Entretien paru dans Saphirnet.infoLa révocation du visa de M. Tariq Ramadan anime la polémique. Le revirement de l’administration américaine en interroge plus d’un. Les uns y voient la confirmation des soupçons portés contre le leader musulman, les autres y voient une mise en danger des libertés individuelles de l’universitaire et du penseur. M. Ramadan a bien voulu nous livrer les analyses et les enseignements qu’il tire de cette nouvelle affaire lancée par la Homeland Sécurité qui garde le silence.
– SaphirNet.info : La révocation de votre visa par le Homeland Security est chose inattendue. Comment vivez-vous la situation actuelle ?
Tariq Ramadan : Cette décision était, en effet, inattendue. Ma famille et moi-même avons obtenu le visa après des mois d’une enquête minutieuse. Nous apprenons sa révocation à seulement 9 jours du départ. Nos affaires sont déjà envoyées aux Etats-Unis. Les inscriptions des enfants sont effectives. L’appartement que nous avions à Genève est vide…Tout cela est assez difficile à vivre. Cinq semaines plus tard, nous n’avons toujours pas d’information du Homeland Security & du State Department. Il y a même une certaine confusion. Des informations contradictoires nous parviennent. Nous ne savons plus très bien ce qui est révoqué et ce qui ne l’est pas… De plus, sous le Patriot Act, les autorités ne sont pas obligées de donner des informations. Pour le moment, nous n’avons donc pas d’éléments tangibles et cela est difficile à vivre car nous ne savons pas du tout ce qui va advenir
– Vos soutiens ont été nombreux parmi les intellectuels américains. Le président de l’université Notre Dame vous a réitéré son soutien et sa confiance. Il y a certainement des motifs d’espérer un dénouement heureux.
L’université Notre Dame, par le biais de son président et du directeur du Kroc Institute, a pris une position extrêmement solide. D’abord par la voie légale où toute une procédure a été engagée et pourrait nous permettre d’avoir des informations. Ensuite par une voie plus politique en usant des contacts de l’université au plus haut niveau. Nous savons maintenant, bien plus que nous n’avions imaginé au moment où le visa nous avait été octroyé, qu’il y a eu un travail de l’intérieur de l’administration : différents groupes de pression ont mis en évidence le danger de ma présence aux Etats-Unis. Il semblerait que ces groupes soient autant de France que des Etats-Unis. C’est ce que révèlent les avis même de Daniel Pipes et les écrits de nombreux journalistes américains … Je reçois des mails de tous les Etats-Unis. Des associations comme l’Association Américaine des Professeurs d’Universités, l’Académie des Religions, l’Organisation des Professeurs enseignant les Etudes Proches Orientales et bien d’autres encore… Mes travaux ne souffrent d’aucun reproche. Mais, au delà de ma personne, il y a un enjeu plus important qui est celui de la liberté d’expression académique. Des associations juives sont aussi intervenues pour contester cette décision. Sans compter les grandes associations de musulmans d’Amérique du Nord qui se sont exprimées. Je devais intervenir le weekend dernier au congrès annuel de l’ISNA , (Islamic society of North America). Ils ont décidé de me faire enregistrer un DVD afin qu’au delà de cette interdiction, mon message soit entendu. Tous les grands médias ont couvert l’affaire plutôt favorablement.
– En parlant de vous, Daniel Pipes a avancé : « j’ai bien peur qu’il soit engagé dans un jeu complexe qui consiste à se faire passer pour un modéré alors qu’il a des liens avec al Quaida ». Et présente ses sources qui sont ses « lectures des journaux français ».
