Le rôle de la Révélation
Après avoir évoqué tous ces aspects de l’homme, il reste, en ce qui concerne l’humanisme, une véritable question dont on parle d’ailleurs assez peu dans les traditions philosophiques ou religieuses de l’Occident, catholique ou protestant.
Quel est le rôle de la Révélation ?
On ne peut pas parler de l’homme et de l’humanisme sans se poser cette question. Quelle est en effet l’autonomie de l’homme ? On vient de parler de limites. On vient de dire que la raison est libre, mais qui fixe la limite ? Est-ce uniquement la raison qui s’autorégule ou est-ce qu’il y a une « révélation » qui régule notre pratique rationnelle ? Pour l’Islam, la seconde éventualité demeure la plus vraie, car c’est le Coran qui contient cette Révélation.
Mais faut-il considérer qu’on est enfermé dans les Ecritures parce qu’on les cite sans arrêt ? Tout dépend de la façon dont on cite ; est-ce pour s’enfermer ou pour s’orienter ? grande différence. On peut citer un texte en perdant son humanité ou en la valorisant : en perdant mon humanité, c’est que le texte m’ignore ; en valorisant mon humanité, c’est que le texte appelle chez moi une humanité à faire, et non une humanité à nier.
La question, en vérité, n’est pas la fréquence des citations mais le contexte dans lequel elles sont insérées. Si l’on ne comprend pas le type de proximité que les musulmans ont avec le texte, on ne les comprendra pas. Une des choses les plus importantes dans la tradition musulmane est l’acquisition du texte et son assimilation. Il y a des centaines de milliers de gens qui connaissent tout le Coran par cœur : c’est l’aspect de la connaissance du texte, connaissance par le cœur, dans le cœur et pas seulement dans la tête (un enseignant musulman dans une banlieue française s’indignait : ils savent un dixième du Coran et ce sont des délinquants !). Un texte acquis dans le cœur illumine le réel, il n’enferme pas. Toute la question est donc bien de savoir comment on cite.
Cela étant dit quant à la place et au rôle du texte, que dit la Révélation et comment s’exprime-t-elle ?
La Révélation est d’abord une confirmation
On ne peut pas comprendre le rôle de la Révélation selon la tradition musulmane si l’on n’a pas compris tout ce qui a été dit plus haut sur la conception de l’homme. Nous sommes ici à mille lieues de toute la pensée existentialiste, au premier rang de laquelle on peut mettre celle de Kierkegaard. Rien n’est plus étranger à la pensée musulmane que la pensée de Kierkegaard, ne serait-ce que par le statut qu’il donne à la Révélation (celui d’une interpellation surnaturelle adressée à l’homme et qui intervient de l’extérieur, en rupture avec l’ordre de la nature)
Pour la pensée musulmane, la Révélation n’est pas un événement qui sort de l’ordre naturel, mais au contraire le confirme : Lumière sur lumière, dit une formule coranique ; la lumière de la Révélation vient confirmer la lumière du cœur. Il faut s’attacher à une formule tout à fait intéressante de Abu Hâmid al-Ghazali : le message, dans sa lettre, est une révélation extérieure ; la raison est une révélation intérieure. En d’autre termes, mon intelligence m’apporte une révélation qui vient de l’intérieur et qui est confirmée par la Révélation ; je porte en moi une révélation que la Révélation vient confirmer. Cette façon de voir est très importante dans la tradition musulmane.
Montaigne, par exemple, nous parle du « Grand Livre du Monde« . Cette idée provient en fait d’une tradition orientale qui est reprise dès le VIIIème siècle dans la tradition musulmane et qui met en évidence l’idée d’un livre révélé (le Coran, qui comprend la Bible hébraïque, la Torah,, les psaumes, L’évangile et qui reconnaît tous les prophètes) et l’idée d’un livre déployé qui est l’Univers. Tout ce qui rappelle Dieu dans l’Univers est un signe ; et tous les versets de la Bible et du Coran sont stipulés comme étant également des signes (c’est le même mot). Le signe du texte écrit renvoie au signe du « texte » créé, c’est-à-dire la création. Il y a tout un jeu de correspondances entre le microcosme et le macrocosme.
