« Laïcité : un faux débat » par Soufiane Hassaoui

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« La position prise dans le texte est celle de son auteur et pas forcément celle du site qui l’accueille et la publie »

 La laïcité est de ces mots sans cesse utilisés sur le mode incantatoire dans les médias, dans la bouche des principales figures de la classe politique… La laïcité est utilisée comme si elle était un moyen de transcender les débats, de pousser le contradicteur à l’opprobre par la seule prononciation de ce mot. Elle est devenue une arme fatale, principe absolu auréolé d’émotivité servant à faire apparaître certaines personnes opposées à la République, à la France et à l’Etat de droit. Faire « apparaître » seulement, car ce mot magique est utilisé afin de cristalliser les apparences, polariser des débats entre les bons, qui ne jurent que par la laïcité, et les mauvais, écrasés par le poids de l’incantation apparemment légitime qui leur est opposée.

Il est vrai à bien des égards que les gouvernements français, soit sont les serviteurs électoralistes de l’opinion publique, soit sont eux-mêmes pris dans les mêmes craintes, dans les mêmes angoisses, dans la même anxiété que celle-ci. Il y a une différence entre apaiser les peurs et s’y soumettre. Il est indéniable que la présence, longue et de plus en plus visible, des citoyens de confession musulmane crée des inquiétudes et des questionnements généralement sincères. Charge aux musulmans de démonter ces craintes en rentrant en interaction avec leurs environnements sociaux, et ils prouvent d’ores et déjà par millions que l’on peut être parfaitement Français et parfaitement Musulman en même temps. Le gouvernement français, bien loin de lutter contre des représentations fausses et dangereuses, invoque la laïcité comme une arme de défense, légitimant par-là les craintes, puisqu’il y aurait un danger et qu’il faudrait s’en prémunir. Ledit danger serait multiforme (atteintes aux droits des femmes, embrigadement de jeunes mineurs, communautarisme, etc…) mais il aurait toujours à voir avec l’expression visible du fait religieux. La laïcité, par le caractère pernicieux de cette utilisation, devient un instrument de la peur.

Il faut lutter, non pas contre la laïcité mais au nom de cette dernière contre l’usage que certains en font. C’est là une importante distinction. Il nous faut dénoncer les illusions sur la laïcité  tout en se l’appropriant, héritage historique visant à protéger les personnes physiques de l’Etat et non pas l’inverse. La polarisation entre religieux et laïcs est vaine. Aujourd’hui, deux laïcités s’opposent : l’une dogmatique, anticléricale, restrictive des libertés, et l’autre, éclairée, en concordance avec le droit, porteuse de garanties pour tous. Cette dernière est bien sûr la laïcité véritable, soyons-en donc les dignes partisans et dénonçons les extrémistes d’une laïcité venue d’on ne sait où qui nous la présentent comme une valeur universelle déliant l’Etat de toute limite alors qu’elle est un concept juridique et qu’à l’instar de tout principe de droit la laïcité a ses règles. Ces dernières ne visent pas à empêcher toute remontée en puissance du fait religieux, elles servent notamment à garantir la liberté de culte (lequel est public selon la jurisprudence constante) et l’égal traitement de toutes les croyances (de l’athéisme à l’Islam). Dans une société plurielle, la laïcité est une chose heureuse pour tous, religieux ou non. Elle n’est pas un blanc-seing donné aux dépréciateurs de la pratique religieuse pour leur permettre de dénaturer la loi dans le sens de la restriction parce que la présence de certains religieux, ou de religieux trop visibles les gêne.

La réappropriation de la laïcité véritable permet d’inscrire dans un même mouvement religieux de tous horizons et athées, et donc de supplanter le traditionnel manichéisme entre les uns et les autres. Il est primordial de décentrer les débats relatifs aux ponctuels contentieux, par exemple entre musulmans pratiquants et employeurs, de l’opposition (entre obscurantisme et ouverture d’esprit) à un débat sur nos principes communs, dont celui du strict respect de la loi. Il n’y a pas lieu pour un citoyen, religieux ou non, de cultiver un quelconque complexe d’infériorité par rapport à la laïcité, elle n’est pas une défaite de la foi, pas plus qu’une victoire de l’anticléricalisme mais un texte de compromis historique. Encore faut-il que les Français, religieux ou non, pour pouvoir porter cet héritage de la laïcité dans son acception vraie et légitime, s’informent de ce qu’elle est et de ce que certains tentent de lui faire dire.

Dans les prochaines semaines, la Cour européenne des droits de l’homme va rendre un arrêt concernant la loi du 11 octobre 2010 portant interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public. Cette loi se fonde sur la garantie de l’ordre public, et pourtant, dans les débats qui l’ont précédée, de nombreuses fois la laïcité a été invoquée en soutien à l’interdiction, preuve d’une dangereuse confusion du principe laïc avec un sentiment de rejet de la visibilité religieuse. Il n’est pas sot, loin s’en faut, de penser que la France court un grand risque de condamnation comme de nombreux constitutionnalistes l’ont mis en exergue. Si tel était le cas, espérons qu’on ne laissera pas aux seuls chantres du laïcisme de combat le soin de commenter cette décision, pour ne pas les laisser prendre encore en otage la laïcité.

« La position prise dans le texte est celle de son auteur et pas forcément celle du site qui l’accueille et la publie »

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