Il est évident que je retrouve aux Etats-Unis, par la plume ou l’ordinateur de Daniel Pipes ou de Fouad Ajami (son ami, qu’il considère comme l’exemple de l’universitaire « arabe » ) tout ce que j’ai déjà connu en France et de façon toujours aussi non fondée. J’ai donc écrit un texte sur la notion de Vérité ( Ndr : publié dans Globe and Mail – Canada- The Herald Tribune -USA- , et The Guardian – G.B-), dans lequel je dis que la notion de « vérité » chez Descartes est « une idée claire et distincte », chez Kant, c’est « la cohérence ». Et, aujourd’hui, dans les médias, cela se résume à la « répétition ». A force de répétitions, des « informations » deviennent des « vérités ». Ce qui se disait au conditionnel hier, se dit aujourd’hui à l’indicatif sans qu’il y ait eu vérifications.
– Mais Daniel Pipes est présenté comme un scientifique
Soit, mais au delà de notre affaire, il est connu pour produire un travail qui, sur le plan scientifique, est pour le moins très léger. Il se base sur des éléments qui sont soit de seconde main, soit de « pas de main du tout » … Il a publié dans le New York Sun (un journal très néo-conservateur et qui tient parfois des propos extrêmement durs sur les Musulmans), un article dans lequel il avançait onze points qui constitueraient la preuve évidente de ma condamnation définitive. Le Chicago Tribune m’a donné la possibilité de lui répondre. Ce que j’ai fait. Je lui ai dit, comme à tous ceux qui tiennent les mêmes propos, qu’à partir du moment où vous tenez ce genre d’allégations, soit vous les prouvez et on en discute, soit vous vous portez atteinte à la dignité de votre propre intelligence et à la dignité de ma personne. Et lorsque la dignité humaine est négligée je ne suis plus de la partie… Cela dit, tout le monde n’est pas dupe. Il y a même un site d’organisations juives qui s’en prennent à Daniel Pipes et qui opèrent une vraie délégitimation de son travail. Mais malheureusement il semblerait que ses réseaux aient la main longue et qu’il puisse toucher au plus haut niveau. C’est tout même le président G. Bush qui l’a coopté dans le comité The United States Institute of Peace. Une nomination qui avait suscité, à l’époque, de vives réactions. Pour autant, ces allégations ne sont que des campagnes organisées, comme elles l’ont été au préalable ici en France et qu’elles n’ont pas empêché le Homeland Security de me donner le visa. Donc, en me donnant le visa, le 5 mai dernier, alors que toutes ces fausses accusations étaient déjà connues, il était implicitement mais clairement affirmé que toutes ces allégations étaient fausses.
– La polémique autour de votre « Critique des nouveaux intellectuels communautaires» ne vous a pas fait que des amis. Selon John Esposito, professeur à L’Université de Georgetown, « cette décision pourrait bien être influencée par des groupes de pressions juifs influents auprès du gouvernement américain » et Rachid Khalidi dénonce en ce sens une « chasse aux sorcières » qui est menée par certains milieux pro-israéliens favorables au gouvernement de M. Sharon . Cette hypothèse de « groupe de pression » vous paraît-elle plausible ?
