protection et de régulation sera reconnue collectivement. L’époque moderne a peur de la morale et est amoureuse de l’éthique. Soit, ce pourrait n’être qu’une distinction terminologique « conventionnelle » dont la fonction est de rassurer sur l’autorité, puisque la morale semble s’imposer et l’éthique se négocier. Il reste que l’action a besoin de limites et la société de normes, relatives ou universelles, négociées ou imposées. Pas de société humaine sans éthique. L’idéal est que cette éthique opère pour tous : qu’elle soit l’idéal de chacun sans être la propriété d’aucun. Les théocraties et les dictatures, par définition, pervertissent le sens de cet idéal alors que les démocraties, par les contradictions conséquentes existant entre les idéaux stipulés et les pratiques réelles, finissent souvent – et insidieusement – par faire de l’éthique commune la propriété et l’instrument exclusifs de certains (une classe sociale, une race, un genre, etc.) afin d’exercer un certain pouvoir.
Salam…
voilà ce à quoi il devrait consister insister et parvenir l’éthique, en chacun, en chacune, donc des hommes, la conscience n’étant finalement », mais heureusement, qu’un « support » établit à concevoir à recevoir et à entrevoir cet archétype naturellement humain, aucune morale aucun concept n’est en avance ou en retard des apparences culturelles et des circonstances actuelles, l’éthique n’est donc ni un pouvoir de série ni une histoire de profit à conquérir sans bénéfice universel, comme trop auparavant et du si peu qu’ils évoquent correspondent et transmettent à leurs récits, non, elle est lumineusement un devoir pacifique agissant en toutes vies et elle est subtilement un regard identique officiant en chaque êtres, en outre et à ce fait, il est plus à penser qu’une morale soit généralement admise comme une relativité argumentaire et/ou un composé élémentaire en l’éthique, les fils des toiles ne sont-ils pas toutes lettres et sont-elles bien tous mots …
…KHassan…Salam…merci…
Assalâm ‘alaïkoum wa rahmatoullah,
La beauté de ce texte philosophique pose un débat classique en ce qui concerne l’éthique, la morale, le bon, le juste, le bien. Il permet à M. Ramadan de situer son approche de l’éthique qui est véritablement devenue son étendard.
Avec mon respect, j’avoue rester sur ma faim (spirituellement, mais aussi en termes d’imaginaire politique). M. Ramadan relève rarement les contradictions des auteurs (éminents) qu’il cite. Parmi ceux-ci, Kant compte parmi ceux qu’il affectionne particulièrement; il ne manque pas de le mentionner dans ses ouvrages. Pourtant, l’idée de justice et de bien universels concernaient avant tout les hommes européens (blancs) éduqués (donc bourgeois) dans la pensée de ce philosophe allemand. Tariq Ramadan adopte peu une approche critique à mon sens par rapport à ceux-ci. Une discussion avec des intellectuels musulmans tels que Wael B. Hallaq serait peut-être fructueuse ?
L’éthique seule ne suffit pas à garantir un certain équilibre des forces et l’avènement d’une plus grande justice, d’un plus grand « bien » sur terre. Les êtres-humains sont condamnés à faire oeuvre d’ingéniosité et d’imagination politique face à des rapports de pouvoir et de domination leur étant plus ou moins (dé)favorables. Cela concerne en premier lieu ceux qui se trouvent dans la situation la moins favorable dans la mesure où on S’émancipe et on n’émancipe pas dans un élan paternaliste.
A cet égard, l’intervention de M. Finkelstein pose une question essentielle : comment contribuer à l’émergence d’une conscience (des injustices, de l’exploitation etc.) et susciter une mobilisation à l’échelon individuel et collectif ? L’éthique collective est indissociable de luttes concrètes pour instaurer un équilibre des forces. À cet égard, un verset coranique évoque le fait que si les groupes humains (dans toutes leur variété (ethnicité, religion, niveau socioculturel, genre etc.)) ne faisaient pas barrage aux excès des uns et des autres, la perversité (fassad) se propagerait. Je ne suis pas parvenu à le retrouver mais il est connu (ba’doukoum ba’da, la fassadata). Dieu nous a créé en communautés, s’Il l’avait voulu, Il aurait fait de nous une communauté unique. Cette diversité devrait stimuler la volonté de découvrir l’Autre et de le traiter sur le même pied d’égalité si l’on se réfère à la morale universelle qui semble suspendre la question des rapports de pouvoir.