La Révélation est donc une « lumière » qui vient confirmer une autre lumière et qui doit stimuler l’intelligence. C’est pourquoi, à maintes reprises, Dieu interpelle dans le Coran ceux qui sont doués d’intelligence. Qu’est-ce que le discernement : c’est voir avec le cœur ce que la raison voit comme élément. Le cœur ajoute la dimension du signe. Tous les mots, dans le Coran, renvoient à cette idée de la confirmation de ce qui nous habite déjà.
La Révélation est ensuite une orientation
La Révélation oriente ce qui nous appelle. Nous cherchons; elle nous oriente. Par rapport à Dieu il y a des exigences. Par rapport au monde, la Révélation va nous donner des orientations dans quatre domaines (pour simplifier).
– le rapport au Divin
La Révélation oriente dans le rapport que l’on a avec le divin. Raison pour laquelle le terme Islam signifie avant tout soumission à Dieu (qui dépasse d’ailleurs le cadre des seuls musulmans : Abraham était soumis à Dieu). L’Islam se traduit par un acte de foi, et non par la référence à un homme, ni à un peuple, ni à une tradition. Par cet acte lui-même, par l’acte par lequel le cœur reconnaît ce qui l’appelle, l’homme revient à son origine. C’est le chemin vers la Source vive. Lors de la mort d’une personne, nous disons : nous sommes à Dieu, c’est vers Lui que nous retournons. Dans cette première orientation, ce que nous trouvons dans le texte, c’est le rappel du rapport au Divin : comment être avec Dieu ? se connaître pour cheminer vers la Source. Pour devenir musulman, il faut reconnaître qu’il n’y a qu’un Dieu et que le dernier prophète est Son prophète.
Ensuite il nous faut savoir comment être musulman, c’est-à-dire comment revenir à cette Source : Il faut se chercher, retourner à son cœur, s’analyser et faire un bilan de conscience, ce qui est véritablement renvoyer l’homme à lui-même.
Dans la tradition musulmane il n’est pas déclaré que l’homme soit à l’image de Dieu. Dieu est au-delà de tout ce que l’on peut imaginer. Rien ne Lui est semblable et rien ne peut s’approcher de Lui. On peut s’orienter intellectuellement vers la compréhension de Ses qualités mais jamais dans la définition de Son Etre. Ce qui nous rapproche de Dieu c’est une réflexion sur l’étincelle qu’Il a mise en nous, mais jamais pour Le définir, toujours pour nous rapprocher. Le rapport à Dieu n’est jamais un rapport de définition ou de captation intellectuelle, mais un rapport de proximité spirituelle. On doit sentir cette proximité : c’est toute la tradition soufie, mais c’est aussi la tradition orthodoxe.
– le rapport de soi à soi
Il va y avoir ici, systématiquement, une valorisation de la dimension de l’homme, au nom de son innocence, au nom de sa responsabilité, avec l’exigence de son humilité. En permanence on relèvera dans la confiance les qualités que l’homme a, mais dans le souci d’être méfiant. chacun d’entre nous sait que certaines de ses qualités, dans certaines conditions, peuvent devenir des défauts. L’émotion et la sensibilité sont en soi positives. Mais une sensibilité mal placée peut se retourner et devenir un défaut. Une générosité peut devenir un défaut si elle est excessive. C’est là un aspect fondamental de ce que l’on peut appeler l’humanisme musulman : mettre en évidence une valorisation importante de ces qualités, mais avec le souci de cette maîtrise à tous les niveaux. Il nous faut reconnaître que nous sommes avant tout un don de celui qui nous a créés. La tradition prophétique dit que notre corps ne nous appartient pas et que chaque élément de notre être a des droits sur nous.
