LE POINT: interview du 30 10 2012

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Un peu plus de vingt ans après les premiers débats sur le voile et le respect de la laicité à la française, on a toujours le sentiment, que confortent les témoignages d’enseignants, mais aussi de dirigeants d’entreprises, que pour une partie de la communauté musulmane, certes minoritaire, mais pas non plus marginale, le concept de laicité ne « passe » pas…

Mon constat est bien plus nuancé. Ce que je vois, moi, depuis une trentaine d’années, c’est une très grande majorité des musulmans qui a admis cette règle. Le mouvement général va dans le sens inverse de ce que vous décrivez, même si la réalité que vous soulignez existe. Ces gens qui vivent avec la laïcité, sans problème d’aucune nature, sont en plus des individus qui ont une visibilité dans le champ social et sont insérés dans le monde du travail. A leur sujet, je parle même de « post-intégration » : ils sont français ou britanniques, et musulmans.

Que se passe-t-il pour ceux qui ne sont pas dans cette « post-intégration » ?

Il y a en effet pour ceux-là un potentiel rejet de la laïcité, mais faire ce constat ne suffit pas. Il faut comprendre pourquoi. Ils n’ont pas un problème avec la laïcité mais avec son application qui est inégalitaire. Parce que l’islam devient visible, on a peur et on impose une lecture restrictive de la loi notamment concernant les mosquées, le foulard, etc. Ces jeunes le sentent, et mon diagnostic est le suivant : ce n’est pas le respect de la règle commune qui leur pose problème, c’est le discours stigmatisant et à géométrie variable qui accompagne le rappel à la loi.

Ce serait donc uniquement un problème de ton…

Pas exclusivement. Il s’agit d’égalité et de savoir-faire. J’observe que, bien souvent, on pourrait trouver des solutions de compromis qui dégonfleraient les problèmes. On ne le fait pas. On préfère aller à l’affrontement, alors que les textes de loi, intelligemment appliqués, permettraient de se mettre autour d’une table et de trouver une solution.

Dans quels cas ?

Mais dans pratiquement tous les cas ! Je vous donne un exemple. Les cantines ne sont pas obligées d’avoir de la viande hallal pour n’avoir aucun souci avec les élèves musulmans, il suffit de proposer des menus sans viande. Mais la moindre demande d’aménagement vire au drame national…

Les défenseurs de la laïcité soulignent qu’une concession en appelle une autre, et que c’est sans fin…

Il est intéressant de réfléchir à ce que sous-entend cet argument. L’idée est que finalement, les Français musulmans ne sont pas vraiment français, que ce sont des « citoyens étrangers » qui n’ont qu’une obsession : grignoter notre espace vital et les bases de notre société. Bref, « ils souhaiteraient nous coloniser ». On alimente la méfiance et la peur et on escamote les vrais débats. L’islam est une religion française, il faut commencer à l’admettre. Il faut ensuite cesser de tout mélanger en arrêtant de d’islamiser l’ensemble des problèmes, pour ne pas aborder la problématique centrale : la question sociale. Quel est le problème des banlieues ? Le chômage, l’école, l’accompagnement social. Les crispations que vous évoquez n’en sont que la conséquence.

L’extrême gauche mise à part, il y a pourtant consensus politique sur le sujet, non ?

C’est vrai, le consensus existe et l’incapacité à résoudre les problèmes sociaux et tout aussi généralisée dans la classe politique, alors on trouve un bouc émissaire : l’islam et les controverses à répétition font écran. J’en veux énormément au Parti Socialiste de s’être aligné sur les positions populistes de l’UMP et du FN.

Un sondage paru dans le Figaro le 25 octobre souligne la mauvaise image de l’islam pour une majorité de Français.

Oui, et j’entends ici et là qu’il faudrait que les musulmans soient plus discrets dans leur façon de pratiquer leur culte, qu’ils se fondent davantage dans la masse pour se faire mieux accepter, qu’ils changent leur nom même. Je ne partage pas du tout cette façon de voir. La clé de notre acceptation n’est pas notre disparition. Peut-on gommer sa couleur de peau et son histoire ? Au nom de quoi ? La clé de notre « acceptation » en France, c’est notre participation au récit commun de la nation, c’est la participation et la contribution, la célébration des succès des hommes et des femmes des cités. Ne pas disparaître mais ajouter de nouvelles formes de visibilité.

