Tariq Ramadan (Professeur d’islamologie) :
" Maurice ne doit pas se laisser noyer par une culture mondiale "
" Il y a un projet mauricien qu’il faut que vous protégiez contre vents et marées. Vous avez une réalité insulaire. La réalité d’une société qui est vraiment plurielle culturellement, religieusement "
Tariq Ramadan, qui à son huitième séjour à Maurice pour une série de conférences, ne cesse d’être présent dans tous les débats internationaux autour de la question islamique. Ses propos ne laissent pas insensible, n’hésitant pas à remettre en cause certaines démarches islamiques. " Les pires ennemis de l’islam, ce sont les musulmans eux-mêmes parce que ce sont eux qui dénaturent parfois le message ", avance-t-il. Personnage controversé en France où l’on dénonce " son double langage ", il affirme que ce n’est pas prouvé. " Ce sont des gens qui ont envie de m’utiliser, moi, parce que je suis l’arbre qui cache la forêt qu’ils n’ont pas envie de voir ". Aux Mauriciens qui lui reprochent sa vision européenne de l’islam, il répond que " lorsque je viens avec une opinion, je ne m’inscris pas contre les traditions… ". Il soutient que Maurice se doit de protéger sa réalité d’une société vraiment plurielle culturellement, religieusement.
Tariq Ramadan, vous êtes en première ligne de tous les débats concernant l’islam, vous multipliez les conférences à travers le monde, vous êtes régulièrement présents dans la presse à travers des articles et des interviews. Est-ce que votre message sur la réforme de l’islam est en train de passer ?
Le but de mon engagement, ce n’est pas un message personnel, propre à moi, c’est une réconciliation avec le message premier de l’islam. Ce message a trois dimensions essentiellement. La première, c’est la dimension de l’universalité. C’est-à-dire que la tradition musulmane se réfère à des valeurs universelles et donc la particularité des valeurs universelles, c’est qu’elles sont propres à l’islam mais qu’elles confirment et qu’elles s’appuient sur d’autres valeurs. La question de la dignité humaine, la question de la justice de la liberté, la question de respect et d’intégrité de la personne sont aussi enracinées dans la tradition musulmane que dans d’autres traditions. Je pense qu’en ces temps crispés, à l’heure d’une globalisation qui pousse les uns et les autres à revenir à des immensités tout à fait singulières, rappeler ces dimensions-là est fondamental. Pour moi, il ne s’agit pas de parler de l’islam contre tous les autres, mais de dire en quoi l’islam se nourrit et partage avec tous les autres les dimensions fondamentales.
La deuxième dimension, c’est celle de la spiritualité. Il s’agit d’éviter le ritualisme pour en venir au sens des choses. On est à une époque où il est essentiel de savoir pourquoi on fait ce qu’on fait, quelle en est la finalité, qu’est-ce qu’on est en train de faire avec l’être humain. Aux États-Unis, 53 % de la population disent qu’il serait possible dans certaines circonstances de torturer les gens… C’est-à-dire qu’on est dans une situation de régression. Hier, aux États-Unis, on n’aurait jamais pu dire une chose pareille. Il y a de la peur, il y a des craintes et tout à coup maintenant, on admet la torture. La torture est toujours inadmissible. Elle ne peut jamais être admise. Dans aucune circonstance on ne doit pouvoir torturer quelqu’un. C’est contre la dignité humaine. Les peurs sont tellement grandes que finalement on finit par admettre des choses. On a vu ce qui s’est passé dans les prisons en Irak et à Guantanamo. On a vu aussi des extraditions extraordinaires et des prisons cachées en Europe où il y a de la torture. On est en situation de régression. Il faut absolument aujourd’hui pouvoir revenir avec un message qui nous rappelle le fondement des choses. Et pour moi, quelque chose qui est évident, c’est un vrai travail sur soi : de spiritualité, du sens de la vie, pourquoi on fait ce que l’on fait, d’éthique et de morale. Ces choses ne se font pas. Aujourd’hui, on parle de la façon dont on traite l’univers. C’est dramatique ce que le réchauffement de la planète est en train de produire. Tous les éléments sont connectés.
La troisième des dimensions est qu’il faut que l’on cesse de nourrir la mentalité de victimes. Beaucoup trop de personnes regardent le monde sous l’angle : "C’est toujours la faute aux autres". Pour les musulmans, c’est la faute aux non musulmans ; pour l’administration Bush, c’est la faute au terrorisme ; pour un certain nombre de chrétiens, c’est la faute aux musulmans. On est tous en train de se renvoyer la balle. Or, on est des citoyens. On a des avantages dans certaines situations. À Maurice, vous avez une démocratie, vous avez des droits. À chacun d’entre nous de se poser la question : à mon niveau, qu’est-ce que je peux faire ? Pour moi, c’est vraiment un message personnel et individuel, de conscientisation personnelle. Pour les musulmans, bien entendu, c’est se réconcilier avec l’universalité de leur message, de servir les gens en rappelant toujours d’une chose : être proche de Dieu, c’est servir les hommes. C’est aussi un message qu’entendent très bien les chrétiens, les juifs, les bouddhistes, les hindous ou les athées. C’est aussi un message de responsabilisation immédiate. Il faut le faire et il faut le faire tout de suite, à votre niveau. Lorsqu’on voit du racisme dans sa rue, il faut agir ; des discriminations dans sa société, il faut agir ; lorsqu’on voit ce qui se passe sur la scène internationale, il faut la dénoncer. C’est un message de responsabilisation personnelle. Est-ce que ce message passe ? Oui. Partout où je vais et chaque fois que je viens à l’île Maurice, il y a une vraie reconnaissance dans ce sens-là. Ce message-là a aussi des adversaires. Il ne faut pas être naïf. On a aujourd’hui sur la scène internationale, des gens qui ont envie de rupture, de polarisation. Il y a des gens qui se font de l’argent grâce à la guerre ; il y a des gens qui se font de l’argent grâce à la peur ; on a des dénégations de spécialistes du terrorisme qui nous expliquent tout et n’importe quoi et qui se font de l’argent ; on a des médias qui se font de l’argent sur les catastrophes. Il y a des gens qui n’ont pas envie que ces discours passent. Sur le terrain, il y a une vraie audience. Oui, les choses avancent. C’est très difficile. On n’est pas dans une situation facile. Il faut continuer.
La dénonciation des prisons cachées, de la situation en Irak entre autres, vous a coûté votre visa pour les États-Unis. Comment avez-vous vécu cela ?
Etre interdit d’entrée aux États-Unis sous l’administration Bush, c’est plus un honneur qu’un déshonneur eu égard à ce que l’on sait de cette administration. Elle a entretenu le mensonge, l’hypocrisie. Elle s’est engagée dans une guerre en Afghanistan qui a tué des milliers de civils. Elle s’est engagée dans une guerre en Irak ; et puis, après le 11-septembre, elle a développé une véritable chasse aux sorcières. Aujourd’hui, ou on est avec Bush ou on est contre. Je sais que l’administration américaine n’est pas contente de mes propos. Mais qui aujourd’hui dans le monde est content de l’administration Bush ? Qui aujourd’hui est heureux de ce que le président des États-Unis fait ? Les gouvernements européens ? Ils ont peur ; ils ne parlent pas, donc ils suivent et tous les autres jusqu’à dans votre pays, à Maurice, j’ai vu des officiels qui sont tout à fait conscients des dérives de l’administration Bush. Qu’ils soient eux mécontents ne me gêne pas, mais que nous soyons en désaccord est le plus important. Parce que je pense qu’il y a un déficit de dignité, de cohérence dans la politique américaine actuelle.
En même temps, lorsqu’on voit ce qui s’est passé à la mosquée rouge ainsi que d’autres activités terroristes, cela bat en brèche le message de paix que prêchez…
Il ne faut pas nier qu’il y a des choses qui aillent très mal. Les pires ennemis de l’islam, ce sont les musulmans eux-mêmes parce que ce sont eux qui dénaturent parfois, comme dans ces cas-là, le message. Il y a des gens qui produisent de la violence, tuent des innocents. C’est regrettable. Le discours de la paix, de l’exigence de l’engagement est le seul message qui peut résister à la radicalisation. Comment allez-vous faire ? Vous allez tuer tout le monde ? Mettre les radicaux en prison ? Il faut un autre message, un message fort : "L’islam c’est ça, ce n’est pas ce qu’ils disent." Il faut être capable de dire aux gens que ce que vous faites ce n’est pas l’islam, c’est contre l’islam. Le meilleur moyen, c’est un vrai discours de l’intérieur qui s’oppose et qui critique les dérives de la compréhension de l’islam. Maintenant on est en face des terroristes, en face des gens qui utilisent l’islam de façon inadmissible. Il faut le dire. Il faut le répéter par un discours constructif pas uniquement par un discours défensif.