C’est la raison pour laquelle l’Islam commence toujours par l’universalité de la responsabilité avant l’universalité du droit. C’est la source d’un débat sur la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. On peut reconnaître sa valeur universelle en matière de droits. Mais on peut s’interroger sur sa pertinence à guider les hommes en matière de responsabilité.
Nos religions, en effet, nous enseignent que c’est notre responsabilité qui oriente nos droits. Si, en revanche, seul le droit circonscrit la responsabilité, chaque homme peut devenir, au nom de son droit, un être des plus destructeurs, qui légitime tout au nom du droit, ce que l’on a appelé la dictature du droit. Or nous sommes effectivement aujourd’hui dans une société du droit. Mais la vraie question est alors que, si nous avons des droits, quelle est la responsabilité qui habille notre droit ? Un droit « non habillé » de responsabilité est au risque de l’orgueil. Nous avons la responsabilité de la liberté de notre corps. Nous ne pouvons pas faire n’importe quoi de notre corps. C’est là une orientation éthique.
– le rapport de soi à sa famille
On ne peut que souligner avec force que le noyau de l’humanisme islamique n’est pas l’individu seulement. L’être humain est un être de sociabilité et sa première sociabilité est la famille. Lorsqu’on dit en occident que l’autonomie de la raison et le primat de l’individu sont deux fondements de la modernité, cela pose un problème en Islam. Il n’y a pas pour l’Islam de primat de l’individu en ce sens qu’il serait dégagé de tout lien d’humanité ; son premier lien d’humanité est le lien avec la famille. Il y a omniprésence de cette préoccupation : un humanisme au cœur même de la première relation sociale qui est celle de la reconnaissance des père et mère. Ce sont des valeurs déterminantes. Le droit de l’individu ne peut jamais faire fi de la responsabilité familiale. Reste à voir comment tout cela peut être géré, car cela peut devenir oppressant. Toute la question est de savoir où est l’équilibre.
– le rapport de soi à la société
Nous n’entrerons pas dans tous les détails. Il ne peut y avoir non plus ni science ni économie sans orientation, c’est-à-dire sans éthique. Ce qui gêne aujourd’hui dans tout le débat actuel sur la mondialisation, c’est qu’il faudra bien que l’on exige véritablement du consommateur et de l’ordre économique, d’aller plus loin. Il va falloir s’interroger non seulement sur le primat de l’économique au regard de tout autre type de rapport humain, mais finalement aussi sur l’éthique en économie. Au nom de quoi fait-on ce que l’on fait ? peut-on dégager d’aussi importantes sommes de bénéfices ?
La culture nous interpelle aussi profondément : Y a-t-il, ou non, une éthique en matière culturelle ? Peut-on, au nom de la liberté d’expression, admettre n’importe quelle expression et dire : libre est mon expression et elle peut dépasser tout limite éthique ? Sans doute l’expression artistique a son domaine spécifique. Mais quand une société est questionnée, de façon profonde, sur la liberté d’expression, au niveau de la sexualité par exemple, quand elle est placée en face d’un certain public, un public d’enfants ou d’adolescents notamment, elle ne peut pas systématiser un mode unique d’expression. Nous ne nous cachons pas de poser les vraies questions, quitte à paraître réactionnaires, alors que nous aimerions plutôt nous dire responsables. Quels principes gèrent la production culturelle ? Est-ce-que ce ne sont que des principes financiers ? Nous sommes tous confrontés aux mêmes problèmes.
Pour terminer, nous dirons que cet humanisme musulman, fondé sur une orientation, aboutit à la plus difficile des notions : en toutes choses, entre l’innocence, la raison et les choix que nous sommes amenés à faire, la position de l’équilibre est déterminante ; ne rien nier de ce que nous sommes, mais savoir nous maîtriser, pour tendre vers ce que nous voulons être. C’est une humanité qui fait face à elle-même, qui se valorise en connaissant les risques mais en exigeant de maîtriser ces risques et de maîtriser les excès.