L’histoire nous démontre qu’il y a toujours un équilibre des pouvoirs à conquérir; il n’est jamais totalement acquis et requiert une capacité de discernement autant que de créativité. Il exige aussi de se doter en moyens suffisant à cette fin qu’ils soient spirituels, intellectuels, matériels, socioculturels etc.. Il s’établit en vertu de principes que l’on peut qualifier d’universel pour ceux « accros » à cette terminologie qu’il importe d’expliciter et de questionner. Il s’agit aussi de répondre à des situations plus ou moins urgentes d’infériorisation et d’oppression selon sa situation concrète, de ses principes, de ses affiliations et de ses intérêts. Seul Dieu est au dessus de tout.
Que Dieu nous assiste, nous aime, nous guide, nous rapproche de Lui da’iman wa abadan.
PS : j’ai relevé des expressions que vous utilisez souvent M. Ramadan et qui tout en étant élégantes m’apparaissent un peu creuses, s’en vouloir vous offenser. Je ne suis pas philosophe ce qui peut expliquer mon sentiment. Cependant, vous avez des tournures bien à vous peut-être un peu trop flou et mou à l’instar de : « essence de l’univers », « dépasser l’illusion de l’égo et des désirs », « essence de la morale »…etc.
Si vous avez un peu de temps pour leur donner un contenu, je suis preneur.
Lire Tariq Ramadan, c’est reposer dans la félicité éternelle.
Assalâmou alaykoum wa rahmatoullâhi wa barakâtouhou,
Un texte magnifique effectivement, en particulier parce qu’il est dans la forme d’une remarquable et subtile pédagogie à destination des non musulmans ; ceci n’exclue pas l’idée que les musulmans puissent, voire doivent, s’intéresser aux textes et pensées fondateurs de la civilisation occidentale : recourir à une double référence de pensée et non uniquement à la notre islamique permet l’établissement d’un réel dialogue interculturel.
J’apprécie, professeur T. Ramadan, votre capacité à simplifier (dans le bon sens du terme) le discours/ la pensée philosophique des auteurs cités, à effectuer des liens : personnellement, je n’ai jamais eu le courage de finir un seul de leur ouvrage tellement… » ça me prend le mou », passez-moi l’expression.
Il faut dire qu’à 14 ans, j’avais entamé un ouvrage de Plutarque ; à 17 ans, « De l’esprit des lois » de Montesquieu… « traumatisée » !!! 😉
Wa salâm
A Lc
Je pense que votre ordinateur est piraté comme autant d’autrs. Essayez de consulter le site web de monsieur Tariq Ramadan en anglais (official website tarq ramadan). Vous verrez qu’il a cité le philosophe Kant et d’autres.
Bonjour , soyez pro palestinien n.est pas de casser car cela n.aide pas au contraire cela victimise!!!en plus les juifs en France n.y sont pour rien. cela n.empêche pas d.avoir son opinion , le gouvernement israélien est sioniste et injuste c.est indéniable lorsque notre premier ministre le soutien il ne faut plus voter pour lui …de toute façon au-delà de ça son travail laisse à désirer …ne nous égarons pas de la foi d’où le gros problème si nous pouvions avoir la foi de Hamas!!!nous serions beaucoup plus avancé …cette organisation dite terroriste est là pour défendre les palestinien comme a existe chaque organisation lors de chaque grande guerre « ALGÉRIE…VICHY…etc Mr Ramadan un grand merci de nous représenter je me sens forte auprès de vous et Grace à vous …je vous soutien et suis scrupuleusement vos débats à chaque phrase vous illuminez mon regard MERCI….lilA