Vous insistez dans votre message que le jihad n’est pas synonyme de guerre sainte ?
J’ai un livre publié sur le jihad, Guerre et paix en islam, dans lequel je parle de cela. Je viens de participer, avec le New York Times et le Washington Post qui ont posé à des muslim scholars trois questions dont l’une était sur le jihad…
En France surtout, vous avez une image très controversée. Plusieurs livres vous sont d’ailleurs consacrés. On vous accuse d’avoir un double langage, un pour les musulmans un autre pour les non musulmans ?
C’est ce qu’on dit mais qu’on ne prouve pas. Il y a un autre livre qui a paru récemment qui dit que je n’ai pas de double langage. Moi je n’ai pas de temps à perdre. Si j’ai un double langage, cela devrait se savoir. J’ai diffusé plus de 200 cassettes. Il y a même un livre qui dit que je parle en arabe dans les banlieues. Le problème c’est que dans les banlieues, ils ne parlent pas arabe. Ce sont des gens qui ont envie de m’utiliser, moi, parce que je suis l’arbre qui cache la forêt qu’ils n’ont pas envie de voir. Et cette forêt, c’est qu’aujourd’hui, il y a des Francais de confession musulmane qui sont Français, qui ne s’appellent pas seulement Zidane qu’on accepte quand il met des buts et on rejetterait tous les autres parce qu’ils sont dans les banlieues. Je dis aux Français de confession musulmane : vous avez des droits comme tous les citoyens. Donc pas de mentalité de victime, travaillez, devenez des citoyens. Cela gêne beaucoup de monde. Parce qu’hier, ils étaient dans les colonies en Algérie. Aujourd’hui ils sont en France et sont des citoyens. Il y en a qui n’ont pas envie de cela. Moi, je suis simplement la voix qui fait entendre ça. C’est pourquoi que cela les gêne. Ils n’ont pas envie de comprendre ou d’admettre que l’islam est une religion française ; qu’il y a des Français qui sont des citoyens comme tous les autres et qui ont eu un passé arabe, algérien, marocain. Il y a un vrai problème de reconnaissance de cela. Je gêne tous ceux qui n’ont pas envie de reconnaître la dimension plurielle de la société française. Ils ont juste envie de symbole. Être ministre de la Justice (Rachida Dati, par exemple) c’est bien. On ne veut pas de symbole pour oublier les autres ; on veut des voix qui permettent à tous d’être présents partout.
Comment avez-vous accueilli l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République française ?
Je savais qu’il allait être président parce qu’il avait préparé cela depuis très très longtemps. Je pense qu’il est extrêmement habile parce qu’il a réussi en l’espace d’une année à faire imploser le Front national (FN) et se déliter le Parti socialiste (PS) en même temps. Il sait lui que ce n’est plus une question idéologique, c’est une question de pouvoir. La différence entre le PS et lui, elle est minime sur le plan idéologique. Il a utilisé chez les socialistes ceux qu’il savait aimer le pouvoir. Je pense qu’il va surprendre beaucoup de monde. Je ne le sous-estime pas du tout. C’est quelqu’un qui a réussi à placer ses billes dans le monde médiatique, dans le monde financier, dans la grande économie et dans le monde politique. Sur ces chantiers, il a établi des gens qui sont très proches de lui. Il peut parfois déraper par des excès d’émotivité. On l’a vu dans certaines circonstances. Cela ne va pas être facile parce qu’il a une vue sur certaines questions qui est problématique notamment en ce qu’il s’agit de la création du ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration.
Vous invitez les musulmans à revenir aux textes fondamentaux. Que voulez-vous dire par là ?
Lorsqu’on revient aux textes fondamentaux, c’est le meilleur moyen pour nous de revenir dans le contexte fondamental et de proposer une nouvelle lecture. Il faut revenir aux fondamentaux, sinon les musulmans ne vous suivront pas. Les musulmans, ils croient dans les textes, ils croient au Coran et ils suivent le Prophète. Vous ne pouvez pas avancer sans les textes. La question est de savoir si vous revenez aux textes par l’intermédiaire des savants du treizième siècle ou si vous revenez aux textes et essayez de les comprendre dans leur contexte. C’est cela revenir aux fondamentaux. Il y a deux façons de le faire : soit revenir pour s’y enfermer littéralement – ce n’est pas mon attitude – soit revenir pour ouvrir les champs d’investigation et essayer de trouver la bonne solution. Il y a des textes qui sont universels, transhistoriques. Il y a d’autres qui demandent de l’interprétation.
Dans certains milieux à Maurice, on estime que vous avez une vision très européenne de l’islam. Qu’en est-il ?
À Maurice, on est habitué à certaines écoles de pensée que je respecte. Dans ces milieux-là, on est habitué à certaines réponses. Quand on vient avec d’autres réponses, on dit que cela vient de l’Europe. Non. Même au Pakistan, même en Inde, en Afrique et dans le monde arabe, il y a plusieurs opinions sur certaines choses. Lorsque je viens avec une opinion, je ne m’inscris pas contre les traditions ; mais je dis : attendez, il y a cette position, mais il y en a d’autres également. Au moins, ayez l’éventail de toutes les solutions. Je respecte les écoles qui sont présentes. Je rappelle d’autres positions sur certaines questions particulières. À partir de là, les gens font leur choix.
Une remarque du ministre britannique Jack Straw à l’effet que le voile gène l’intégration fait débat…
Il ne disait pas le voile, mais le voile intégral. C’était une bonne question posée par la mauvaise personne. C’est devenu une mauvaise question. Jack Straw est un homme politique, un ministre dans le gouvernement britannique. Il pose une question qui est importante. Comment fait-on pour la vie en société ? Cela pose un vrai problème d’autant qu’il y avait le problème d’une enseignante devant des élèves très jeunes. Les enfants pouvaient avoir de la peine à entendre ce qu’elle disait. En tant que musulman, il faut qu’on donne une réponse sur quelle est la vraie prescription islamique. Est-ce la couverture des cheveux sans que la face ne soit couverte ? C’est mon opinion. Je pense que ceux qui vont plus loin doivent vraiment se poser des questions. Au bout du compte, quel rôle social donnez-vous à la femme ? C’est une vraie question qui doit être débattue de l’intérieur. Certains savants sont d’opinion que les femmes ne devraient pas porter le hijab dans une société non majoritairement musulmane parce qu’elles n’étaient pas comprises.
L’appel à la prière a été au centre d’un débat à Maurice. Avez-vous eu l’occasion de suivre cette affaire ?
Dans toutes ces situations on a aujourd’hui des crispations. Ici, il y a eu crispation autour de l’appel à la prière, en Suisse on a eu des crispations autour de la visibilité des minarets. En France, on a eu des crispations autour de la visibilité des foulards. Toutes ces situations elles se crisperont si l’on va vers le conflit et la loi, et elles s’assoupliront si l’on va vers le dialogue et la compréhension mutuelle. Votre situation, elle est passée par les deux étapes. Il y a eu une procédure légale qui a tendu les choses. Des deux côtés il y a eu des gens qui ont polarisé, alors que des deux côtés il fallait calmer les choses et venir à la table de dialogue. C’est ce qu’on a fait après. Il faut commencer par le dialogue et non pas finir. Si le problème c’est le niveau sonore, une fois qu’on l’a baissé, c’est terminé. Lorsque quelque chose dans la tradition de l’autre nous gène il faut le dire, il faut s’asseoir, il faut discuter parce qu’on peut trouver des solutions. Une société plurielle qui s’assume est une société qui dialogue. Une société plurielle qui implose est une société qui ne s’écoute plus ou qui se parle à coup de loi. Le légal est toujours crispant.
Le thème de votre conférence prévue demain (aujourd’hui, NdlR) est l’islam et la démocratie. N’est-ce pas là un terrain glissant pour vous ? À part la Turquie, la démocratie n’est pas légion dans les Républiques islamiques ?