Telles sont les lignes essentielles de l’humanisme musulman, qui se traduit au travers de la philosophie, au travers de la théologie et aussi au travers des perspectives, et qui recoupe dans ses conclusions, beaucoup de ce que l’on trouve dans les traditions chrétiennes et dans les traditions juives. Mais il est vrai qu’aujourd’hui – et nous y insistons beaucoup – au nom de la conception de l’homme, il est extrêmement difficile, au cœur même de l’Occident, pour quelqu’un de tradition musulmane, d’accepter sans réagir l’affirmation d’une primauté absolue des droits des êtres humains, sans qu’il soit insisté, en rapport précisément avec la Transcendance, sur l’obligation d’une responsabilité active.
D’où les débats et les confrontations intéressantes et possibles entre les deux traditions.
« Un texte acquis dans le coeur illumine le réel, il n’enferme pas »…C’est tellement vrai.
« Lumière sur lumière »…Si seulement chacun d’entre nous pouvait prendre conscience de ce don de Dieu, de cette lumière qui nous habite. Il y a tellement de lumières artificielles qui nous aveuglent, nous dévient de notre humanité et nous éloignent de notre coeur, de cette étincelle…
C’est cela le vrai désert, le désert du coeur…Le berceau de « l’inhumanité ».
Nous avons tellement besoin de nous isoler de ces artifices, de ces fausses croyances, de ces fausses lumières…N’est-il pas surprenant de constater qu’en plein désert, l’un de Ses signes…Loin des lumières éphémères…La lumière de l’Eternel nous inonde.
Baigné de cette lumière, nous reconnaissons aisément « la valeur universelle de l’homme » de la nature…Ces dons de Dieu.
Retrouver l’étincelle du coeur…Libérer sa raison…Retrouver l’humilité de l’humain face au Créateur.
Que Dieu vous protège et vous guide et nous éclaire de Sa Lumière…Insha’Allah.
salam,dans la lecture de Tariq Ramadan vis à vis de l’islam le bonheur existe-il,ce gout de la foi qui permet de dépasser les attractions de ce monde,ce paradis si rarement cité et qui pourtant selon Mr Ramadan est l’objectif,on a plutot l’impression que le paradis est devenu un moyen et plus une fin,Allahou Alam,Salam
Salam
Justement c’est cette prise de conscience quant à la responsabilité de chacun d’entre nous ,habitants de cette terre , qui fera de ce monde un monde meilleur.
On aura ainsi
un juste échange au lieu d’un libre échange
un engagement universel pour une amélioration continue de tout les territoires au lieu d’une vision égoiste unipolaire
un respect de l ‘autre émani du respect de soi au lieu d’une méprise inconcciente
Une exigence interne en soi pour accomplir son travail avec délicatesse au lieu de cet indifférence irresponsable .
l’exigence dans chaque acte paroles ,promesses et gestes .
Cela commence par une éducation de soi à comprendre et à assumer d’abord ses responsabilités avant de demander ses droits.
C’est ce qui est agréable dans notre religion et c’est ce qui sauvra l’humanité entière.
Bonjour à tous, il a des passages très intéressants dans les informations données par Tariq : « Ensuite il nous faut savoir comment être musulman, c’est-à-dire comment revenir à cette Source : Il faut se chercher, retourner à son cur, s’analyser et faire un bilan de conscience, ce qui est véritablement renvoyer l’homme à lui-même. ». Cela est passionant dans le sens où de nombreuses maladies mentales sont reconnues comme étant un éloignement de la Source, et bien souvent, il n’y pas de guérision de l’Ame s’il n’y a pas de croissance spirituelle. Le fameux « Je Suis ». Cela rejoint d’autres cultures, d’autres religions, et en quelque sorte une personne sachant « comment être un musulman », en retournant dans sa Source, ferait le même travail qu’une personne fait en psychothérapie, une recherche de ce Je Suis.(Selon les diverses écoles, on admet ou réfute la guérison mentale avec la guérison de l’Ame et une croissance spirituelle).
