MIGROS MAGAZINENommé membre de la commission chargée par Tony Blair de faire des propositions pour lutter contre l’extrémisme islamique, l’intellectuel genevois Tariq Ramadan s’explique sur le rôle de l’islam, aujourd’hui, en Europe.
Entretien avec Jean-François Duval
Faut-il encore présenter Tariq Ramadan? Petit-fils du fondateur des Frères musulmans, ex-professeur de français au Collège de Genève, Tariq Ramadan, suite aux attentats de Londres, vient d’être appelé comme conseiller par le gouvernement britannique pour faire partie d’une task force chargée d’examiner les moyens de lutter contre l’extrémisme islamique en Grande-Bretagne. La commission a rendu ses premières conclusions fin septembre. Le Genevois a également accepté un poste de professeur invité à l’Université d’Oxford, et débute son enseignement cette semaine.
Le gouvernement britannique vous a-t-il proposé de faire partie de cette «task force» pour habilement intégrercelui que Caroline Fourest, dans son livre «Frère Tariq», juge à la frange modérée d’un islam fondamentaliste?
Le gouvernement britannique s’appuie sur des sources autrement plus sérieuses qu’un livre truffé d’erreurs et de manipulations malhonnêtes. Quant à mes liens avec l’extrémisme, même le gouvernement américain n’a rien avancé si ce n’est le «Patriot Act» (réd: nouvelle loi sur la politique de sécurité) critiqué par toutes les organisations de protection des libertés civiles. Le fait que Colin Powell, sous la pression de ces organisations, des universités et de nombreux médias, m’ait demandé de redéposer une demande de visa prouve que cette décision politique ne reposait sur aucun fait. Les services de renseignements britanniques, français, suisses et américains savent très bien que je n’ai rien à voir avec le terrorisme: mon engagement dans la task force le confirme clairement.*
Si les attentats du 7 juillet s’étaient produits à Paris et non pas à Londres, vous croyez que le gouvernement français aurait fait appel à vous?
Non. Ils ne m’auraient évidemment pas appelé. Non pas parce qu’ils soupçonneraient des liens avec le terrorisme, mais parce que en France le débat autour de l’islam est terriblement passionné. En réalité, la France n’a pas un problème avec Tariq Ramadan: elle a un problème avec la religion en général, et avec l’islam en particulier. Elle a de la peine à accepter que les colonisés d’hier deviennent des citoyens comme les autres, et leur religion, une religion française. Je suis devenu une sorte de symbole-épouvantail de ces craintes.
Avec qui avez-vous travaillé au sein de cette commission de treize personnes voulue par Tony Blair?
Elle est composée de membres du Home Office, de la Chambre des Lords, d’acteurs associatifs, parmi lesquels une dizaine de musulmans. La société britannique s’est rendu compte qu’elle ne connaissait pas très bien l’islam. Après les attentats du 7 juillet, le premier discours politique de Blair affirmait que c’est aux musulmans de régler leurs problèmes. Ma position immédiate a consisté à utiliser l’image de la famille: les Britanniques musulmans, dans ce pays, sont les enfants de deux parents, d’une part la communauté musulmane et d’autre part la société britannique. Quand un enfant va mal dans une famille, les deux parents sont coresponsables, de ce qui va bien et de ce qui va mal. Il faut donc qu’ils travaillent ensemble pour trouver des solutions.
Comment se fait-il que ces «enfants» en arrivent à commettre des attentats kamikazes sur leur terre d’accueil?
Nous sommes tous un peu perplexes, car il est difficile d’expliquer les causes de la rupture qui pousse à tuer et à se tuer. Cela étant, j’ai tiré la sonnette d’alarme il y a onze ans déjà quand je séjournais à Leicester. Je trouvais fou qu’on laisse des leaders musulmans, comme Omar Bakri, répandre la haine, affirmer qu’il était islamiquement légitime de tuer John Major ou d’alimenter les peurs en clamant: «Un jour, nous planterons le drapeau de l’islam sur le 10, Downing Street».
Les récents attentats de Bali s’expliquent-ils de la même façon que ceux de Londres?
