Les choses sont claires : soit le politique a un lien avec le religieux, et l’on a donc affaire à l’organisation théocratique dont l’histoire nous a déjà montré les dérives dogmatiques ; soit le politique est séparé de la référence divine, et s’ouvre alors l’horizon de l’État de droit fondé sur la rationalité qui trouve son parachèvement dans le modèle démocratique. Les termes de l’alternative sont évidents et l’on aura tôt fait d’affirmer que les revendications islamistes sont un retour en arrière, un obscurantisme dangereux et fanatique. Les analyses vont plus loin parfois et ne s’encombrent pas de fioritures : c’est tout l’islam qui paraît irréductible à la « raison démocratique » et l’on s’appuiera, pour prouver le bien-fondé de l’anathème, sur les propos de l’un ou l’autre des « leaders islamistes » en vogue aujourd’hui. Islam ou démocratie, en d’autres termes, organisation théocratique ou État de droit ? Il faut choisir. Tout paraît avoir été dit. Au point d’ailleurs que certains gouvernants ou certains intellectuels se voient reconnaître « une qualité démocratique », non pas par l’exercice concret des principes démocratiques, mais par leur simple opposition de forme aux « islamistes ». Si ces derniers sont « d’obscurs théocrates », leurs opposants sont forcément des « démocrates »… quels que soient les tortures, les répressions et les morts qui accompagnent leur parcours politique. Les pouvoirs en place ont su habilement jouer sur l’hypersensibilité de cette corde.
Il faut pourtant revenir aux principes fondamentaux qui sont autant d’orientations de l’activité politique en islam. On trouvera d’abord, comme nous avons déjà pu l’indiquer dans notre première partie, que l’articulation entre le donné religieux et le donné rationnel en islam ne correspond pas à ce qu’elle est, et à ce qu’elle a été historiquement, dans la culture strictement judéo-chrétienne. Il est une exigence méthodologique à laquelle on ne peut se soustraire quand on approche les grandes références de deux civilisations : elle consiste à chercher derrière les termes employés la conception générale qui leur donne sens, d’abord ; puis, à dégager, de la logique d’où elles procèdent, leur portée conceptuelle. Sauf à vouloir s’engager dans une analyse politique de l’islam – nouvellement nommé « islam politique » en partant du principe que toutes les actions liées au fait de gouverner sont, dans toutes les spiritualités, dans toutes les religions, dans toutes les cultures, dans toutes les civilisations, de même nature et qu’il suffit, somme toute, de tout juger à l’aune de la norme établie en Occident pour tout comprendre. La formulation fleure l’excès et pourtant c’est bien ce parfum qui s’échappe aujourd’hui des propos de certains chercheurs. Par ailleurs, le rejet absolu du questionnement proposé par les intellectuels occidentaux est tout aussi inconsidéré : il faut en tout, et a fortiori en politique, faire la part des choses.
Trop souvent, on s’est achoppé sur les mots et les notions sans prendre en compte le contenu réel des références respectives. Ainsi certains musulmans rejettent le terme « démocratie » en ce qu’il participe de l’histoire occidentale et « qu’il ne se trouve pas dans le Coran » ; alors que de leur côté un certain nombre d’intellectuels occidentaux n’ont qu’une idée très vague du concept de la « shûra » islamique : souvent ils l’ignorent ou la soupçonnent de « cacher » le fameux modèle d’organisation théocratique dont nous parlions. Il convient de clarifier ces éléments.
J’aime vous écouter et vous lire même si je ne partage pas souvent vos opinions. Dans votre article sur les « orientations politiques », vous indiquez « certains musulmans rejettent le terme « démocratie » …; alors que de leur côté un certain nombre d’intellectuels occidentaux n’ont qu’une idée très vague du concept de la « shûra » islamique : souvent ils …la soupçonnent de « cacher » le fameux modèle d’organisation théocratique… Il convient de clarifier ces éléments ».
Je suis impatient de connaître votre clarification.
La démocratie n’est-elle pas un régime politique dans lequel les citoyens ont le pouvoir à travers leurs représentants ? La consultation d’une Assemblée de citoyens élus (Shura) n’offre à cette Assemblée que la possibilité de donner un avis. En fait c’est un système intermédiaire entre la démocratie, la monarchie et l’oligarchie. Cette Assemblée est finalement contrainte de se plier à la décision d’un seul homme (le Chef de l’Etat). Cette Assemblée ne prend donc pas de décisions. Elle ne vote pas les lois. De plus tous les habitants (non musulmans) peuvent-ils prétendre à la citoyenneté et être membres de cette Assemblée ? Respectueusement
je suis très étonné que vous repreniez le terme de « culture judéo-chrétienne » qui à mon sens n’a jamais existé et a été inventée, au fur et à mesure du temps, après » Vatican II » pour faire accepter à l ‘opinion publique française dans son ensemble, la proéminence du sionisme ou la soumission du Christianisme , d’un point de vue, qu’il soit politique ou religieux.
Cordialement