Il fut un temps où les curés (catholiques) écoutaient leurs ouailles, lors de confessions, il s’agissait d’un mécanisme thérapeutique fort efficace. Peut-être avons nous perdu cette capacité de revenir à la Source, puisque l’effort demandé est important. De nos jours, nous nous sommes affaiblis, et éloignés de cette Source, ou l’inverse. En définitive, tout Homme sur cette planète devrait savoir comment être un musulman, même s’il est d’une autre religion… Le but ultime étant de Lui retourner.
Il serait intéressant de mettre des cours d’histoire des religions en place pour les enfants, avec une possibilité d’inviter des personnalités religieuses de chacune des confessions. Nous y gagnerions tous et cela renforcerait les liens, le respect, la connaissance de l’Autre.
bismmi allah;
reactionnel dans l’ame je suis, et que dans l ame et je le regrette parfois. simplement humain qui ne cache pas ses faiblesses et ses tentations et qui se laisse meme déborder par elles.
et ce monde de violence et de ténébres et d’inconsciences ne laisse pas la place à la lumière d’envahir l’autre lumière.
libérté de vivre dans le respect mutuelle de tous mais refusant d’entendre les fumèes des bombes.
ma lumière est de pleurer en silence, tous ces âmes de tout confession soient elles et je ne ferai pas de compte morbide.
je dirai tout simplement » celui qui tue une âme, a tué l’humanité » et sa lumière.
Assalamou aalaykom akhi Tariq ramadan,
—L’Islam se traduit par un acte de foi, et non par la référence à un homme, ni à un peuple, ni à une tradition.—
Comme vous le savez tres bien dans nos pays arabes il y a eu plusieurs mouvements islamiques ( qui existent encore ou non) et qui sont guidés par les differentes conceptions et idées de leur fondateurs sans porter de jugement sur leur foi, ils ont creer chez la plupart des gens une sorte d’amalgame et pour etre plus clair par exemple dans mon pays on se trouve devant deux courants, le premier vous pousse vers le spirituel et la daawa (version tabligh), et le deuxieme vous mets dans l’etat d’esprit du musulman qui n’a pas ses droits et qui doit lutter pour les avoir en vous ratachant a des convictions religieuses;
c’est alors qu’on se trouve dans une impasse, soit aller vers la daawa et focaliser son esprit à renouer le rapport des gens avec leur createur Allah aaza wa jal, ou aller vers la deuxieme version et essayer de comprendre se qui se passe, ca prend du temps d’ailleurs parcequ’on trouve chez eux un ensemble de referentiels une sorte de code de la route à suivre; surtout quand c’est question de religion la plupart des musulmans sont influencables, il y a des gens tellement fermés bornés qui ne discutent jamais les dits de leur MORSHID…..
C’est le Coran qui contient cette Révélation.
– Dans notre approche du Coran nous devons d’abord nous éviter la cécité par « jahl ». Le Jahl est un terme qui en arabe évoque à la fois les idées complémentaires d’ignorance et de suffisance ombrageuse et arrogante. La suffisance est aveugle. Le jahl est l’ignorance de fait de la pensée iconologique à base de représentations concrètes qui ignore la matérialité de certaines données; et il est l’opacité fonctionnelle, par écran de suffisance interposée, aux questionnements des autres, et à ceux du Monde physique et métaphysique. Les coeurs sont alors comme verrouillés (XL VII, 24). Nous avons donc pris la précaution de prêter une oreille attentive et critique aux autres. Mais nous ne sommes disposés, au nom même de cette liberté d’écoute et de recherche que nous défendons chez les autres, et que nous revendiquons pour nous-mêmes, ni à nous laisser aliéner par ce que nous considérons comme un dangereux aventurisme, ni à troquer non plus nos cerveaux contre ceux des Pieux Anciens.
