La vie peut se révéler si surprenante et pourtant nous la voyons si banale. Nous vivons des choses qui nous semblent si naturelles qu’il nous devient impossible d’y voir quelque chose de particulier, d’unique, comme un signe. Nous ne vivons plus que comme des automates, incapables de voir ce qui nous entoure. Ou, si nous les voyons, ce ne sont qu’avec un regard de spectateur figé et insensible. Aveugles et sourds aux merveilles de la vie qui sont autant d’appels pour nous. Mais cette banalité nous conforte, nous sécurise, nous intériorise dans cette passivité sans bornes. Nous croyons être heureux et pourtant nous nous trompons tant. Or, n’y a-t-il pas pire que de vivre dans l’illusion, que de croire que nous sommes maîtres de tout alors que nous nous laissons vivre, sans donner de sens à ce qui existe ?
Peut-être avons-nous oublié l’essentiel de ce qui vit en nous, ou peut-être vivons-nous dans la plus totale illusion ? Nous croyons connaître l’amour alors que nous ne côtoyons que les plaisirs, nous croyons être maîtres de nos vies et de nos destins alors que nous nous laissons bercer et guider par la norme, par ce qui doit être, par ce qui est indépendant de notre volonté mais instauré par d’autres hommes. Et plus nous vivons ainsi, plus nous nous cantonnons dans cette illusion d’une vie merveilleuse, qui n’est en fait rien d’autre qu’une mauvaise pièce de théâtre dans laquelle nous jouons le rôle d’une personne qui n’est pas nous. Lésés, soumis à l’illusion, victimes d’une triste réalité, nous croyons être heureux grâce au confort, au plaisir, au sens superficiel de la vie.
Puis, il nous vient de temps à autres, furtivement mais avec tant de force et d’intensité, des réflexions, des pensées qui donnent un sens à notre quotidien, à chaque acte que nous vivons, à chaque sentiment qui nous anime, à chaque geste que nous faisons. Nous pensons alors que peut-être la vie a plus de sens que celui que nous voulons bien lui donner, que nous méritons d’être plus clairvoyants, plus » vivants « ; plus réceptifs au monde qui vit en nous et autour de nous.
Donner un sens, peut-être n’y a-t-il que cela qui puisse nous rendre heureux, réellement, sincèrement, sans égoïsme et sans lâcheté. Voir la réalité des choses intensément, affectivement, avec le cœur. Car, le cœur peut rendre si fort et si faible selon ce qui l’anime. Il est telle une main qui peut être si douce en donnant une caresse, quand elle est animée d’amour et d’affection mais qui peut devenir malfaisante quand elle s’anime de violence.
Tout cœur qui bat peut tant donner tant qu’il vit, tant qu’il est nourri de sentiments nobles et affectueux, tant qu’il est capable de donner sans attendre de retour, avec une sincérité avide et intense. Il donne un sens à l’essentiel de notre vie tant que nous lui permettons de vivre et de s’épanouir. Il nous interpelle sans cesse au milieu de nos occupations quotidiennes, au centre du désert affectif qui nous entoure, pour donner une profondeur, un sens, une réflexion à l’être que nous sommes.
La dimension de nos perceptions devient alors toute autre, nous devenons les maîtres de notre vie et lui donnons une autre orientation. Orientation plus intérieure, plus intense et qui jaillit du fond de notre être ; orientation qui nous ouvre à une autre vision, plus pure, plus vraie et tellement plus forte. Ce cœur nous donne aussi, quand nous l’écoutons attentivement, intensivement, la conscience d’autre chose, de plus fort et de plus grand ; il nous donne la conscience d’une perfection qui nous observe, qui nous guide et qui est capable de donner tant d’amour, qui possède plus de cœur que l’humanité toute entière.
