Les défis sont nombreux et, ici encore, multidimensionnels. Même si j’affirme, avec conviction et force, que la tendance réformiste est majoritaire en Occident à l’intérieur des communautés musulmanes et que la compréhension du contexte évolue très vite, il ne faut pas être naïfs ni béatement optimistes. Le premier défi majeur reste encore celui d’approfondir tant la connaissance de l’islam que celle des sociétés occidentales parmi les ‘ulamâ, les intellectuels, les leaders associatifs, les imams et plus largement les musulmanes et les musulmans ordinaires. Cela commence par une maîtrise de la terminologie : il est impératif de mieux définir et de diffuser une meilleure compréhension de concepts tels que « fiqh », « ijtihâd », « fatwâ », « jihâd », « sharî‘a » ou encore « sécularisation », « laïcité », « citoyenneté », « principes démocratiques », « modèles démocratiques » ou encore « droits de l’Homme » et « universel ». On les lit, on les utilise mais la confusion est générale et les musulmans doivent se doter d’un discours plus clair, s’appuyant sur une terminologie mieux maîtrisée et mieux définie. J’ai essayé, depuis des années, d’entamer ce travail dans chacun des livres écrits autour de ces questions, mais la route est longue encore pour parvenir à partager, à discuter et à ouvrir un débat critique autour des concepts et de leur définition.
La clarification de la terminologie est essentielle car ses conséquences sont déterminantes. Quand j’affirme, par exemple, que la sharî‘a n’est pas « un système » ni « un corps de lois islamiques fermés » mais bien plutôt la « Voie de la fidélité aux objectifs de l’islam » (qui sont de protéger la vie, la dignité, la justice, l’égalité, la paix, la Nature, etc. ), cela a effectivement une conséquence directe sur ma compréhension du cadre légal dans les sociétés occidentales. Ainsi, toutes les lois qui protègent la vie et la dignité humaines, promeuvent la justice et l’égalité, imposent le respect de la Nature, etc., sont ma sharî‘a appliquée dans ma société même si celle-ci n’est pas majoritairement musulmane ou que ces lois n’ont pas été pensées et produites par des savants musulmans. Je suis dans la Voie puisque ces lois me permettent d’être fidèle à ses objectifs fondamentaux et donc d’être fidèle au message et aux principes de l’islam.
Avec une telle compréhension de la terminologie islamique, on comprend que les perspectives sont totalement inversées. Une meilleure connaissance de ce que la citoyenneté implique amène au même résultat. Les musulmans doivent ainsi se libérer de deux obstacles qui sont le produit d’une mauvaise compréhension de leur statut. Ils font face à la fois à un discours et à une pression qui confondent systématiquement les ordres : ils ont beau être déjà citoyens dans certains pays, ils ne cessent pourtant d’être traités comme des « minorités » parce que l’on se réfère indifféremment à leur religion ou à leur culture, alors que les sociétés occidentales sécularisées font clairement la différence entre le statut juridique et public du citoyen et l’appartenance religieuse privée du fidèle. Les musulmans ont souvent psychologiquement intégré cette perception (que l’on projette sur eux) et ils se présentent aussi comme des « minoritaires » en confondant la réalité chiffrée de leur communauté religieuse et le sens et la teneur légale de l’appartenance citoyenne. Or, dans l’ordre de la citoyenneté, du rapport à la loi ou du traitement de l’individu, le concept de minorité est inopérant : il n’existe pas de « citoyenneté minoritaire » ! Il importe donc de lutter contre cette mentalité de « minoritaires » et de s’inscrire pleinement dans la participation citoyenne sur un pied d’égalité et avec la majorité. Si on établit ensuite un lien avec la définition et la compréhension dynamique et inclusive du concept de sharî‘a que j’ai proposée plus haut, on comprend la nature de la révolution intellectuelle qui peut naître de ce travail de clarification. Ce dernier doit encore être mené partout dans les communautés musulmanes : le sentiment plus ou moins clair ou diffus de la nécessité d’un changement existe, mais il faut lui donner corps et substance par un travail de vulgarisation d’envergure.
C’est ce travail en amont qui permettra de lutter contre les tentations victimaires à l’intérieur des communautés musulmanes. En effet, en établissant clairement que l’on est chez soi en Occident, qu’il s’agit de suivre la Voie de la fidélité aux principes supérieurs ici comme ailleurs, qu’il faut cesser de se penser « minoritaires » mais qu’il est impératif au contraire de connaître autant ses obligations que ses droits citoyens participant de la majorité ; en établissant cela, disais-je, on invite les musulmans à se prendre en charge et à se libérer de la mentalité de victimes. C’est là un défi majeur : il est urgent de cesser de blâmer « la-société-qui-ne-nous-aime-pas » ou « l’islamophobie » ou encore le « racisme » et de justifier ainsi une passivité coupable. Que ces phénomènes existent, cela ne fait pas de doute, mais il est impératif de les combattre en s’engageant en tant que citoyens et en luttant contre les injustices, la discrimination, les discours populistes de stigmatisations et les hypocrisies. Cela veut dire aussi de lutter contre les discours paternalistes souvent néocolonialistes et les traitements infantilisants : depuis trente ans, l’Europe semble devoir s’occuper de « jeunes musulmans » qui sont éternellement « jeunes » et qui tardent sérieusement à devenir des adultes ayant acquis la maturité leur permettant de discuter d’égal à égal.