– Dieu nous parle toujours à l’instant présent, un instant nourri du Savoir mouvant et grandissant du mouvement du Temps. C’est toujours un Moi nouveau situé dans l’Espace-Temps qui reçoit la Révélation.
L’impératif Iqra’ qui annonce le premier Verset-Signe de la Révélation – «Iqra’ au Nom de Ton Seigneur (XCVI, 1) – et qui marque la Descente (Nuzûl), non la création (khalq), du Coran, se conjugue au Présent Absolu de la présence divine. Il est le Présent-Antérieur de l’irruption de l’ultime Révélation dans le continuum de l’histoire; le Présent-Immédiat de la Lecture-Témoignage du locuteur qui intériorise la Parole dans l’Ici-et-Maintenant de sa relation référentielle au Référent-Auteur – « Toi’ Seigneur» – ; et il est le Présent-Futur de la permanence du Commandement (Amr) vécu par la Umma.
– L’impératif coranique est un continuum qui ne connaît pas la discontinuité artificielle du temps historique débité en tranches Le mode de « l’impératif coranique » n’a qu’un seul temps le Présent.
« Lis (iqra’) le Coran comme s’il est descendu sur toi », nous commande la Tradition.
– L’Espace-Temps du la Révélation n’est pas celui de la césure, mais celui du continuum dynamique. Dieu ne cesse de se révéler dans le Présent sans cesse présent.
– Le Commentaire (tafs(r) aussi ne peut avoir qu’un seul Espace-Temps : le Présent de l’Ici-et-Maintenant du commentateur in situ, qui récapitule le Présent-Antérieur de l’expérience communautaire, et s’ouvre sur le Présent Futur d’une postériorité qui est présence ininterrompue de la Parole dans le Présent de Demain. Le Commentaire, en tant qu’ijtihâd, effort humain de pénétration du Sens, est un.
Il ne remplace pas la Parole, et n’en épuise jamais le sens. Il poursuit toujours le sens.
Il n’y a pas de savoir présent qui ne s’appuie en effet sur un savoir antérieur, et ne prépare un savoir futur.
– Notre code, ou notre clé de lecture du Coran est donc ce Présent de l’Ici-et-Maintenant qui intègre l’antériorité, ou l’antécédant du référant(al- sanad), ainsi que la postériorité en aménageant l’ouverture sur le Demain. L’une des caractéristiques fondamentales de la culture musulmane, tant qu’elle fut vivante, a toujours consisté à s’insérer dans la continuité dynamique du Référent scientifique (tawâsul al-Sanad al-‘ ilmî). Notre clé de lecture coranique consiste donc en une organisation de la Chaîne des signifiants, ou du décryptage des signes (Aya), qui exclut à la fois les césures et l’immobilisme.
– Disons aussi, parce que cela ne va pas de soi, que nous sommes pleinement et lucidement engagés dans notre foi. Qui est-ce qui d’ailleurs, le fard à part, n’est pas engagé dans un sens ou dans l’autre? Nous puisons donc notre inspiration, ouvertement et clairement, dans la foi, une foi qui est, d’une façon insécable, conviction, témoignage et praxis. Doit-on ajouter sans passéisme ni fermeture? Mais pas toutefois une foi de salon, ou un vernis culturel aujourd’hui bien coté sur le marché. Cela doit être dit car on ne se sait plus très bien de nos jours de quelle couleur est
l’encre qui coule des plumes dites musulmanes, et qui souvent ne le sont que culturellement. Et encore! La désislamisation , souvent rampante, est bien plus subtile que la déchristianisation.
