Moi 2/5

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L’amour aussi est un voyage. Il faut se mettre en route, sortir de soi, faire le premier pas et garder l’équilibre. Il s’agit bien de cela, somme toute, d’une question d’équilibre. L’enseignement commun de toutes les spiritualités, religions, philosophies et psychologies modernes tient au fait qu’il est impératif de commencer par soi. Apprendre à se connaître, apprendre à s’accepter, apprendre à s’aimer. Ici encore, il existe un processus, des étapes et une évolution qui permettent à l’individu de mieux comprendre, d’acquérir de la maturité et, à terme, de s’assumer. Au commencement, il y a l’insouciance, le naturel, le sentiment offert : aimer, c’est le sentir, le montrer et le dire. Puis les attentes se ressentent, se traduisent et se formulent. Il faut aller plus loin. Le premier voyage de l’amour est intérieur : revenir à soi, encore et toujours, s’observer, s’étudier, s’imprégner profondément de soi. Non pas pour se noyer dans un égocentrisme aveugle et arrogant, mais pour trouver un équilibre justement. Il se pourrait d’ailleurs que la meilleure façon d’éviter cet égocentrisme soit de revenir à soi. Un paradoxe relatif : l’ego est protubérant et hypertrophié, à la périphérie de soi.

Apprendre à s’aimer, c’est apprendre à s’accepter. Entrer en soi, comme on entre dans un univers « autre », étranger, et faire le compte des qualités, des acquis et des potentiels de son être et de sa personnalité. Un regard exigeant n’empêche pas un regard positif qui nécessite une prédisposition de l’intelligence. On remarquera que tous les enseignements religieux, philosophiques et spirituels sont imprégnés, au commencement, de cette disposition fondamentalement positive qui invite l’être humain à l’initiation, au changement, à la réforme et à l’élévation intérieure. Elle en est l’essence. C’est quand ces enseignements sont pervertis qu’ils se figent et se dogmatisent en une sorte de code moral qui culpabilise, stigmatise le naturel ou obsède les consciences par les limites, la faute ou le « péché ». C’est à ce moment que les choses s’inversent et que le regard sur soi devient négatif et dépréciatif. Le mal-être s’installe et on ne se sent jamais à la hauteur de ses idéaux – quand son propre regard et son jugement définitif sur soi obligent l’individu à se condamner lui-même. Or, « l’amour est la clef », effectivement, et il s’agit d’abord de l’amour de soi, de ses qualités, de sa propre volonté et de sa capacité à progresser. Avec détermination, avec force, avec humilité : une question d’équilibre, encore. S’observer par ses qualités, par ses efforts et par ses progrès, ses résistances assumées, ses luttes gagnées, ses échecs dépassés. Ne pas compter le nombre de fois où l’on est « tombé », comme le suggère Labro, mais le nombre de fois où l’on a été capable de se relever. Lao-tseu affirmait que « l’échec est le fondement de la réussite » et la réussite consiste, de la même façon, à évaluer à sa juste mesure l’existence de cette énergie intérieure qui a permis et permet encore de dépasser ses échecs devenus des réussites. Que voit-on dans son propre miroir ? Le regard prime sur l’évaluation car, au fond, c’est le regard qui détermine l’évaluation. Notre relation à la morale dépend de notre relation à notre être : le mal s’est déjà installé si nous avons commencé par nous déprécier, voire nous détester. C’est le reproche de Nietzsche à l’égard des moralistes dans la Généalogie de la morale : quand la haine de l’humain est enseignée, la morale devient une prison pour les uns et un instrument de pouvoir pour les autres. Aller vers soi, vers sa libération, vers le Cosmos ou vers Dieu, c’est aller, et on ne peut aller sans commencer par s’aimer. Sans illusions sur soi, certes, mais sans crainte ni hésitation non plus.