Et le Sénégal et l’Indonésie… On est obsédé par le mode majoritairement musulman parce qu’on pense à l’Arabie. Lorsqu’on pose la question de l’islam et la démocratie, il faut poser la question de principe : est-ce que oui ou non c’est possible ou pas. À mon avis c’est possible d’avoir des processus démocratiques du point de vue islamique sans que cela pose de véritables problèmes. C’est une vraie question que j’ai abordée à plusieurs reprises. J’ai écrit un livre à ce sujet. Même en Turquie on a vu qu’il y a des difficultés avec la présence de l’armée qui joue un rôle. Il n’y a pas d’opposition entre les principes de l’opposition et les principes de l’islam. Et puis il faut que chaque société trouve son modèle et entre dans un processus de démocratisation.
Quel message comptez-vous transmettre aux Mauriciens ?
Le message portera sur ce qui est universel et partagé, de la rencontre du dialogue, de la cohésion et du respect mutuel, de la confiance en soi, de la confiance vis-à-vis des autres. On est dans un monde qui se polarise. Il faut passer à autre chose, construire un autre rapport à soi. Beaucoup de confiance en soi, de respect de l’autre et d’ouverture d’esprit. Un discours orienté vers tous les Mauriciens. On passera parfois par des organisations musulmanes et parfois par des conférences complètement publiques. Il y a un projet mauricien. Qu’il faut que vous protégiez contre vents et marées. Vous avez une réalité insulaire. La réalité d’une société qui est vraiment plurielle culturellement, religieusement. Il ne faut pas perdre cela. Il ne faut pas se laisser noyer par une culture mondiale. Il ne faut pas que la culture de Maurice soit produite à Washington, à Paris ou à Londres. Il faut qu’elle soit produite ici. C’est ici qu’il faut établir la confiance. À l’échelle du monde, Maurice est une localité. Il faut que dans cette localité on ait de vraies initiatives de rencontre, de respect. Il faut protéger. Si cela peut être un espace de paix, un projet pilote de paix et de meilleure connaissance, autant que ce soit ainsi plutôt que le contraire.
En dépit de la mondialisation ?
En résistance à la mondialisation. Le vrai message que Maurice pourrait renvoyer au monde global c’est la réalité du pluriel local.
" Le jihad n’est pas synonyme de guerre sainte "
Nous avons interrogé Tariq Ramadan sur le sens du Jihad, qui, dit-il, n’est pas synonyme de guerre sainte. Il nous a donné la réponse suivante : " D’abord, c’est une question de définition. On dit souvent que c’est la guerre sainte. C’est faux. Cela ne répond à rien dans la traduction à partir de l’arabe. En fait, cela veut dire effort et résistance. Faire un effort et une résistance à quoi ? D’abord, il y a une première dimension personnelle et spirituelle. Chacun d’entre nous a de mauvaises tentations ; il y a de la violence en nous. Nous faisons donc un effort pour résister à cela. C’est un jihad personnel. On prend le contrôle, pourquoi ? On veut être en paix avec soi-même. Le jihad, c’est le chemin, on gère une tension pour aller vers la paix. Ce n’est pas le chemin de la guerre. Sur le plan collectif, lorsqu’on est agressé, résister à l’agression et ou à l’exploitation, cela peut être légitime. Par exemple, résister à des gens qui viennent prendre vos terres, là, c’est la légitime défense. C’est une résistance à l’oppression pour arriver à une situation de justice et de paix. Le jihad, c’est toujours gérer un état de tension par rapport à une oppression pour aller vers la paix. Combattre mon propre égoïsme pour aller vers la paix intérieure. C’est le chemin vers la paix qui passe par un effort, une résistance parce que nous sommes comme ça. Les êtres humains ont besoin de faire des efforts et résister à leurs mauvaises tentations. "
Tariq Ramadan soutient également que le prophète Muhammad n’était pas un belligérant, comme on a voulu le faire accroire. " Je viens d’écrire un livre qui sera partout présent dans mes conférences. Dans cet ouvrage, je présente l’image du prophète où on disait que durant la deuxième période de sa vie, il était belligérant. C’est complètement faux. Au moment où il s’installe à Médine, il y a des gens qui veulent le détruire. Lui, il ne fait que résister à leur volonté de destruction. Il est exactement dans ce jihad-là, celui de la résistance à l’oppression. Alors que cela allait et qu’il n’avait pas besoin de réagir parce qu’il pouvait survivre, il faisait une résistance passive. Comme à la Mecque où il n’a jamais résisté par les armes. Mais à un moment donné, on voulait l’éliminer. Donc il est parti parce qu’il ne voulait pas la guerre. Ils ont fait des alliances avec des tribus alentour pour pouvoir le détruire. Face à cette injustice, il n’avait qu’une seule option : résister par les armes. Il n’y a eu chez lui que la résistance nécessaire face à une répression imposée. C’est comme cela qu’il faut qu’on le comprenne. Ce n’est pas du tout un prophète aux élans de guerrier comme on le présente ".
Paru dans le Mauricien le 26 juillet 2007
TARIQ RAMADAN
“L’islam doit être une force de transformation pour le meilleur”
Tariq Ramadan en est à sa huitième visite à Maurice pour une série de conférences sur le thème de la confiance mais aussi pour partager sa conviction que l’islam peut agir pour le mieux dans la construction citoyenne du musulman.
● Qu’est-ce qui vous amène aussi régulièrement à Maurice ?
Lorsque j’ai visité l’île Maurice voilà onze ans et demi, cela a été une première rencontre qui a culminé à une découverte mutuelle et, pour les Mauriciens, la reconnaissance d’une certaine approche. Il existe une atmosphère à Maurice que j’apprécie beaucoup. Cette reconnaissance et cet acte d’approche ne pouvaient s’inscrire que dans le long terme. Depuis, cela a été une même ligne et un même message universaliste et d’ouverture sur le monde qui ont primé.
● En quoi consiste cette approche ?
Ma première visite a eu lieu avant le 11 septembre et déjà, à cette époque, il était question de sérénité dans ce qu’on est, du refus de la mentalité victimaire et de l’idée que le message est universel. Aujourd’hui encore après le 11 septembre et ses répercussions et les débats sur les lois et le terrorisme, il s’agit toujours de mettre en avant toutes ces dimensions. Le thème retenu pour cette visite est la confiance car il importe de passer d’une évolution de la peur à une révolution de la confiance. Je tiens aussi à dire que c’est une mauvaise perception que de croire que ceux qui m’entourent à Maurice s’accaparent de ma présence. Ils sont plutôt dans l’ouverture et engagés dans un acte de sacrifice.
● On a eu à Maurice il y a quelque temps de cela un débat sur l’“azaan”. Comment analysez-vous ce débat ?
C’est un cas symptomatique qui démontre comment on peut basculer dans la dérive ou accéder à la pacification. On n’arrivera pas à vivre ensemble à travers l’obsession du droit. Ce n’est possible que par la pacification qui passe par le dialogue. D’ailleurs la résolution de la problématique de l’“azaan” chez vous le démontre : c’est dans la négociation qu’a surgi la solution. C’est ce qu’il faut
promouvoir : négocier dans le dialogue plutôt que contrarier par le droit.
● La société politique mauricienne a la propension d’instrumentaliser la religion à des fins électoralistes. Comment sortir de ce cycle ?
Cela ne passera pas par le politique, par cet engagement politique basé sur l’appartenance communautaire. Il faut une politique citoyenne. Le bon angle pour changer les mentalités est un projet social où on réunit
les gens de toutes les confessions. Cela permet de développer une conscience citoyenne qui transcende la conscience ethnique.
● Passons à un autre ordre d’idées ? Comment se porte aujourd’hui, selon vous, “l’axe du mal” ?
S’il y a une chose que je combats de ce point de vue, c’est bien la simplification. Le fait, par exemple, que mon visa ait été révoqué m’interdisant d’entrer sur le sol américain sous l’administration Bush est un honneur. Car ils ont démontré par leurs actes en Afghanistan et en Irak qu’ils sont capables de torture et de déni de justice. C’est en tant que citoyen et non en tant que musulman qu’on doit être inquiets de ces actes. Quant à l’Iran, il n’est qu’un bouc- émissaire.
● Comment en est-on arrivé là ?