– Nous sommes à l’ère de la civilisation post-industrielle, et déjà installés dans l’après-modernité. Tout le savoir est en passe d’être informatisé. Toute clé de lecture des textes sacrés doit tenir compte de ces évolutions irréversibles. Le tout tient dans le comment. Pour sûr on ne peut plus lire comme on lisait, et bientôt on ne pourra plus lire comme nous lisons. Et pourtant tout se tient.
– C’est le même mouvement qui emporte la même courroie dès les origines Seulement ce mouvement est toujours plus accéléré. Sunnat Allah. Telle est la mécanique incontournable à la fois physique et psychique, mise en place par Dieu pour impulser le Monde. Les sciences, toutes les sciences, pas seulement celles du langage ou celles dites humaines, sont dans notre monde d’aujourd’hui, plus encore que par le passé des clés nécessaires pour ouvrir le Sens. Dès lors le tafsîr, eu égard à la diversification prodigieuse des sciences et leur expansion exponentielle, ne peut plus être oeuvre individuelle, ni oeuvre définitive. Bon gré mal gré nous ne pouvons pas couper les fils qui nous connectent au monde un monde sans cesse autre, dans notre lecture du Coran Nous ne pouvons chasser Dieu de Son OEuvre pour le cloîtrer dans des Sanctuaires-Musées, et continuer à lire le Coran comme si rien n’avait changé.
– L’Islam a aujourd’hui un besoin vital d’une authentique Ecole coranique moderne ouverte à toutes les sciences. Autant dire, dans l’état actuel des choses, qu’elle relève pour le moment plutôt du rêve . Mais inéluctablement elle viendra.
Cela ne signifie pas qu’il faut mettre au rebut les anciens commentaires. Le recours aux anciens commentaires demeure nécessaire. Non pour y chercher, comme certains pensent encore, l’ultime et définitive vérité, une vérité figée mais parce que ces commentaires, en dehors de leur valeur informatrice et historique irremplaçable, nous permettent de nous situer dans un rapport de fidélité dynamique avec notre patrimoine communautaire et notre Tradition. Toutes les lectures historiques, malgré le caractère tardif et peu crédible des ouvrages consacrés aux « circonstances de la révélation» (asbâb al-nuzûl), tous les décorticages philologiques, syntaxiques, et plus largement linguistiques opérés par les Anciens au ras du texte, sont des préalables absolus pour débroussailler le champ sémantique, et éviter les errances et les extravagances. Beaucoup a été fait par nos prédécesseurs d’une façon qui force souvent l’admiration.
Leur effort doit être, non oblitéré, mais intégré et poursuivi avec les nouveaux outils dont nous disposons.
En conséquence, dans le débroussaillement du champ sémantique, tous les apports des sciences modernes, celles du langage, qui pratiquement n’ont pas encore fait leur entrée sur le terrain, celles de l’homme in situ historique et en tension évolutive, tout comme celles qui explorent son milieu écologique ou son enveloppe cosmique, sont autant de préparations exigées par la nature même de la Parole coranique qui se situe au coeur même de l’être dans toutes ses dimensions et tous ses questionnements physiques et métaphysiques.
Mais toutes ces sciences ne sont fécondes, dans une perspective de foi, que si elles se limitent à leur rôle de propédeutique, de clés pour ouvrir le Sens, ou le Signe, sans jamais se boucler sur elles-mêmes et s’institutionna1iser en une fin en soi qui se substitue à la Parole, la manipule, la récupère ou l’escamote.
Toute approche du Coran doit donc tenir compte du fait qu’il est, par la lecture permanente des Signes à laquelle Il nous invite, une révélation continue, une révélation qui ne cesse de se révéler à mesure que l’Univers se révèle à nous.