A partir du moment où je sais que je n’ai rien à me reprocher que ce soit sur le plan intellectuel, social, et politique et qu’en plus j’allais aux Etats-Unis m’installer : s’installer aux Etats-Unis après le 11 septembre pour un musulman, est en soit révélateur du fait que la personne qui y va n’a rien à cacher. Sinon ce serait suicidaire et je n’ai pas cette tentation là… Donc à partir du moment où tout cela est clair, il faut alors chercher d’autres raisons : Qu’est ce qui peut faire en sorte qu’un discours, qu’un engagement qui n’a pas cessé de condamner les lectures les plus littéralistes, les extrémismes, qui n’a pas cessé de dire aux musulmans n’acceptez pas l’antisémitisme, même s’il faut être clair et rigoureux dans sa critique de l’Etat d’Israël comme de n’importe quel Etat arabe ou soi-disant musulman, quand tout ce que j’écris montre une cohérence, alors il faut bien aller chercher ailleurs les raisons qui motivent cette censure. Vous citer à juste titre deux sources qui convergent dans leur analyse et elles ne sont pas les seules : Le journal allemand Die Zeit affirme que « ce texte là pourrait bien lui avoir coûé son poste ». Si l’on y regarde bien, en l’espace d’une seule année, depuis la publication du texte auquel vous faites référence, on s’aperçoit combien, sur certains plans, mes propos sont confirmés. Sur la gestion de la question de l’antisémitisme en France et la constante stigmatisation d’une communauté arabo-musulmane qui serait « responsable du nouvel antisémitisme » mais également sur la question de la guerre en Irak. Je peux admettre pouvoir faire des erreurs. Par contre, les réactions suscitées par ce texte sont complètement exagérées. Le lot d’insultes proférées à mon encontre par les « plus grands intellectuels » ou même par certains politiques, m’amènent à dire qu’il y certainement une relation de cause à effet puisqu’une campagne a bel et bien été menée et il semblerait qu’elle ne soit pas terminée…
– Si cette décision devenait définitive, quelles alternatives envisagez-vous ?
Pour l’instant nous sommes dans l’expectative. Nous confirmons avec force, l’université et moi-même, que je suis engagé à l’Université Notre Dame pour les deux postes qui m’ont été confiés. Pour le moment, nous nous tenons à cela et l’université s’attache à ce que la décision soit révoquée. Car juste après le refus, l’on m’a fait savoir que je pouvais redemander un visa. Mais comment présenter une nouvelle demande de visa alors que nous ne savons toujours pas pourquoi le premier visa a été révoqué ? Quoi qu’il advienne, nous avons décidé que mon travail serait maintenu pour cette année, avec l’idée que je puisse donner mes cours par téléconférence. C’est la preuve, encore une fois, que l’université me soutient complètement. Maintenant s’il y avait effectivement une fin de non recevoir définitive, c’est seulement alors que je verrai. Pour l’heure, j’aimerais avant tout pouvoir sécuriser l’année scolaire des enfants. Ils ont retrouvé le chemin de l’école et repris leur scolarité à Genève. Je ne prendrai donc aucune décision précipitée, je ferai en sorte de d’abord penser à eux, car c’est une expérience qui est pour le moins déstabilisante.
– Quels enseignements tirer de cette affaire ?
C’est qu’il y a, d’une part, des personnes avec qui je pouvais être plus ou moins en accord sur le plan de l’analyse. Et ces personnes considèrent le traitement que je subis absolument injuste et continuent de me soutenir. Ce sont des intellectuels, des journalistes, des représentants religieux. II y a d’autre part des intellectuels français qui ne sont absolument pas d’accord avec mon analyse et qui ont pris des positions extrêmement critiques à mon égard mais qui voient dans cette affaire un déni de droit et une atteinte à la liberté d’expression académique et qui s’engagent sur le principe. Je trouve cela digne. Ce constat vaut pour la France et également l’Espagne, où de nombreux professeurs ont pris position. Je retrouve aussi ces types de soutiens en Italie, en Australie, à l’Ile Maurice, en Angleterre, au Maroc, en Malaisie, en Indonésie, en Australie, etc. Bien entendu, aux Etats-Unis aussi, la mobilisation est très significative. Bien évidemment il y a aussi tout un groupe d’intellectuels qui entretenaient déjà la suspicion et qui s’élèvent aujourd’hui pour dire « vous voyez ! On vous l’avait bien dit ». Certains d’entre eux préparent des ouvrages, toujours sans preuves. Une rentrée littéraire assez nourrie se prépare en France puisqu’une cinquantaine de livres qui parlent de l’Islam sont à paraître. Deux ou trois de ces livres me sont directement destinés. Ce sont des attaques en règle. Le journal Lyon Mag’, contre qui j’ai gagné un procès [[voir notre analyse->http://www.saphirnet.info/article_410.html]], me prépare une croustillante « biographie ». Il y a les écrits à venir du groupe de « Pro Choix », Fourest, qui a déjà écrit un livre sur les extrémismes. Sur cinq pages de citations me concernant, tout est faux. (les citations renvoient soit à la préface, soit à la présentation de l’auteur etc ) Quand je lui ai fait la remarque, elle m’a répondu qu’il s’agissait de « coquilles » ! Elle se présente comme une journaliste d’investigation mais elle ne dit pas ce qui en fait motive ses soi-disant investigations toujours très aveuglément pro-sionistes… Gilles Kepel sort également un livre dont j’ai pu lire une partie. Il se veut un observateur objectif. Mais sa démarche ne relève même pas du compte rendu journalistique. Peut-être se rendra-t-on compte un jour que M. Kepel est un intellectuel dangereux, intellectuellement malhonnête, faussement connaisseur de son objet d’étude. Les médias le chérissent mais la profession ne lui reconnaît aucun réel sérieux…
– C’est là un dilemme de l’Islam en France aujourd’hui. Certains discours dans les médias sont porteurs indépendamment de leur valeur de vérité ou simplement leur valeur scientifique.