On sait que des musulmans sont impliqués dans les actes condamnables du 11 septembre. Il fallait condamner sans verser l’instrumentalisation de ces actes. N’ayant pu éviter cela, on bascule dans la guerre contre le terrorisme. Mais c’est une guerre dont l’une des caractéristiques est d’affronter un ennemi insaisissable, toujours en mouvement et non identifiable. Cela a produit des mesures sécuritaires clairement condamnables et une ère liberticide. En même temps, il faut dire qu’on assiste à monde musulman qui ne s’ouvre pas politiquement. Un monde où il n’y a pas de grand effort de démocratisation sauf dans certains cas. Il ne s’agit pas donc de blâmer seulement l’Occident car il n’y a pas eu de travail critique et surtout de travail sur soi. Aujourd’hui, pour moi, il est autant question de rejeter le cloisonnement du monde musulman tout en luttant durant toute ma vie contre l’unilatéralisme des Etats-Unis sur le dossier israélien.
● Vous évoquez souvent l’impératif d’être citoyen et d’être musulman. Cela n’est-il pas irréconciliable ?
Il y a 18 ans que je travaille sur ces questions. J’ai d’abord cherché les zones de conflit. Or, il s’avère que les Constitutions occidentales et a fortiori la Constitution mauricienne n’empêchent aucun citoyen de pratiquer sa conscience musulmane et sa conscience citoyenne. A l’étude de ces conflits possibles, j’ai identifié l’avis de certains savants qui soulèvent la question de l’appartenance à l’armée où, dans le cas d’un conflit armé, des musulmans pourraient être amenés à se battre contre des pays musulmans. Or, il y a une énorme flexibilité dans les lois musulmanes. Les citoyens musulmans ne sont pas plus ou moins démocrates que les autres. Ce sont des démocrates comme les autres. Je ne crois pas qu’il faille construire un problème là, ou qu’un problème de perception. Je dirais qu’avec une bonne compréhension de l’éthique musulmane, on aboutit à un meilleur engagement citoyen.
● Quelle idée de l’islam que vous vous faites ?
Elle est basée sur trois principes. D’abord, l’islam est une religion universelle. Elle produit des valeurs et une éthique qui ne lui sont pas exclusives. En l’islam, on retrouve des valeurs qui sont chez les autres. Les musulmans doivent revenir vers cet universel pour ne pas s’enfermer dans des particularismes et ne pas céder à la tentation d’être victimes. Ensuite, il y a des valeurs transhistoriques. Soit vivre fidèlement sa foi dans toutes les circonstances et au sein de toutes les sociétés. Il y a donc à tenir compte de toute une dimension de l’histoire et de la culture en termes de ce qui est immuable et ce qui participe de la nécessité du changement. C’est en conséquence une question de réforme et l’islam a les outils pour penser le changement en fonction des principes qui sont les siens. Il s’agit d’avoir en tête le texte et le contexte. L’un ne va pas sans l’autre. Une pensée qui reste la même au XVe siècle et au XXe siècle n’est pas fidèle aux principes fondamentaux. Enfin, il faut être une force de transformation pour le meilleur.
● Comment aborder la question du djihad lorsqu’il y a autant d’interprétations qui sont proposées ?
Lorsque l’abbé Pierre dit qu’il est en guerre contre la pauvreté, je dois tout autant pouvoir dire que je suis en guerre contre la pauvreté ou contre les formes nouvelles d’esclavagisme. Lorsque des murs sont dressés entre le Mexique et les Etats-Unis ou autour de l’Europe, c’est une nouvelle forme d’esclavagisme qu’on pratique. On y retrouve à ces frontières des sous-zones où s’installent des individus dont ces pays ont besoin sur le plan économique. Lorsque ces individus franchissent ces murs et vont finir par travailler clandestinement dans les pays qui les repoussent, c’est en fait une exploitation clandestine de ces femmes et hommes.
● L’islam, le nouvel ennemi de l’Ouest après la fin du communisme ?
L’islam est le nouvel ennemi, c’est une évidence sauf que ce n’est plus du tout pareil comme lorsque les pays de l’Ouest étaient confrontés à l’ennemi soviétique. Il ne s’agit plus d’un ennemi de l’extérieur. Le nouvel ennemi a été créé et sa figure est différente de l’ennemi communiste. Toutefois, dans son expression de rejet, on voit revenir les réflexes de stigmatisation et du maccarthysme.
● Enfin, vous êtes souvent accusé de tenir un double langage. L’un devant les musulmans et un autre devant les non-musulmans. Comment répondez-vous à cette critique ?
Lorsque des journalistes me posent cette question, je leur réponds de m’apporter des preuves. C’est en fait une critique tellement grotesque. En France, par exemple, on m’accuse de parler français et arabe dans les banlieues. Or on ne parle pas et on ne comprend pas l’arabe dans les banlieues ! Nul n’est plus sourd que celui qui ne veut pas entendre la vérité.
Propos recueillis par
Nazim ESOOF
Paru dansL’Express à Maurice le 27 juillet 2007
Salam,
Cette histoire de double language sur vous m’horripile…ça fait belle lurette que je vous lis, prends connaissance de vos conférence…Et en aucun cas vous avez tenu un discours fondamentalise mais plutôt de citoyenneté, d’éthique…J’invite tous ceux et toutes celles qui disent le contraire à le prouver..Inutile on y trouvera rien
salam
Salam,
Cette histoire de double langage m’écoeure. L’honnêteté intellectuelle des journalistes devrait les amener, avant de porter toute accusation, à faire un sondage des « fans » de Tariq Ramadan. Il se rendront compte que son lectorat est constitué d’une jeunesse, intellectuelle, ouverte, capable d’analyser et de critiquer. si Tariq Ramadan avait un quelconque double langage, ses « adeptes » auraient été les premiers à le dénoncer, il ne serait pas si populaire auprès de sa cible qui suit de trés près ses interventions, et qu’il ne déçoit jamais, car justement, il va jusqu’au bout de ces idées, et reste toujours sur sa position. Ce que les détracteurs de Tariq ne supportent pas (et on se demande pourquoi, d’ailleurs??), c’est cette image de l’Islam qu’il véhicule et le message selon lequel il est tout à fait compatible de vivre sa vie pleinement dans un monde moderne, et d’être un bon musulman. et comme Tariq Ramadan semble bien réussir la mission qu’il s’est donné, il faut lui trouver tous les vices du monde. Alors, on dit qu’il a un « double langage », une façon de dire à tous ceux qui croient en lui, « ne l’écoutez pas, c’est un hypocrite qui raconte des mensonges ». je ne comprends vraiment pas en quoi Tariq Ramadan dérange. Si les occidentaux veulent vraiment la paix avec les musulmans, ils devraient faire de Tariq Ramadan leur allié et non leur ennemi. Mais ce n’est pas ce qu’ils recherchent, manifestement et malheureusement. Merci Tariq d’être un modèle vivant d’un Islam authentique et moderne.
Cordials Salams à tous
salam,
depuis que j’ ai l’ age de 8 ans, j’ ecoutes et regardes tariq (par l’ intermediaire de ma soeur) aujourd’ hui j’ en ai 20. je ne dit pas qu’ a 8 ans je comprenais ce qu’ il disait, ce que je veux dire c’ est que j’ ai fini par comprendre son discour mais pourquoi pas les autres?!?!?
la reponse est simple, ils n’ aime ses propos, cela ne concorde pas avec la vision qu’il se font des musulmans!!!!
Entrtien où des questions fondamentales sans flatterie ni arrogance cherchant des vérités dans des situations qui faisaient frémir tant j’avais hâte de connaître le déroulement de la réponse. Toutes mes félicitations à notre cher Tariq Ramadan que le Très-Haut l’ait toujours dans sa protection, pour ses réponses judicieuses qui m’ont donné en plus du plaisir, mille matières de réfléchir d’une manière agréable et enréchissante. D’atre part, il n y a pas un écrit vous concernant sans constater la citation d’un double langage. Tel un enquêteur dans une affaire criminelle, j’étais comme je le suis encore à l’affût en compulsant les écrits, d’un indice ou signe ne serait-ce que pour connaître le sens de ce reproche. Il s’est avéré que je suis un piètre investagateur. Jusqu’ici, je n’ai rien trouvé et les recherches continuent. Vos antagonistes ne peuvent-ils pas avoir la gentillesse de m’aider en me citant emmanant de vous, un mot ou une phrase pour confirmer leurs dires ? En même temps que je pense à eux, je pense au proverbe populaire : les chiens aboient et la caravanne passe.
Malheureusement de nombreux « musulmans » continuent à croire que le djihad consiste à « combattre les mécréants ». Et nos ulémas ne font rien pour condamner cette approche, s’ils le faisaient des dizaines de morts seraient évitées en Irak par exemple.
Pour ce qui est des processus démocratiques du point de vue islamique,
Faut-il chercher à démocratiser l’islam ou tenter d’islamiser l’économie ?