Le Coran nous commande d’observer et de lire (iqra’). 0r comment observer et comment lire, tout lire, sans science. Est-ce avec des cerveaux vides, ou qui datent? « Lis » est le coup d’archet qui mit l’Ultime Révélation en mouvement. « Lis » est un impératif intégral, sans restriction qui véhicule le premier commandement du Seigneur à son dernier Messager, et à travers lui à tous les récipiendaires du Message, à leur tour locuteurs transmetteurs. De locuteur en locuteur le Message, avec l’impératif qui le sous-tend, s’appuie sur un Référent oral non discontinu qui s’origine dans Le Seigneur, l’Auteur du Livre et Le Créateur qui par « la plume », instrument de fixation et de capitalisation du Savoir, «a enseigné à l’homme ce que l’homme ne savait pas» (XCVI, 5).
L’Omniscient continue à enseigner, comme Il a toujours enseigné, et l’homme continue à apprendre, et il continuera toujours à apprendre. Le Coran ne contient aucune science, et il nous invite à lire (iqra’) et à écrire par la plume toutes les sciences, et en ce sens, comme Ghazâlî en a eu l’intuition, qu’il les englobe tOutes.
Toute lecture de l’Univers, y compris celui de notre Monde intérieur dont nous commençons à découvrir les archives et que nous cherchons déjà manipuler nous révèle et nous dévoile Dieu. A cette lecture « fruitive » nous invite le Coran. Telle autre le cache et le voile au point de nous le faire nier. Dans un cas comme dans l’autre, l’homme demeure libre. La foi est liberté. La science est en effet neutre. Selon la disposition du coeur, ouvert et à l’écoute
(L, 37; XXII, 46; etc.), ou sourd et verrouillé (VII, 17o
>\ XLVI1, 24; XXII, 46; etc.’), un cur qui dans le vocabulaire coranique n’est pas une pompe d’irrigation du corps, la science mène à Dieu ou en détourne.
« Ceux qui révèrent le plus Dieu, parmi Ses serviteurs ce sont surtout les Savants » (XXXV, 28). Pas tous les savants, bien sûr! Dans Le Signe certains ne voient que le signifiant et ne saisissent pas le signifié ou ne s’y intéressent guère. Ils s’imposent en s’interdisant le pourquoi un jahl qui n’est pas ignorance mais inaptitude ou refus arrogant d’écouter le questionnement métaphysique qui articule le rapport de notre Etre là dans le Monde avec le Signe. Or, plus nous sondons aujourd’hui l’Univers, plus nos esprits sont Confondus par l’ampleur de sa mystérieuse harmonie. Des pages éblouissantes s’offrent à notre lecture.
– « Béni soit Celui qui a créé sept cieux superposés (tibâqan). Tu ne vois dans la création du Miséricordieux aucune inégalité. Tourne donc les yeux! Vois-tu quelque fissure? Puis tourne de nouveau les yeux, deux fois encore! Ta vue reviendra vers toi lassée, épuisée» (LXVII, 3-4).
– Lorsqu’il y a ouverture du Coeur, et pas seulement curiosité de l’intelligence, l’éblouissement du savant ouvre la voie vers Dieu.
Mohammed Talbi. Reflexions sur le Coran. Seghers
Salam,reprenant les propos:l’autonomie de la raison et le primat de l’individu sont deux éléments fondamentaux de la modernité, cela pose problème en islam,l’on pourrait définir une conception islamique de l’autonomie de la raison et de la primauté de l’individu au lieu de voir un problème,une antinomie,certes l’autonomie de la raison au sens de se couper du transcendant et de la primauté de l’individu ausens de l’extraire de son lien social et don responsabilité est refusé par l’islam,mais une autre question semble etre de la première importance,qui renverait à la notion de cohérence,centrale dans le coran au point d’etre le signe de la provenance divine du coran(voir ayat82 sourate an nissa).Ainsi est-il possible à la raison d’atteindre l’autonomie(au sens de ne pas etre parasité dans sa relativité qui l’empèche une fonctionnabilité libre dans la recherche du vrai ) sans le transcendant,à la l’individu d’etre placer au centre de tout(au sens de lui donner tout ce qu’il lui faut pour etre) sans le transcendant?Allahou Alam,Salam