Il se manifeste continuellement sous nos yeux, dans notre quotidien, seulement, seul le regard du cœur peut le percevoir et lui donner un sens. Seule l’écoute du cœur est capable d’entendre ce que cette perfection émanant de Dieu lui dit, seul le langage du cœur peut répondre à l’appel de son Seigneur. Seule l’intensité du cœur peut percevoir les signes de la manifestation de cette grandeur divine à travers la spiritualité profonde et intense, qui donne la plus grande des forces à tout cœur qu’elle habite. La vie devient alors toute autre. Elle se veut plus sereine et plus intense, plus active et plus paisible, plus forte et plus calme. Là où tout le monde verrait une chose banale et insignifiante, ce cœur y donnerait un sens.
Guidés par la lumière de l’intelligence du cœur, nous pouvons nous rapprocher et nous sensibiliser avec ce qui fait l’essence de notre vie, la foi intense du cœur. Dans notre intimité la plus profonde, ressentir l’essentiel et faire jaillir la lumière de la spiritualité qui nous anime, la faire agir dans notre quotidien envers nous-mêmes, envers nos proches, envers la société qui a tant besoin d’aide et de présence, d’amour et d’écoute. Au moment où chacun oublie l’autre, savoir s’ouvrir à l’autre, à son frère, à sa sœur qui souffre et qui à besoin de donner un sens à sa vie, qui cherche à comprendre, qui veut se rapprocher de cet essentiel, pour vivre sereinement avec clairvoyance, dans la lumière et dans l’orientation la plus profonde et la plus sincère. Pour enfin vivre en harmonie avec son cœur. Et, à ce niveau relationnel, chacun et chacune d’entre nous doit se rendre conscient de son devoir, celui de s’ouvrir à son frère et à sa sœur, de se donner avec amour, répondre à la main tendue, à la personne qui a besoin d’écoute, d’amour, de fraternité, de présence, qui a besoin d’un cœur qui s’ouvre à elle tout simplement…
Quand la norme s’appelle oubli, le cœur du croyant s’éveille et cherche à se rappeler. Il donne une conscience à ses actes, à ses dires, à sa vie. Il s’intériorise pour mieux s’ouvrir, pour être plus proche, plus à l’écoute de ce qui appelle son cœur à la vie. Et il cherche dans la lumière et dans la clairvoyance à vivre avec sensibilité et intelligence, avec affection et raison. Et il prend conscience de sa responsabilité devant Dieu, de son devoir d’être toujours plus proche de Lui par ses actes d’intimité avec Lui, d’abord.
Puis, il voit qu’il a un rôle, une mission auprès de tout être qui cherche ou qui se débat pour vivre avec son cœur. Il entend tous ces appels aux secours retentissants dans nos sociétés et mise sur l’action quand tout nous pousse à la passivité. Pour Dieu, avec les Hommes; au nom de l’humanité qui nous habite, dénoncer le plus grand meurtre qui existe, celui des cœurs et des consciences. Tel est le travail du croyant aujourd’hui. Allumer l’étincelle de tout cœur qui se cherche et qui a besoin d’aide et d’amour, de présence et d’affection; avec Dieu ici-bas, pour soi dans l’au-delà.
Éveiller un cœur qui s’oublie et qui souffre, comprendre les silences et y répondre, donner du sens à une vie qui se perd et qui s’engouffre dans l’enfer du désarroi et de l’instabilité, devient pour chaque frère et chaque sœur un devoir, une mission qui l’aidera à se rappeler lui-même. Plus proche de Dieu, avec les Hommes, à la manière de notre Prophète qui savait la plus grande douceur, dans le plus grand amour et avec une sagesse parfaite ouvrir et éveiller les cœurs à la douceur de la foi. Conscients que la foi et l’action isolée ne sont que diminuées, nous appelons à l’union des cœurs et de la foi quelle que soit la formulation de celle-ci. Nous nous devons de nous lier tous à cette corde et répondre à l’appel de ce qui nous fait vivre en plein milieu d’un quotidien qui appelle à la mort des consciences et de la spiritualité.
Au nom de ce qui nous fait vivre, mettre en avant la conscience et l’intelligence du cœur pour enfin donner un sens, une orientation.
Octobre 1999