Cet amour de soi se traduit de différentes façons : la lucidité consiste à ne rien nier de soi et surtout pas ses besoins. On peut certes travailler à dépasser certains besoins et certaines attentes, mais il ne peut être question de commencer par les nier. Les besoins, plus ou moins ancrés, de protection, d’écoute, de communication, de tendresse, d’affection et d’amour sont naturels et il est impossible, physiquement ou spirituellement, dans les traditions orientales monistes comme dans les traditions sémites ou occidentales dualistes, de parvenir à un équilibre et à un bien-être intérieur sans en tenir compte. Un amour de l’autre qui se fondrait tellement en l’autre qu’il nous pousserait à nier notre propre être et nos besoins est un amour fragile, instable, déséquilibré et, à terme, voué à la souffrance ou à l’échec (sauf à se fondre dans l’expérience du sacrifice absolu de soi). Le don de soi, par définition, suppose et exige qu’il y ait bien « un soi » : s’offrir dans l’amour en ne niant rien de ses besoins et de ses attentes. Cela ne veut certes pas dire tout accepter de « soi » ou d’un « soi » qui s’imposerait à nous : ce dont il est question ici est d’abord d’apprendre à s’écouter, à se respecter et, dans l’amour, à se faire écouter et à se faire respecter. S’aimer avec humilité et dignité : attendre de soi d’évoluer et de progresser, en permanence, et d’autrui de nous accompagner sans jamais nous nier, en aucune circonstance. Apprendre à s’aimer et à se faire aimer.

On a trop souvent présenté ces approches centrées sur le « moi » comme étant l’opposé de l’expérience spirituelle ou de l’inclination altruiste. La méprise est profonde. Toutes les expériences du dépassement, du détachement, de la libération ou de la proximité avec Dieu commencent par « soi » et le travail sur soi, son regard, ses désirs et ses intentions. L’amour de soi ne fait pas exception à cette exigence : loin de s’enfermer dans le moi et ses désirs, on s’engage à partir de ce qui est et, étape après étape, en s’aimant mieux, et plus profondément, on apprend à mieux aimer autrui avec ses besoins, ses attentes, ses doutes et ses espoirs. Les prophètes, les sages et les philosophes recommandaient à l’unisson de questionner nos intentions et nos objectifs. Rien n’a changé : s’écouter apprend à écouter ; n’écouter que soi nous rend sourds à autrui, et finalement à soi. Certains commencent par « soi » pour atteindre une finalité supérieure ; d’autres n’ont que « soi » comme horizon et s’immobilisent avec suffisance à l’endroit exact où débutait leur apprentissage. Les religions et les philosophies du monde n’ont eu de cesse de nous prévenir des dangers de cette dernière attitude pour nous inviter à suivre les horizons, difficiles, mais ô combien plus lumineux, de la première. Aime et sois ce que tu es car tel est le chemin qui peut te rendre tel que tu aimerais.

13 Commentaires

  1. Je trouve cette analyse d une pertinence et d une finesse qui me laisse sans voix!
    Il est bon de lire ou entendre Tariq, car j aime l intelligence éclairée de cette homme.
    Moi qui suis en mal de trouver la sérénité et le chemin de Dieu, je m élève en lisant ces phrases , telle la poésie de Gibran a sondé mon âme en mal de réponses.
    Un jour aurais je le courage de lire le livre sacré? Tant d humilité et de respect à cet égard me fige devant l idée ne serait ce que de le toucher, de l ouvrir avec une main hésitante et craintive.
    Je ne me sens pas digne de LUI, qui nous a été légué par son Messager.
    Serai je toujours aveuglé par cette vie qui assombrit mes jours et me plonge dans des nuits encore plus froides? Dieu est-il dans mon cœur et moi le suis je dans le sien?
    Que de questionnements nous assaillent, que d actes dénués de sens sommes nous capables et coupables?
    Ce non sens qui prend son essence même dans la profondeur du puit de la souffrance insidieuse qui nous habite, nous anime, se couche à notre droite, se meut silencieusement dans nos rêves et se réveille avec nous, tapissant nos horizons d un triste sort!
    Merci Tariq !!!
    Cordialement
    Houcine

  2. Salam…

    Des petits jardins au grands champs, chacun)e peut prétendre à quelques espacements individuels…

    Il y aura donc et toujours les formes de chaque besoins, celui des autres et le sien, et la raison sans virulence dominante et contrariée de chaque ressemblance, celle de tou)te)s…certain)e)s vous diront même, de leur espace, qu’une rose des sables n’a ni faute ni grâce d’eau…

