Notre monde va mal. La violence et la mort sont partout, jusque dans nos rues, avec la peur et la suspicion. Ici et là- bas, le rejet de l’autre nous guette avec la crainte de la normalisation du racisme ou, pire, de la déshumanisation de nos «ennemis», ou de ceux perçus comme tels.
Il faut commencer par rappeler un certain nombre de principes forts, immuables et non négociables. Notre humanité est une et chaque femme, chaque homme, chaque enfant, blanc, noir, asiatique, arabe, avec ou sans religion et/ou spiritualité a la même valeur, la même dignité et doit être considéré et traité de façon égalitaire. On ne doit pas accepter, sous aucun prétexte, ou au nom d’une quelconque illusion, que notre vie ici a plus de valeur que la vie des autres. C’est donc avec la même indignation que nous devons refuser la terreur, la torture, le meurtre, l’extrémisme et l’oppression. Ici et là-bas. C’est avec le même respect et la même empathie que nous devons accueillir les larmes des familles et comprendre la mort des victimes. Une communauté de destin, une égale valeur. Ici et là-bas.
Pour autant nous devons tous, nous tous, du Nord au Sud, en Occident comme en Orient, refuser de nous penser en victimes. Victimes de l’autre, responsables de rien. Partout, malheureusement, on retrouve cette attitude un peu lâche, et très émotionnelle. «Ce n’est pas nous, cela n’a rien à voir avec l’islam, c’est l’Occident le responsable… ils n’aiment pas l’islam et rejettent les musulmans.» Ces propos faisant écho à: «Ces musulmans nous colonisent, ils ne respectent pas nos valeurs, ils veulent nous convertir, refusent de s’intégrer et détestent nos libertés». Dans ce nouveau monde, plus personne n’est donc responsable du chaos, justement. Si telle est la réalité, il n’y a donc plus d’espoir.
Nous avons besoin de citoyens, d’intellectuels, de politiques, de femmes et d’hommes, qui – de toutes les nationalités, toutes les appartenances et croyances – osent ensemble être constructivement autocritiques. Il s’agit d’étudier les raisons du chaos (religieuses et historiques autant que politiques et économiques), et de prendre ses responsabilités dans la recherche de solutions concrètes. Nous avons tous une part de responsabilité, il faut oser dire que certains musulmans trahissent le message de l’islam, que les gouvernements du Sud corrompus et dictatoriaux, sont indignes. Il faut avoir le courage de mettre en évidence nos contradictions en Occident quand il s’agit de défendre nos intérêts économiques au prix d’alliances inacceptables avec les pires des régimes. Nous avons besoin d’êtres humains responsables et courageux qui refusent le simplisme des lectures binaires, «eux contre nous», et développent une attitude fondée sur des valeurs universelles partagées avec lesquelles ils n’acceptent plus d’être, eux-mêmes, en contradiction. Un souci de cohérence. Ici et là-bas.
Mais les discours ne suffisent pas. Il faut travailler ensemble. Il faut un nouveau «Nous»: des femmes et des hommes déterminés et engagés qui, ensemble, brisent les cloisonnements et travaillent à des projets communs, ici et là-bas. La défense de la citoyenneté égalitaire et commune ; la protection des immigrés, des réfugiés et de leur dignité ; la promotion de l’environnement, la résistance aux politiques sécuritaires qui fracturent nos cohésions nationales et qui ont des conséquences liberticides. Plus fondamentalement, il faut lutter ensemble, et pratiquement, contre le climat ambiant de peur et de suspicion. Là commence le chaos. Oser la confiance, commencer le dialogue et être déterminé à faire avec notre semblable plutôt que d’observer et de blâmer cet autre qui nous paralyse. Notre semblable, ici et là-bas, qui nous appelle à notre humanité. Cela commence en chacun de nous : mettre de l’ordre dans le chaos qui colonise nos esprits, refuser que l’émotion nous aveugle et ouvrir nos cœurs. Ici et là-bas.
LETTRE AUX MUSULMANS DE FRANCE
Si nous imaginions que la France subissait une attaque contre des juifs parce que, selon ces combattants de l’ombre « le Christ avait été tué par les juifs, ou par la faute des juifs», les chrétiens seraient-ils coupables ?
Que penserions-nous de ces chrétiens évoquant leur irresponsabilité face à ce crime ?
Les chrétiens devraient-ils demander des excuses pour l’attaque menée par quelques illuminés invoquant leur confession chrétienne ?
Non, bien sûr. Ils devraient au contraire demander des excuses à tous ceux qui chercheraient à les incriminer, à les assimiler à ce crime espérant légitimer leur sentiment anti-chrétien au prétexte que ces meurtriers «revendiquaient leur foi au Christ ».
Il doit en être de même pour les musulmans.
Si les musulmans ont à l’honneur de faire preuve d’aménité pour toutes les victimes des attentats de Paris, ils doivent aussi avoir autant d’empathie, autant pour les victimes de cet attentat odieux, que pour les victimes collatérales que sont celles de leur propre confession.
Il serait injuste de demander aux musulmans de France de résister aux condamnations illégitimes, de faire preuve de résilience afin de se relever plus fort ultérieurement, sans dénoncer l’usurpation qu’il a été fait de leur religion, tant par ceux qui croyaient agir au nom de l’Islam, que par ceux qui voudraient les montrer du doigt pour leur foi en Dieu.
Les musulmans ne doivent pas avoir peur de s’exprimer. Tout au contraire, il est de leur devoir d’informer, de rétablir la vérité… et d’être fiers de leur religion.
Dieu est avec les véridiques.