Il y a aujourd’hui un échange de bons procédés entre les politiques sécuritaires et les essais publiés. On voit les Renseignements généraux donner des informations aux universitaires, aux chercheurs ou aux journalistes d’investigation qui en tirent des livres. Ces livres sont destinés à répandre la suspicion et la peur. Lorsqu’on les lit, on se dit que la France, l’Europe sont un « camp retranché » des groupes les plus radicaux. La peur répandue par ces écrits justifie, à posteriori, les politiques sécuritaires qui permet aux Renseignements généraux de poursuivre leur travail. La boucle est bouclée. Les écrivains vendent des livres. Les Renseignements généraux se voient alloués des budgets pour surveiller. L’on croit aujourd’hui que cela ne touche que les Musulmans. A terme, tous les citoyens pâtiront de ces politiques sécuritaires et liberticides. Si l’on n’en prend pas conscience, tous en subiront les conséquences. Ce débat concerne tous les citoyens au-delà des cas personnels. Il faut dire que oui, il y a du terrorisme, oui il y a de la violence et il faut les dénoncer et les combattre, mais cela ne peut signifier jeter la suspicion sur toutes les dynamiques associatives musulmanes, menant à la citoyenneté , menant à la contribution de ces populations de confession musulmane… Il faut aujourd’hui faire entendre que l’approche extrêmement pernicieuse du fait musulman (que subissent d’abord les musulmans), est en train de toucher toute la société qui vit dans le mal-être, la peur et le doute… A nous donc, de ne pas sombrer dans la victimisation tout en affirmant nos droits. Il faut avoir la capacité de sortir de nos ghettos intellectuels pour faire entendre que ce qui nous arrive a des effets collatéraux sur tous. Tout en reconnaissant la présence de certains dangers, nous ne pouvons pas admettre que des politiques liberticides s’installent partout et face taire les légitimes revendications de justice. Propos recueillis par Mayoufi Naziha
Salam alaykoum Tarik,
Je tiens à vous féliciter pour vos discours, vos idées, vos réflexions qui sont tellement justes et je vous souhaite beaucoup de courage dans votre continuation dans ce combat pour l’islam .
Que Dieu vous aide à tenir bon et j’éspère que beaucoup d’autres Tarik Ramadan feront surface et mèneront le même combat que vous.
Nous sommes de tous coeur avec vous Tarik et vous nous apportez tellement
et vous verrez si Dieu le veut, qu’un jour tout ceci portera ses fruits et je pense qu’aujourd’hui beaucoup de personnes dans la communauté musulmane mais pas seulement, à ouvert les yeux grace à vos efforts, votre volonté, vos convictions et que Dieu vous récompense inch’Allah pour tout ce que vous faites.
Salam alaykoum.