    …KHassan…Salam…merci…

  3. Une remarque concernant l’emploi du verbe « aimer » ici, particulièrement le terme « s’aimer » qui dépasse -et de loin- le stade de s’accepter. C’est en plus, s’apprécier et éprouver une certaine attirance et des affinités vis-à-vis de l’autre (ou de soi-même, si on parle de « s’aimer soi même », ce qui est vraiment très … bizarre).
    Aimer quelqu’un n’est pas (ou rarement) un « acte » désintéressé : aimer c’est tenir à cette personne, parce que -égoïstement, c’àd pour notre propre égo- la présence de cette personne nous fait du bien, nous rend plus heureux, etc. Alors, nous voulons la garder tout près, ou du moins, dans nos pensées et dans notre coeur. Pour cela, s’aimer (soi-même) est un peu trop fort, et verse dans le narcissisme.
    Si on veut juste indiquer que l’on apprécie ce que l’on est, ce que l’on fait, ce que l’on a, et que -à la limite- on tient à cet état des choses, alors « s’apprécier » serait plus approprié. Pour les sentiments évoqués dans le texte, il est difficile d’imaginer une haine tournée vers soi-même (pourquoi se haïr?), ou un amour de soi-même (sauf l’amour propre, qui est de la dignité), encore moins de la tendresse ou autre… Ce sont généralement des sentiments qu’on témoigne à autrui.
    Je ne pense pas que ce sont les « sentiments » qu’on nourrit vis-à-vis de soi-même qui au départ vont agir sur la perception du « soi »: ce sont plutôt les jugements (les appréciations) qui vont faire que l’on va se détester (soi-même) ou s’accepter, et non l’inverse (on ne va pas se détester sans raison, et de là avoir une mauvaise opinion de soi-même).

  4. *Là où l’amour vrai brûle le désir est la pure flamme de l’amour. C’est le réflexe de notre enveloppe corporelle qui tire sa raison d’être de sa partie la plus noble d’exprimer seulement et uniquement le langage de l’amour.
    *Tout vient en son temps et le temps en amoindrie l’étincelle et le feu…
    *J’ai décidé de couper le cordon qui me reliait au monde et puis à l’air la liberté sur terre…
    *Comme sur une île perdue dans l’océan que je peuplerai d’une nouvelle population de gens que j’apprécierais…
    *Les choses évoluent et les gens qu’on croyait aimer se révèlent finalement pire que ceux qu’on a laissé tombé alors il faut déménager sur une autre île et ainsi de suite…
    *Je souhaite que nous devenions de meilleurs inconnus…

  5. Sortie en 2015 et que je vous remettrais in chaa llah dès que possible. Afin de vous donner un aperçu de la dérision du cinéma américain ?
    Mes sincères salutations

  6. L’amour c’est un baiser en plein coeur
    C’est un contact enrobé de chaleur
    Sur deux lèvres embrassées de bonheur
    Dans un élan infini de douceur
    L’amour c’est un échange permanent
    C’est un regard fixe qui s’éprend
    Pour des yeux qui amoureusement
    Se parlent et s’aiment silencieusement
    L’amour c’est des doigts qui se serrent
    Qui se croisent se décroisent se resserrent
    Entre deux mains qui désirent et espèrent
    Unies et jointes ne pourront se défaire
    L’amour c’est un voyage indéfini
    Une destination vers l’inconnu
    Une belle histoire ou un récit
    Que l’on partage qui ne vous quitte plus
    L’amour c’est une vague de tendresse
    Dans un océan de désir
    C’est une pluie de caresses
    Dans un vent de plaisir
    ??? Et la passion ? Que penses tu ? Cette émotion si intense qui envahisse la raison et nous fait souffrir ! Il faut laisser faire parler ses émotions les plus intenses et profonds car la passion amoureuse ne calcule pas et ne raisonne pas ? je crois que je vis en ce moment une passion amoureuse ! love ?

  7. Oh! On a besoin de toute cette philosophie et ce processus pour s’aimer.
    C’est sûr qu’on doit toujours avoir une rétroaction qui nous contrôle.
    Parfois on peut même se demander où va cet amour et cette souffrance infinie. On a tous des attentes, c’est humain et aussi c’est la façon de prouver notre amour.

  8. C’est un article intéressant je trouve sur l’amour et le processus d’atteindre un équilibre harmonieux qui nous permettrai d’évoluer c’est évident à première vue tous les propos sont logiques c’est normal t’es un grand philosophe. Mais c’est destiné à qui ?à ceux qui aiment déjà ou à ceux qui vont aimer car je trouve que ceux qui sont déjà emprisonnés dans le « piège » de l’amour c’est trop tard pour eux et vous parlez de quel genre d’amour pour les personnes entre eux pour l’amour de dieu car c’est vague l’approche est psychologique certes mais enfin on sait tous que l’amour est fou 🙂

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