Le succès, c’est une chose, et sans doute faut-il le mettre en valeur à l’occasion, mais l’acceptation des règles communes, c’en est une autre…

L’acceptation des règles communes est un fait acquis, je le répète. L’ennui, c’est que nous avons été trompés. On nous a dit : respectez les lois du pays, parlez-en la langue et montrez votre loyauté, et vous serez alors de vrais occidentaux. Pour une écrasante majorité d’entre nous, tout cela a été fait. Mais en réalité, les musulmans français sont aujourd’hui des citoyens de l’Etat, ils ont des droits et des devoirs. Ces citoyens français sont pourtant encore étrangers à la Nation. On a éliminé leur contribution majeure au passé de la France et on ne les considère pas comme appartenant à la culture et au récit communs. Leur présence, leur visibilité, leurs symboles sont des signes d’expansion non des signes d’appartenance. Les débats sur la laïcité ne résoudront rien si on n’a pas abordé cette question fondamentale en amont.

Puisque vous allez sur ce terrain compliqué, on pourrait vous rétorquer que siffler la marseillaise ne facilite pas l’appartenance au récit national.

Siffler la Marseillaise est à la fois très grave et fondamentalement symptomatique : voilà une génération de Français réglant un compte avec une France qui ne les reconnait que quand ils s’appellent Zidane, Debouzze ou Bent : on est un « bon Français » quand on fait gagner, rire ou chanter (en faisant de l’argent de surcroît) et non quand on se bat pour vivre au quotidien. Ils ont tort sur la forme mais ils doivent être entendus sur le fond de la question.

Si on vous suit bien, vous êtes le chantre d’un discours victimaire selon lequel c’est la France qui dans le fond ne souhaite pas intégrer. Est-ce si simple ?

Je suis radicalement opposé au discours victimaire. Il faut observer les faits et sérier les responsabilités. Les politiques, les intellectuels et les citoyens français ont tous une responsabilité. Les musulmans également et celle-ci est immense. Je ne cesse de rappeler à ces derniers qu’ils sont français, qu’ils doivent se prendre en main et devenir les sujets et les acteurs de leur histoire, qu’ils doivent se donner les moyens de l’autonomie et de la responsabilité. Je dis aux femmes aussi de ne pas être les objets de ce que les hommes souhaitent faire d’elles. Il y a bien sûr des gens et des courants de pensée qui tentent de mobiliser sur un discours victimaire, insistant sur notre faiblesse de minoritaires. Je suis en totalement désaccord avec eux. C’est d’ailleurs aujourd’hui le discours de l’affirmation et de la citoyenneté assumée et égalitaire qui l’a emporté. Je le défends depuis 25 ans. Les Français musulmans vont très vite vous surprendre positivement.

Vous évoquez les femmes, et les incitez à conquérir leur liberté. La question de l’égalité hommes-femmes ne parait pourtant pas résolue, si l’on en croit ceux que nous avons interrogés. C’est même un sujet de crispation majeure dans certaines entreprises…

L’islam n’a pas de problème avec les femmes, mais les musulmans en ont. Dans les sociétés occidentales, on assiste à un phénomène d’affirmation des femmes sans équivalent dans l’Histoire, ce qui peut être difficile à supporter pour certains. Il ne faut pas mesurer l’émancipation des femmes au port du foulard ou non, mais à l’accès à l’éducation et au marché de l’emploi, à l’égalité salariale et a l’autonomie. Voilà ce pourquoi il faut continuer à lutter. Il va falloir être d’autant plus vigilant et déterminés sur ce front que les nouveaux immigrés qui arriveront du Sud auront tout à apprendre sur ce sujet. On verra alors si la France sait s’appuyer sur ses citoyens musulmans sereinement établis et qu’elle stigmatise aujourd’hui, pour faire passer le message, ou si elle va utiliser les nouveaux arrivants pour jeter l’opprobre sur l’ensemble des musulmans. C’est un choix politique qui nous concerne tous.

Source: Le Point

1 COMMENTAIRE

  1. C’est vraiment étange que d’entendre tous les journalistes occidentaux des grand journaux vous posez les mêmes questions. Chaque fois vous répétez les choses inlassablement. Vous aves du courage !
    Et cela depuis 20 ans.
    Quand même il pourront élever le débat tous ces journalistes!

  2. Un candidat républicain au congrès américain a déclaré haut et fort que « l’Holocauste n’a jamais eu lieu » et que c’est le plus sombre mensonge de l’Histoire.

    Arthur Jones, en concurrence dans l’Illinois avec le démocrate Dan Lipinski (juif) pour le Congrès dans le 3ème district, a fait remarquer que la revendication d’un assassinat de millions de Juifs et autres personnes par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale « n’est rien de plus qu’un racket international organisé par les juifs », a rapporté le Huffington Post.
    Sources : Presstv.ir / Eutimes.net

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