Les gouvernements et principales organisations d’éditeurs et d’écrivains des pays arabo-musulmans — entre autres Liban, Tunisie, Maroc, Algérie, Palestine, Egypte, Jordanie, Iran, Yemen, Oman et Arabie saoudite — ont décidé de boycotter la 28e édition du Salon du Livre de Paris. Le président israélien Shimon Peres et nombre d’intellectuels amis d’Israël tels Bernard-Henri Lévy, Marek Halter, Elie Barnavi ou encore Tahar Ben Jelloun fustigent cette décision, tous assimilant cette démarche à un refus de la liberté d’expression, certains d’entre eux criant même à l’autodafé et à l’antisémitisme. Contrairement à ce que ces derniers expriment dans les tribunes complaisamment offertes par les grands médias français, les raisons du boycottage ne sont ni illégitimes ni scandaleuses.
Pour la plupart des intellectuels arabes, il ne s’agit évidemment pas de censurer les oeuvres des écrivains israéliens ou de s’opposer à l’existence de l’Etat hébreu, comme on tente de le faire accroire. Le sens de ce boycott, comme l’a indiqué entre autres Tariq Ramadan — qui préconise d’ailleurs plutôt une présence critique au Salon du Livre — est de ne pas laisser Israël instrumentaliser un grand rendez-vous culturel international sans manifester une opposition — pacifique — à la politique menée par ce pays. Le Salon du Livre de Paris n’est pas et n’a jamais été une rencontre uniquement littéraire, quoi qu’en disent les commentateurs pro-israéliens qui considèrent avec naïveté, ou plus sûrement avec manichéisme, que la littérature contemporaine israélienne de langue hébraïque n’a rien à voir avec la politique israélienne. Le seul fait d’avoir délibérément écarté les auteurs arabes israéliens écrivant en arabe, pourtant deuxième langue officielle parlée à Jérusalem, afin de mettre en avant les seuls écrivains de langue hébraïque, est déjà en soi un élément politique significatif. Quant à la présence de quelques figures dites de gauche vaguement ouvertes au dialogue tels Amos Oz, David Grossman ou Avraham B. Yehoshua, elle sert manifestement aux services de relations publiques à vanter la fameuse "démocratie" israélienne, argument éminemment "littéraire" s’il en est. Le Salon du Livre de Paris est une manifestation d’ampleur nationale qui célèbre chaque année la culture d’un pays "invité d’honneur" et prend forcément, et même peut-être avant tout, un sens de soutien politique à ce pays. La France, en offrant cette vitrine qui accueille près de 200.000 visiteurs à l’Etat hébreu l’année même où celui-ci entend célébrer en grande pompe le soixantième anniversaire de sa fondation, signifie clairement qu’elle prend fait et cause pour sa politique guerrière aussi désastreuse qu’insensée. Il s’agit d’une évidente caution morale à un pays qui mène depuis soixante ans une politique d’apartheid à l’encontre des palestiniens et se rend quotidiennement coupable d’innombrables violations des Droits de l’Homme, sans parler des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité (au sens juridique que la communauté internationale donne à ce dernier terme) perpétrés dans tout le Proche-Orient. En matière politique, puisqu’il s’agit donc bien de politique, on a vu la France des Droits de l’Homme un tantinet plus critique envers d’autres pays.
Source : La République des Lettres