Nous sommes au siècle de la mondialisation, que l’on veuille ou non!
Salam,
J’ai trouvé le texte ci-dessous intéressent. C’est une réponse d’un intellectuel africain au discours de Nicolas Sarkozy sur l’Afrique, tenu le jeudi 26 juillet dernier à Dakar.
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Sarkozy et l’Afrique : Un mauvais départ
Sarkozy a déçu. En choisissant, dans un discours prononcé à l’université de Dakar, d’être égal à lui-même et de parler crû aux Africains, il a choqué en choisissant les mauvais thèmes et en faisant des affirmations fausses, souvent approximatives, presque toujours figées sur le passé et parfois même douteuses quant à l’objectif visé. En déclarant, en somme, que la colonisation est coupable, mais nullement responsable des malheurs de l’Afrique, M. Sarkozy confond superbement épiphénomène et cause profonde. Car, comment vouloir séparer les guerres ethniques et les découpages territoriaux arbitrairement fixés par la colonisation ? Comment dédouaner le colon de toute responsabilité dans le style de gouvernance et dans le sous-développement initial de l’Afrique ? Tous les économistes du développement (1) savent que les conditions initiales d’un pays (c’est-à-dire leurs caractéristiques socio-économiques au moment d’accéder à l’indépendance) continuent d’influencer sur une longue période ses performances économiques. Si le Sénégal avait hérité, en 1960, de la colonisation, des infrastructures et des indicateurs d’éducation, de santé et de nutrition similaires à l’époque à ceux de la France métropolitaine, il aurait réalisé dans la période post-indépendance, toutes choses égales par ailleurs, des taux de croissance plus élevés.
Comment oser déclarer, comme M. Sarkozy l’a fait, que nul ne peut demander aux générations actuelles (de l’Europe) d’exprimer le crime perpétré par les générations passées. Nul ne peut demander aux fils de se repentir des fautes de leurs pères’. Cette même analyse a-t-elle été retenue pour ce qui concerne le peuple juif européen victime du nazisme. N’a-t-il pas obtenu réparation des fautes et des spoliations subies ? Ce qui serait bon pour le peuple juif européen cesserait-il de l’être pour les Africains ?
Au surplus, la vision que M. Sarkozy a de l’homme africain, est étonnante et provocatrice. Selon lui, l’Africain, représenté par le paysan, serait incapable de se tourner vers l’avenir, d’innover et de changer l’ordre des choses, d’entrer dans l’histoire et de s’inventer un destin. On croirait entendre Stephen Smith qui dans son livre : Négrologie, comment l’Afrique meurt, défend les mêmes thèses fallacieuses. De la bouche d’un chef de l’Etat, une telle attitude est inacceptable et répréhensible.
En vérité, M. Sarkozy s’est lourdement trompé en croyant bien faire.
Souhaitant tendre la main à la jeunesse africaine, il n’a fait que prouver sa méconnaissance de l’Afrique, son alignement sur l’esprit paternaliste de l’ami’ européen qui veut aider les éternels jeunes’ africains à lire d’une certaine façon leur passé et leur identité. Non, M. Sarkozy, la jeunesse africaine n’a nullement besoin de votre analyse biaisée pour comprendre ce qu’elle doit faire pour développer son continent. Elle connaît le chemin et prouvera au monde, sous peu, que les pays africains, en se donnant un bon leadership, peuvent, comme les nations asiatiques sont en train de l’expérimenter, émerger et retrouver le rang qu’ils n’auraient jamais dû perdre.
En définitive, les relations entre M. Sarkozy et l’Afrique sont très mal parties et tout permet de penser que la rupture tant annoncée ne serait que mirage.
Moubarack LO Ancien élève de l’Institut d’études politiques de Paris et de l’Ecole nationale d’administration de France Email : [email protected] Web blog : http://www.moubaracklo.blog.lemonde.fr Notes:
(1) – Voir Barro R. J. (1997): Determinants of Economic Growth: A Cross-Country Empirical Study’
Cher Brahim, il semble que vous faites allusion à notre amie Citoyenne dans sa réaction du 28 juillet. Je crois qu’elle approuve totalement les idées très claires que vous soulevez dans votre superbe analyse. Peut-être, qu’elle ne possède pas comme vous, une force de concentration pour réunir assez d’arguments pour se rendre plus explicite. Tout dépend du sens qu’elle donne au terme djihad. Elle parle des Oulamas et, dans cet avis, je partage en partie son raisonnement. J e constate en effet que depuis mon enfance, nos pédagogues en religion ne changent jamais leurs prêches du vendredi. Visant ceux qui ne partagent nos convictions, ils manifestent beaucoup de virulence en invoquant Dieu le Très-Haut à la fin de leur discours : qu’Allah détruise, qu’Allah détruise, qu’Allah détruise…alors que ntre Seigneur dans le Saint Corant nous ordonne de ne prodiguer aux gens que la bonne parole. Pourquoi au lieu de proner la destruction, ne pas donner la préférence à l’invocation du Clément pour prendre en chage les égarés et les non muslmans pour les guider dans le droit chemin ou du moins cesser leurs injustices et surtout pour certains des accidentaux d’extrème droite de faire arrêter leur dénigrement envers l’islam. Quant à vous M.Brahim, jr vous remercie de nous avoir charmés avec un exposé autant utile que captivant.
Je vous l’accorde Msawri un jihad par l’argumentation ne me ferait pas de tort et j’avoue manquer de concentration en cette période estivale.
Rachida, Fadela et Rama…faut bien offrir du rêve aux jeunes de banlieue… « Ensemble Tout devient possible »…
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Indigènes colonisés hier, citoyens musulmans aujourd’hui… Vraiment tout est possible…
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Faut-il encore se rappeler le sang versé, les morts, les torturés à mort… les parents des parents de mes parents…
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L’uniteralisme des States sur le dossier israëlien… La Maison Blanche est pro-israëlienne… Hollywood encore plus…
L’Oréal sponsorise Hollywood… et les jeunes filles en banlieue qui ne parlent pas l’arabe se camouflent derrière un foulard (les cheveux? la bouche? les joues?… pas les yeux quand même!)… et du maquillage L’Oréal made in israël (les cheveux? la bouche? les joues? les yeux aussi!)…
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Fadela, secretaire d’état à la ville, cheveux décoiffés et à la fois très cultivée: maitrise en langue des cités (« maint’nan on va s’mettre à taffer graavvvvv » le jour de sa nomination)
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Rachida maquillée par l’Oréal à la table de ses homologues Palestinien et Israëlien… la paix, la justice, les beaux discours… guerres, injustices, quelle réalité!
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Rama ou Ramatoulaye de son vraie prénom… en fait vous trouvez pas ça bizarre qu’en France on les appele par leur prénom… c’est l’effet « colonisé »…
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L’Oréal siège à Place Vendôme… Israël occupe Israël disait Finkelkraut…
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Cher Arabian Phanter, vous nous rappellez une réalité de laqelle nul ne peut échapper. Il ne faut pas se laisser surtout embobiner par les apparences. Pourquoi notre président ne s’intéresse qu’aux femmes ? Peut-être espère-til qu’ en pervertissant les dames par une intégration totale autant d’ailleurs ridicule qu’inacceptable, les hommes suivront automatiquement si ce n’est par émulation, ce sra par jalousie. Pourtant, je dis en ce qui me concerne, que c’est toujours meilleur que le passé. Avant le mépris pour les affricains, aujourd’hui un semblant de réalisation. Dans un avenir proche ou lointain, contre vents et marrées, les affricains de France finiront par devenir, malgré la haine et la rage de l’extrème droite, des citoyens à parts entières. Il n’ y a pas de raison que la Bulgarie avec peu de liaison avec la France réussisse alors que l’Afrique qui s’est tant sacrifiée sans mesure pour le pays, malgré les injustices subies, ne réalise pas ses buts. Patience, endurance et amour feront des miracles.
Ci-dessous, pour moi un excellent article expliquant clairement la non reconnaissance de l’Autre en un sens égalitaire.
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On tient à voir l’Autre comme profondément différent alors que l’humanité est la base pour tous (oui ça peut paraître idiot mais le problème se situe déjà ici même)
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Les européens ont une difficulté majeure , provenant du passé et ayant duré des dizaines, voire des centaines d’années, dans leur éducation.
Et là, je demande à tous les non-européens de faire preuve de compréhension (pas plus !) à leur égard !