Oui et non. Les attentats de Londres ont des explications – attention pas des justifications! – que l’on peut saisir: lecture radicale de l’islam, marginalisation, autoghettoïsation, etc. Ce n’est pas le cas en Indonésie, une société majoritairement musulmane. Le seul point commun semble être la volonté de fragiliser les sociétés et de répandre l’idée que personne n’est à l’abri.
Ces attentats ne répondent-ils pas à la volonté d’instaurer un califat sur tous les pays d’Asie où se trouvent des musulmans?
Je ne crois pas. Je ne pense pas que nous ayons affaire à une stratégie globale de renversement des pouvoirs et à leur unification sous la bannière islamique. Nous sommes en face de groupuscules, pas toujours coordonnés, qui frappent partout pour répandre la peur, opposer deux camps et créer des fractures profondes.
A long terme, dans vingt, cinquante, cent ans, comment voyez-vous une Europe qui, pour des raisons démographiques, sera en bonne partie de confession musulmane?
L’islam est d’ores et déjà une religion européenne et on devrait cesser d’agiter l’épouvantail d’une Turquie qui, parce que majoritairement musulmane, ne pourrait intégrer l’Europe. Je suis assez optimiste, car ce que je perçois sur le terrain s’apparente à ce que j’appelle une révolution silencieuse et constructive parmi les jeunes générations musulmanes. Partout, en Europe comme en Suisse, la majorité des musulmans font la preuve de leur capacité à rester fidèles à leurs principes tout en vivant dans un nouvel environnement et en se montrant citoyens à part entière du pays devenu le leur. Les vraies questions sont d’ordre social: discrimination, racisme, chômage, marginalisation… Par ailleurs, ce qui est en train de se passer en Europe aura un impact extraordinairement important sur les sociétés majoritairement musulmanes. Parce que nous sommes ici à l’avant-garde de nouveaux défis, que nous tentons des réponses, et que le monde musulman nous écoute, du Maroc à l’Indonésie.
Le problème, c’est que l’islam n’est pas seulement une religion, mais qu’il comporte aussi, comme vous le dites, une dimension sociale et politique.
Je ne dis pas exactement cela…
Vous écrivez dans «Les musulmans dans la laïcité»: «L’islam entre difficilement dans les limites de l’acception du mot «religion». Dès l’origine et «dans son essence, l’islam mariait la sphère privée et la sphère publique et une recherche de réponses concrètes s’imposait.»
Ce n’est pas tout à fait ce que vous avez d’abord dit. Dans la tradition islamique, on distingue deux sphères: celle de notre relation à Dieu et celle qui concerne les affaires sociales. On les sépare mais on ne les divorce pas, au sens où nous tirons de la première sphère une éthique, des principes, des valeurs (justice, liberté, égalité, etc.) auxquels nous essayons d’être fidèles dans l’espace public. C’est ce qu’enseignent aussi les traditions chrétiennes, juives ou bouddhistes.
Donc, la séparation entre l’Etat et le religieux, vous êtes pour ou contre?
Beaucoup de musulmans vous répondront: on ne peut pas séparer l’Eglise et l’Etat, parce qu’en islam, il n’y a pas d’Eglise, pas de clergé. Je pense que c’est une mauvaise réponse. L’islam distingue les ordres: celui du dogme et celui de la rationalité, celui de l’autorité imposée par le haut et celui de l’autorité négociée par le peuple. Je suis clairement pour la séparation de ces ordres et j’affirme qu’il n’y a aucune contradiction entre l’islam et les principes de la démocratie.
Caroline Fourest vous qualifie pourtant de faux réformiste, dans la mesure où vous êtes pour un retour fondamental aux sources de l’islam.
Qu’est-ce qu’un réformiste? Quelqu’un qui, au nom de la modernité, oublie tout ce qu’il est, sa tradition, ses sources, son histoireet qui se soumet, vide de soi, aux diktats de la civilisation dominante? Ou quelqu’un qui est capable de revenir aux sources de sa tradition pour renouer avec l’énergie spirituelle et intellectuelle des origines dans le but d’apporter de nouvelles réponses aux nouveaux défis? Je veux revenir à l’esprit des origines, à un islam non pas fermé, mais créatif. J’essaie de vivre avec mon temps, mais je tiens à rester libre, fidèle à moi-même, face aux dominations que je n’ai pas choisies. Ce qu’elle reproche à mon réformisme, c’est de refuser de capituler…
Vous êtes à l’islam ce que Luther et Calvin furent au christianisme?