Le sentiment d’appartenance basé sur une connaissance plus approfondie des concepts et des objectifs est de nature à permettre aux musulmans de s’ouvrir sur les problèmes sociaux plus largement que lorsque cela concerne l’islam spécifiquement. Les questions sociales, l’instruction publique, les politiques scolaires, les associations de parents, le chômage, les sans-abri, la délinquance, la violence urbaine mais également les débats de société, l’engagement dans les partis, l’écologie, les politiques d’immigration et les relations internationales doivent les intéresser comme tous les autres citoyens. Cette ouverture reste le fait d’une minorité de citoyens de confession musulmane qui font souvent face à des soupçons ou à des préjugés tenaces, mais ils ouvrent la route d’un processus qui, même s’il est lent, est irréversible. Le défi consiste à faire en sorte que ce dernier soit compris et voulu plutôt que subi et géré de façon si chaotique qu’il pourrait devenir contreproductif et un facteur de division.
Il est impossible d’établir la longue liste des défis mais un certain nombre d’entre eux apparaissent immédiatement et nécessitent un engagement prioritaire. Il importe de s’intéresser aux processus qui attirent les jeunes vers le littéralisme le plus fermé ou encore, sur un registre plus politique, vers la radicalisation ou, dans des cas qui restent rares, vers l’action violente et terroriste. L’éducation islamique en Occident, dans sa forme autant que dans son contenu, doit être repensée à la lumière du contexte et des défis que nous avons relevés. Le discours sur la société environnante et la culture européenne doit changer de ton et d’orientation : il est impératif d’encourager les musulmans à contribuer aux cultures européennes qui sont désormais les leurs. La créativité, la contribution et la production en matière d’arts, de musiques, de littératures sont à encourager, de même d’ailleurs que la lecture d’ouvrages de tous horizons. Cette ouverture dans la confiance, cette confiance en sa richesse qui peut contribuer et offrir, cette présence dans l’échange… c’est cela qu’il faut encourager à plusieurs niveaux et dans différents domaines sociaux, politiques, culturels et sportifs bien sûr.
On doit dire un mot ici sur la question de la transmission parce que le défi est majeur et que l’on rencontre tous les jours les réalités de sa mauvaise gestion. Les jeunes générations de musulmans apparaissent vite et deviennent vite visibles dans la société alors que le phénomène des migrations continue et fait apparaître un autre type de population musulmane fraîchement immigrée. La question lancinante est on ne peut plus claire : comment transmettre les acquis en terme de compréhension, de discours et d’engagement citoyen à la fois verticalement aux nouvelles générations et transversalement pour atteindre les différentes communautés et, parmi elles, les immigrés qui arrivent sans discontinuer avec une idée de l’islam confondu avec les cultures des pays d’origine. J’ai déjà relevé ici que certains partis populistes utilisent les nouveaux arrivés pour jeter le doute sur tous les musulmans installés dans les différents pays et les medias concourent parfois à entretenir ces doutes en focalisant sur les problèmes que rencontrent certains nouveaux immigrés. La difficulté est réelle et il appartient aux citoyens de confession musulmane de penser les moyens et les méthodes d’éducation et de transmission de façon plus organisée et plus performante, sauf à voir les avancées et les acquis perpétuellement remis en cause par l’attitude de certains jeunes ou nouveaux arrivés agissant au nom de compréhensions tout à fait tronquées ou alors en se laissant instrumentaliser par sincérité et/ou par naïveté.
Salam Aleykoum, votre analyse est forte interessante et cela fait un moment que je reflechis à comprendre les raisons pour lesquelles il faudrait absolument enfermer les gens en « communautés », comme si notre existence propre ne serait audible que parceque « communautarisée ».Je pense d’ailleurs que c’est un piege d’accepter ce concept! Je vous donne un exemple. Regardez de quelle maniere en France on nous a fait passer l’ hypocritement nommé « mariage pour tous »! Le discours est de dire pas de discrimination envers « la communauté homosexuelle » cela sous entendrait que le choix, l’appartenance sexuel ne serait plus un comportement Humain mais une identité qui aurait sa propre « communauté »! On accepte donc, sous escuse de Justice Democratique, de designer un nouveau genre Humain qui doit donc jouir des meme droit que « les autres » sans souligner le non sens total du fait de melanger mariage ( qui fait donc appel au religieux) et homosexualité, qui est reconnu par les religions mais pas autorisée comme maniere de vivre!Dire cela c’est risquer de se faire injustement traiter d’homophobe, encore et toujours la bonne planque de la victimisation! Il faut donc que nous soyons tous en accord sur ce qui fait partie de la Religion, du citoyen et de la Republique car si comme pour le Saint Coran, la Laicite, la Republique est affaire d’interpretation, alors difficile de se mettre d’accord.Je pense que la laicite n’empeche en rien l’apprentissage des religions, tout en sachant que sa place est dans le coeur de chacun et ne peut s’imposer à ceux qui ne le desire pas, pour le reste Allah c’est mieux, notre seigneur n’a pas pas differentes communautés d’enfants, il y en a seulement qui ont plus de responsabilité car ils savent….. enfin je pense… je continue donc d’apprendre ma religion.
J’adhère complètement à votre message. Qu’on parle d’islam ou pas, c’est une question de bon sens ! Mais le Saint Coran est là pour nous guider et nous faire réfléchir afin de réussir une société saine, basée sur des valeurs morales. Nous pouvons l’adapter à toutes les époques, sans exagérer cette « liberté d’expressions » que chacun veut avoir, sans voir plus loin que le bon de son nez. C’est vrai que le rôle de la femme pose encore problèmes pour beaucoup de Musulmans … Elle n’a pas encore trouvé sa vraie place. Mais elle commence … tout doucement.