Je sens que les dents vont au minimum grincer …
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En effet, l’Europe, comme nous le savons tous par l’Histoire, a été une super ou plutôt LA super puissance de la planète à une certaine époque.
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Aujourd’hui, ce n’est plus du tout le cas mais les inconsciences des européens (ou pour faire court, des blancs) et même pour certains, les consciences, sont encore marquées par cette « supériorité » totalement infondée mais extrêmement puissante et dont nos éducations sont imprégnées.
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Pour arriver à se sortir de là, il faut un travail pédagogique intense mais d’abord intellectuel (pour ceux qui se sentent supérieurs et pour ceux qui se sentent inférieurs parce que c’est à double-sens bien sûr)
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Ensuite, car là on est seulement au niveau de la réflexion donc de la conscience, il y a encore un énorme travail plus profond à faire et qui doit « s’attaquer » à l’inconscient.
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Car on le voit et on l’entend tous les jours (et je défie quiconque de prétendre qu’il en est exempt) des comportements, des jugements et des remarques qui contredisent ce que l’on croit avoir acquis en matière d’égalité.
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Je ne parle pas ici des gens qui sont profondément convaincu de la supériorité de telle ou telle couleur, religion ou civilisation mais de ceux qui croient ou pensent avoir saisi l’essence de l’égalité…
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Pour y réfléchir et s’en rendre compte si l’on croit y échapper, il est toujours plus facile de penser à un autre thème.
Par exemple, l’égalité (je parle toujours de l’essence) entre hommes et femmes l’égalité entre «bien-portant» et personne handicapée (visible!) ou «riche» et «pauvre» ou «gros» et «mince» ou instruit et non instruit etc etc…
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Je voudrais juste encore préciser que si nous ne sommes pas coupable de cet état de fait historique, nous sommes aujourd’hui responsable de ce que nous en faisons ou n’en faisons pas.
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Je pense que c’est un problème dont nous ne parlons pas… peut-être parce que nous n’en avons guère conscience justement.
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L’Afrique de Nicolas Sarkozy
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«LE VIOL SOUVENT COMMENCE PAR LE LANGAGE»
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[Johannesburg – ] – 01-08-2007 (Achille Mbembe)
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Lors de sa récente visite de travail en Afrique sub-saharienne, le président de la République française, Nicolas Sarkozy, a prononcé à Dakar un discours adressé à « l’élite de la jeunesse africaine ». Ce discours a profondément choqué une grande partie de ceux à qui il était destiné, ainsi que les milieux professionnels et l’intelligentsia africaine francophone. Viendrait-il à être traduit en anglais qu’il ne manquerait pas de causer des controverses bien plus soutenues compte tenu des traditions de nationalisme, de panafricanisme et d’afrocentrisme plus ancrées chez les Africains anglophones que chez les francophones. Achille Mbembe en fait, ici, une critique argumentée.
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En auraient-ils eu l’opportunité, la majorité des Africains francophones aurait sans doute voté contre Nicolas Sarkozy lors des dernières élections présidentielles françaises.
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Ce n’est pas que son concurrent d’alors, et encore moins le parti socialiste, aient quoi que ce soit de convaincant à dire au sujet de l’Afrique, ou que leurs pratiques passées témoignent de quelque volonté que ce soit de refonte radicale des relations entre la France et ses ex-colonies. Le nouveau président français aurait tout simplement payé cher son traitement de l’immigration lorsqu’il était le ministre de l’intérieur de Jacques Chirac, ses collusions avec l’extrême droite raciste et son rôle dans le déclenchement des émeutes de 2005 dans les banlieues de France.
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Pour sa première tournée en Afrique au sud du Sahara, il a donc atterri à Dakar précédé d’une très mauvaise réputation – celle d’un homme politique agité et dangereux, cynique et brutal, assoiffé de pouvoir, qui n’écoute point, dit tout et le double de tout, ne lésine pas sur les moyens et n’a, à l’égard de l’Afrique et des Africains, que condescendance et mépris.
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Mais ce n’était pas tout. Beaucoup étaient également prêts à l’écouter, intrigués sinon par l’intelligence politicienne, du moins la redoutable efficacité avec laquelle il gère sa victoire depuis son élection. Surpris par la nomination d’une Rachida Dati ou d’une Rama Yade au gouvernement (même si à l’époque coloniale il y avait plus de ministres d’origine africaine dans les cabinets de la république et les assemblées qu’aujourd’hui), ils voulaient savoir si, derrière la manuvre, se profilait un grand dessein – une véritable reconnaissance, par la France, du caractère multiracial et cosmopolite de sa société.
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Il était donc attendu. Dire qu’il a déçu est une litote. Certes, le cartel des satrapes (d’Omar Bongo, Paul Biya et Sassou Nguesso à Idris Déby, Eyadéma Fils et les autres) se félicite de ce qui apparaît clairement comme le choix de la continuité dans la gestion de la « Françafrique » – ce système de corruption réciproque qui lie la France à ses affidés africains.
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Mais si l’on en juge par les réactions enregistrées ici et là, les éditoriaux, les courriers dans la presse, les interventions sur les chaînes de radios privées et les débats électroniques, une très grande partie de l’Afrique francophone – à commencer par la jeunesse à laquelle il s’est adressé – a trouvé ses propos franchement choquants. Et pour cause. Dans tous les rapports où l’une des parties n’est pas assez libre ni égale, le viol souvent commence par le langage – un langage qui, sous prétexte d’amitié, s’exempte de tout et s’auto-immunise tout en faisant porter tout le poids de la cruauté au plus faible.
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Régression
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Mais pour qui n’attend rien de la France, les propos tenus à l’université de Dakar sont fort révélateurs. En effet, le discours rédigé par Henri Guaino (conseiller spécial) et prononcé par Nicolas Sarkozy dans la capitale sénégalaise offre un excellent éclairage sur le pouvoir de nuisance – conscient ou inconscient, passif ou actif – qui, dans les dix prochaines années, pourrait découler du regard paternaliste et éculé que continuent de porter certaines des « nouvelles élites françaises » (de gauche comme de droite) sur un continent qui n’a cessé de faire l’expérience de radicales mutations au cours de la dernière moitié du XXe siècle notamment.
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Dans sa « franchise » et sa « sincérité », Nicolas Sarkozy révèle au grand jour ce qui, jusqu’à présent, relevait du non-dit, à savoir qu’aussi bien dans la forme que dans le fond, l’armature intellectuelle qui sous-tend la politique africaine de la France date littéralement de la fin du XIXe siècle. Voici donc une politique qui, pour sa mise en cohérence, dépend d’un héritage intellectuel obsolète, vieux de près d’un siècle, malgré les rafistolages.
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Le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar montre comment, enfermé dans une vision frivole et exotique du continent, les « nouvelles élites françaises » prétendent jeter un éclairage sur des réalités dont elles ont fait leur hantise et leur fantasme (la race), mais dont, à la vérité, elles ignorent tout. Ainsi, pour s’adresser à « l’élite de la jeunesse africaine », Henri Guaino se contente de reprendre, presque mot à mot, des passages du chapitre consacré par Hegel à l’Afrique dans son ouvrage La raison dans l’histoire – et dont j’ai fait, récemment encore et après bien d’autres, une longue critique dans mon livre De la postcolonie (pp. 221-230).
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Selon Hegel en effet, l’Afrique est le pays de la substance immobile et du désordre éblouissant, joyeux et tragique de la création. Les nègres, tels nous les voyons aujourd’hui, tels ils ont toujours été. Dans l’immense énergie de l’arbitraire naturel qui les domine, ni le moment moral, ni les idées de liberté, de justice et de progrès n’ont aucune place ni statut particulier. Celui qui veut connaître les manifestations les plus épouvantables de la nature humaine peut les trouver en Afrique. Cette partie du monde n’a, à proprement parler, pas d’histoire. Ce que nous comprenons en somme sous le nom d’Afrique, c’est un monde anhistorique non développé, entièrement prisonnier de l’esprit naturel et dont la place se trouve encore au seuil de l’histoire universelle.
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Les « nouvelles élites françaises » ne sont pas convaincues d’autre chose. Elles partagent ce préjugé hégélien. Contrairement à la génération des « Papa-Commandant » (de Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand ou Chirac) qui épousait tacitement le même préjugé tout en évitant de heurter de front leurs interlocuteurs, les « nouvelles élites » de France estiment désormais que l’on ne peut rendre compte de sociétés aussi plongées dans la nuit de l’enfance qu’en s’exprimant sans frein, dans une sorte de vierge énergie. Et c’est bien ce qu’elles ont à l’idée lorsque, désormais, elles défendent tout haut l’idée d’une nation « décomplexée » par rapport à son histoire coloniale.