Hum, comparons ce qui est comparable…
Citons votre père, Saïd Ramadan, qui écrit dans sa thèse: «Toutes les idées religieuses qui modèlent l’imaginaire et le contenu de l’esprit humain et qui déterminent la volonté humaine sont totalitaires, potentiellement ou par leur principe.» Vous êtes d’accord avec ça?
Ce que mon père dit là est vrai de toute idéologie humaine. Religieuse ou athée – voyez le marxisme. Mais ce que m’offre ma religion, c’est la capacité de me méfier de moi-même. Ma vérité me dit que Dieu a voulu la vérité des autres, et que le seul moyen pour moi de respecter cette diversité, c’est de connaître l’autre et de l’écouter.
Dieu a voulu l’islam, le judaïsme, le christianisme, l’animisme, le bouddhisme, l’athéisme?…
Oui, exactement, il a voulu cette diversité, comme une saine épreuve pour notre humilité.
Votre grand-père Hassan al-Banna fut en Egypte le fondateur des Frères musulmans, pour qui «la bannière de l’islam doit couvrir le genre humain». Vous tirez fierté de votre lignée?
Ne réduisez pas mon grand-père à quelques slogans. J’ai du respect pour lui. Mon approche en ce qui le concerne est à la fois sélective et critique. Dans les années 1930, il a résisté à la colonisation anglaise. Il a fondé 2000 écoles, dont plus de la moitié pour des femmes, et 1500 centres sociaux. Il n’avait pas une pensée fermée. Je porte un regard critique sur tout ce qui a pu, ensuite, relever des slogans mobilisateurs. Sorties de leur contexte, certaines de ses citations perdent de leur sens ou peuvent être faussement interprétées.
A 21 ans, en 1947, votre père quitte l’Egypte pour aller combattre aux côtés des Palestiniens luttant contre la création d’Israël. Vous-même, reconnaissez-vous le droit à l’existence d’Israël?
Je reconnais l’existence d’Israël. Israël est là. Pour aujourd’hui et pour l’avenir, j’ai une critique à formuler et une condition à stipuler. La critique concerne la politique discriminatoire inacceptable que subissent aujourd’hui tous ceux qui, en Israël, ne sont pas juifs, et en particulier les Arabes israéliens. A quoi il faut bien sûr ajouter l’oppression des Palestiniens. Dire cela n’est pas de l’antisémitisme: je me battrai jusqu’au bout contre tout type d’antisémitisme, ou de racisme antinoir ou anti-arabe… Quant à la condition de la paix pour l’avenir, elle va exactement dans ce sens: la création d’un seul Etat où juifs, chrétiens et musulmans, Israéliens et Palestiniens, pourront partager une citoyenneté commune dans un Etat réellement démocratique.
Propos recueillis par Jean-François Duval
Salam
Je ne sais pas quand viendra ce jour mais Dieu merci, tant qu’il y aura des hommes comme vous « l’espoir est là ».
Ce serait tellement beau en effet…et malgrè le laid qui peut nous entourer, la beauté, vous en savez quelque chose…
Vous êtes un digne héritier de votre respectable famille,
de votre merveilleuse religion,
de votre « culture » occidentale et votre « mémoire » orientale dans ce qu’elles ont produit de beau…
Pour le « rêve d’espoir »,
Gardez toujours votre âme belle.
Que Dieu vous aide.
salam
Je trouve les discours de Tarik Ramadan juste. Je ne vois en lui qu’un homme brillant. Je trouve dommage que l’on porte de fausse accusation sur lui. Bonne chance frère Tarik accrochez vous à la corde de Dieu.
salam
salam aleikoum, voila ce commentaire c’est simplement pour dire que Tariq Ramadan est une personne que j’admire et que je respecte beaucoup… Masha’allah….
Au passage je voulais aussi conseiller un livre, « Quelques lettres du coeur », à ceux qui ne l’aurait pas lu, c’est un livre magnifique. Moi je m’en lasse pas je l’ai lu, relu encore et encore… il y a une lettre qui m’a particuliérement touchée c’est » Une vie entiére » c’est une histoire trés émouvante masha’Allah…