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À leurs yeux, on ne peut parler de l’Afrique qu’en suivant, en sens inverse, le chemin du sens et de la raison, peu importe que cela se fasse dans un cadre où chaque mot prononcé l’est dans un contexte d’ignorance. D’où la tendance à saturer les mots, à recourir à une sorte de pléthore verbale, à procéder par la suffocation des images – toutes choses qui octroient au discours de Nicolas Sarkozy à Dakar son caractère heurté, bégayant et abrupt.
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J’ai en effet beau faire la part des choses. Dans le long monologue de Dakar, je ne trouve d’invitation à l’échange et au dialogue que rhétorique. Derrière les mots se cachent surtout des injonctions, des prescriptions, des appels au silence, voire à la censure, une insupportable suffisance dont, je l’imagine, on ne peut faire preuve qu’à Dakar et à Libreville, et certainement pas à Pretoria ou à Luanda.
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Aux sources de l’ethnologie coloniale
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À côté de Hegel existe un deuxième fonds que recyclent sans complexe les « nouvelles élites françaises ». Il s’agit d’une somme de lieux communs formalisés par l’ethnologie coloniale vers la fin du XIXe siècle. C’est au prisme de cette ethnologie que se nourrit une grande partie du discours sur l’Afrique, voire une partie de l’exotisme qui constitue l’un des visages privilégiés du racisme à la française.
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Cet amas de préjugés, Lévy Brühl tenta d’en faire un système dans ses considérations sur « la mentalité primitive » ou encore « prélogique ». Dans un ensemble d’essais concernant les « sociétés inférieures » (Les fonctions mentales en 1910 ; puis La mentalité primitive en 1921), il s’acharnera à donner une caution pseudo-scientifique à la distinction entre « l’homme occidental » doué de raison et les peuples et races non-occidentaux enfermés dans le cycle de la répétition et du mythe.
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Se présentant – coutume bien rodée – comme « l’ami » des Africains, Leo Frobenius (que dénonce avec virulence le romancier Yambo Ouologuem dans Le devoir de violence) contribua largement à diffuser une partie des ruminations de Lévy Brühl derrière le masque du « vitalisme » africain. Certes, considérait-il que la « culture africaine » n’est pas le simple prélude à la logique et à la rationalité. Toujours est-il qu’il considérait qu’après tout, l’homme noir est un enfant. Comme son contemporain Ludwig Klages (auteur, entre autres, de L’éros cosmogonique, L’homme et la terre, L’esprit comme ennemi de l’âme), il estimait que l’homme occidental avait payé d’une dévitalisation génératrice de comportements impersonnels la démesure dans l’usage de la volonté – le formalisme auquel il doit sa puissance sur la nature.
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De son côté, le missionnaire belge Placide Tempels dissertait sur « la philosophie bantoue » dont l’un des principes était, selon lui, la symbiose entre « l’homme africain » et la nature. Aux yeux du bon père, la force vitale constitue l’être de l’homme bantu. Celle-ci se déploie du degré proche de zéro (la mort) jusqu’au niveau ultime de celui qui s’avère un « chef ».
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Telles sont d’ailleurs, en plus de Pierre Teilhard de Chardin, les sources principales de la pensée de Senghor qu’Henri Guaino se fait fort de mobiliser dans l’espoir de donner aux propos présidentiels une caution autochtone. Ignore-t-il donc l’inestimable dette que, dans sa formulation du concept de la négritude ou dans la formation de ses notions de culture, de civilisation, voire de métissage, le poète sénégalais doit aux théories les plus racistes, les plus essentialistes et les plus biologisantes de son époque ?
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Mais il n’y a pas que l’ethnologie coloniale. Au demeurant, celle-ci se nourrit de nombreux récits de voyage et nourrit à son tour toute une culture populaire dont les films, la publicité, les bandes dessinées, la peinture et la sculpture, la photographie ou les expositions ne sont qu’un aspect. Ici, on s’efforce de créer un objet qui, loin de permettre d’effectuer le travail de reconnaissance de l’Autre, fait plutôt de ce dernier un objet substitutif, de donner libre cours à des fantasmes.
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Le conseiller spécial du président français reprend à son compte cette technique aussi bien que l’essentiel des thèses (qu’il prétend par ailleurs réfuter) des idéologues de la différence et des pontifes de l’ontologie africaine. Puis il procède comme si l’idée selon laquelle il existerait une essence nègre, une « âme africaine » dont « l’homme africain » (Muntu) serait la manifestation la plus vivante – comme si cette idée somme toute farfelue n’avait pas fait l’objet d’une critique radicale par les meilleurs des philosophes africains, à commencer par Fabien Éboussi Boulaga dont l’ouvrage, La crise du Muntu, est à cet égard un classique.
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Dès lors, comment s’étonner qu’au bout du compte, sa définition du continent et de ses gens soit une définition purement négative ? En effet, « l’homme africain » du président Sarkozy est surtout reconnaissable soit par ce qu’il n’a pas, ce qu’il n’est pas ou ce qu’il n’est jamais parvenu à accomplir (la dialectique du manque et de l’inachèvement), soit par son opposition à « l’homme moderne » (sous-entendu « l’homme blanc ») – opposition qui résulterait de son attachement irrationnel au royaume de l’enfance, au monde de la nuit, aux bonheurs simples et à un âge d’or qui n’a jamais existé.
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Pour le reste, l’Afrique des « nouvelles élites françaises » est essentiellement une Afrique rurale, féérique et fantôme, mi-bucolique et mi-cauchemardesque, peuplée de paysans, faite d’une communauté de souffrants qui n’ont rien commun sauf leur commune position à la lisière de l’histoire, prostrés qu’ils sont dans un hors-monde – celui des sorciers et des griots, des êtres fabuleux qui gardent les fontaines, chantent dans les rivières et se cachent dans les arbres, des morts du village et des ancêtres dont on entend les voix, des masques et des forêts pleines de symboles, des poncifs que sont la prétendue « solidarité africaine », « l’esprit communautaire » , « la chaleur » et le respect des aînés.
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La politique de l’ignorance
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Le discours se déroule donc dans une béatifique volonté d’ignorance de son objet, comme si, au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, l’on n’avait pas assisté à un développement spectaculaire des connaissances sur les mutations, sur la longue durée, du monde africain.
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Je ne parle pas de la contribution des chercheurs africains eux-mêmes à la connaissance de leurs sociétés, ni de la critique interne de leurs cultures – critique à laquelle certains d’entre nous ont contribué. Je parle des milliards de son propre trésor que le gouvernement français a commis dans cette grande uvre et ne m’explique guère comment, au terme d’un tel investissement, on peut encore, aujourd’hui, parler de l’Afrique en des termes aussi peu intelligents.
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Que cache cette politique de l’ignorance volontaire et assumée ?
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Comment peut-on se présenter à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar au début du XXIe siècle et parler à l’élite intellectuelle africaine comme si l’Afrique n’avait pas de tradition intellectuelle et critique propre et comme si Senghor et Camara Laye étaient les derniers mots de l’intelligence africaine au cours du XXe siècle ?
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Par ailleurs, où sont donc passées les connaissances accumulées au cours des cinquante dernières années par l’Institut de Recherche sur le Développement, les laboratoires du Centre National de la Recherche Scientifique, les nombreux appels d’offres thématiques réunissant chercheurs africains et français qui ont tant servi à renouveler notre connaissance du continent – initiatives souvent généreuses auxquelles il m’est d’ailleurs arrivé, plus d’une fois, d’être associé ?
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Comment peut-on faire comme si, en France même, Georges Balandier n’avait pas montré, dès les années cinquante, la profonde modernité des sociétés africaines ; comme si Claude Meillassoux, Jean Copans, Emmanuel Terray, Pierre Bonafé et beaucoup d’autres n’en avaient pas démonté les dynamiques internes de production des inégalités ; comme si Catherine Coquery-Vidrovitch, Jean-Suret Canale, Almeida Topor et plusieurs autres n’avaient pas mis en évidence et la cruauté des compagnies concessionnaires, et les ambigüités des politiques économiques coloniales ; comme si Jean-François Bayart et la revue Politique africaine n’avaient pas tordu le cou à l’illusion selon laquelle le sous-développement de l’Afrique s’explique par son « désengagement du monde » ; comme si Jean-Pierre Chrétien et de nombreux géographes n’avaient pas administré la preuve de l’inventivité des techniques agraires sur la longue durée; comme si Alain Dubresson, Annick Osmont et d’autres n’avaient pas décrit, patiemment, l’incroyable métissage des villes africaines ; comme si Alain Marie et les autres n’avaient pas montré les ressorts de l’individualisme ; comme si Jean-Pierre Warnier n’avait pas décrit la vitalité des mécanismes d’accumulation dans l’Ouest-Cameroun et ainsi de suite.
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Déni de responsabilité
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Quant à l’antienne sur la colonisation et le refus de la « repentance », voilà qui sort tout droit des spéculations de Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut et autres Daniel Lefeuvre. Mais à qui fera-t-on croire qu’il n’existe pas de responsabilité morale pour des actes perpétrés par un État au long de son histoire ? À qui fera-t-on croire que pour créer un monde humain, il faut évacuer la morale et l’éthique par la fenêtre puisque dans ce monde, il n’existe ni justice des plaintes, ni justice des causes ?
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Afin de dédouaner un système inique, la tentation est aujourd’hui de réécrire l’histoire de la France et de son empire en en faisant une histoire de la « pacification », de « la mise en valeur de territoires vacants et sans maîtres », de la « diffusion de l’enseignement », de la « fondation d’une médecine moderne », de la mise en place d’infrastructures routières et ferroviaires. Cet argument repose sur le vieux mensonge selon lequel la colonisation fut une entreprise humanitaire et qu’elle contribua à la modernisation de vieilles sociétés primitives et agonisantes qui, abandonnées à elles-mêmes, auraient peut-être fini par se suicider.
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En traitant ainsi de la colonisation, on prétend s’autoriser, comme dans le discours de Dakar, d’une sincérité intime, d’une authenticité de départ afin de mieux trouver des alibis – auxquels on est les seuls à croire – à une entreprise passablement cruelle, abjecte et infâme. L’on prétend que les guerres de conquête, les massacres, les déportations, les razzias, les travaux forcés, la discrimination raciale institutionnelle – tout cela ne fut que « la corruption d’une grande idée » ou, comme l’explique Alexis de Tocqueville, « des nécessités fâcheuses ».
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Demander que la France reconnaisse, à la manière du même Tocqueville, que le gouvernement colonial fut un « gouvernement dur, violent, arbitraire et grossier », ou encore lui demander de cesser de soutenir des dictatures corrompues en Afrique, ce n’est ni la dénigrer, ni la haïr. C’est lui demander d’assumer ses responsabilités et de pratiquer ce qu’elle dit être sa vocation universelle.
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D’autre part, il faut être cohérent et cesser de tenir à propos de la colonisation des propos à géométrie variable – certains pour la consommation interne et d’autres pour l’exportation. Qui convaincra-t-on en effet de sa bonne foi si, en sous-main des proclamations de sincérité telles que celles de Dakar, l’on cherche à dédouaner le système colonial en cherchant à nommer, à titre posthume comme maréchal, des figures aussi sinistres que Raoul Salan ou en cherchant à construire un mémorial à des tueurs comme Bastien Thiry, Roger Degueldre, Albert Dovecar et autres Claude Piegts ?
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Conclusion
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La majorité des Africains ne vit ni en France, ni dans les anciennes colonies françaises. Elle ne cherche pas à émigrer dans l’Hexagone. Dans l’exercice quotidien de leur métier, des millions d’Africains ne dépendent d’aucun réseau français d’assistance. Pour leur survie, ils ne doivent strictement rien à la France et la France ne leur doit strictement rien. Et c’est bien ainsi.
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Ceci dit, un profond rapport intellectuel et culturel lie certains d’entre nous à ce vieux pays où, d’ailleurs, nous avons été formés en partie. Une forte minorité de citoyens français d’origine africaine, descendants d’esclaves et d’ex-colonisés y vivent, dont le sort est loin de nous être indifférent, tout comme celui des immigrés illégaux qui, malgré le fait d’avoir enfreint la loi, ont néanmoins droit à un traitement humain.
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Depuis Fanon, nous savons que c’est tout le passé du monde que nous avons à reprendre ; que nous ne pouvons pas chanter le passé aux dépens de notre présent et de notre avenir ; qu’il n’y a pas de mission nègre comme il n’y a pas de fardeau blanc ; que nous n’avons ni le droit ni le devoir d’exiger réparation de qui que ce soit ; que le nègre n’est pas, pas plus que le blanc ; et que nous sommes notre propre fondement.
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Aujourd’hui, y compris parmi les Africains francophones dont la servilité à l’égard de la France est particulièrement accusée et qui sont séduits par les sirènes du nativisme et de la condition victimaire, beaucoup d’esprits savent pertinemment que le sort du continent, ou encore son avenir, ne dépend pas de la France. Après un demi-siècle de décolonisation formelle, les jeunes générations ont appris que de la France, tout comme des autres puissances mondiales, il ne faut pas attendre grand-chose. Personne ne sauvera les Africains malgré eux.
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Elles savent aussi que jugées à l’aune de l’émancipation africaine, certaines de ces puissances sont plus nuisibles que d’autres. Et que compte tenu de notre vulnérabilité passée et actuelle, le moins que nous puissions faire est de limiter ce pouvoir de nuisance. Une telle attitude n’a rien à voir avec la haine de qui que ce soit. Au contraire, elle est le préalable à une politique de l’égalité sans laquelle il ne saurait y avoir un monde commun.
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Si donc la France veut jouer un rôle positif dans l’avènement de ce monde commun, il faut qu’elle renonce à ses préjugés. Il faut que ses nouvelles élites opèrent le travail intellectuel nécessaire à cet effet. On ne peut pas parler à l’ami sans s’adresser à lui. Etre capable d’amitié, c’est, comme le soulignait Jacques Derrida, savoir honorer en son ami l’ennemi qu’il peut être. Cela est un signe de liberté.
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Pour l’heure, le prisme à partir duquel elles regardent l’Afrique, la jugent ou lui administrent des leçons n’est pas seulement obsolète. Il ne fait aucune place à des rapports d’amitié qui seraient coextensifs à des rapports de justice et de respect. Tant que cet aggiornamento n’est pas réalisé, ses clients et affidés locaux continueront de l’utiliser pour de tristes fins. Mais personne, ici, ne la prendra vraiment au sérieux et, encore moins, l’écoutera.
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Achille MBEMBE est Professeur de sciences politiques et d’histoire à l’Université de Witvatersrand de Johannesburg.
Voici un extrait des propos de notre cher Président à Dakar selon T. Heams dans Libé de ce jour, tribune Rebonds:
<< le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain [.] dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine ni pour l'idée de progrès. Dans cet univers où la nature commande tout, [ il ] reste immobile au milieu d'un ordre immuable où tout semble être écrit d'avance. Jamais l'homme ne s'élance vers l'avenir. Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin.>>
Plus cliché que cela, c’est difficile à faire! Inculture, irrespect, racisme…
Merci Louise pour la contribution envoyée.
F
salam
Ne deviens pas ami des groupes bien commodes.
Sachez que la majorité avec Ahira achète Dunya.
Sachez que la majorité profite des prédicateurs pour Améliorer sa position.
Baraka cette d’Allah, d’aimant avec les pauvres, ceux qui n’ont pas obtenu un bien de ce monde aux dépens de sa religion.
Il y aura toujours des groupes qui avec les lumières De dawa étrangère(d’autrui),
cherchent son bienfait, un bien et une paix ne leur intéresse pas de Là-bas.
Retourne-toi à Allah et tu les reconnaîtras. Insha Allah.
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Des propos très intéressants sur le racisme inconscient
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bonjour
merçi pour ces mots, qui reconfortent l’ame et donnent de l’espoir, j’ai 48 ans et pour la premiere fois dans la vie je vien d’etudier l’histoire des musulmans d’espagne « Al-Andalous)…..;en bon occidental à l’ecole on nous a tout caché, j’ai une seule chose à dire » merçi de ce magnifique eritage culturel que l’islam et le monde arabe nous ha donné, aujourd’hui je me sent plus riche et je comprend mieux votre message, il est temps d’agir pour tous les hommes de bonne volonté
S. Massimo
Bonjour Tariq
pour info : J’ai posté deux de tes articles sur mon blog
http://eva-communion-civilisations.over-blog.com
Bien à toi
Eva