« L’équilibre » par Fatih Cinar

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« La position prise dans le texte est celle de son auteur et pas forcément celle du site qui l’accueille et la publie »

L’une des choses les plus difficiles dans la vie est sans doute de préserver l’équilibre. Un équilibre entre le corps et le cœur, aussi dans le corps seul, puis dans le cœur seul. Le corps seul relève de la médecine, pourrait-on dire. Ici, l’équilibre est plutôt facile à assurer. Une alimentation saine, ainsi qu’une activité physique régulière peuvent pallier les problèmes.

Pour ce qui est des deux autres, l’équilibre entre le corps et le cœur et celui du cœur seul, ceux-ci sont plus délicats. Lors des prières rituelles, le musulman invoque au moins trente-deux fois son Seigneur pour le guider vers la Voie, le juste milieu, l’équilibre. Sırat-al müstakim, dit-on.

Avoir un corps au service du cœur, un cœur au service du Seigneur n’est pas chose aisée. Tout cela s’apprend, se pratique. La théorie se consolide par la pratique, la pratique se base sur la théorie. Une connaissance inappliquée, une application sans connaissance: le premier est fardeau, le deuxième est ignorance.

L’équilibre signifie le juste milieu entre deux extrémités. Qui dit deux extrémités, dit dualité. On parle ici de la dualité de l’être humain. Il est capable du meilleur comme du pire. Il peut dépasser les anges en angélisme, le diable en diabolisme; ou le roi en royalisme. Toutefois, ni l’angélisme, ni le diabolisme ne correspondent à la réalité humaine. Ni l’ange, ne le diable n’ont la capacité d’évoluer. En tant qu’humain, notre évolution est liée à la dualité de notre être. La recherche de l’équilibre nous fait évoluer.

Bediüzzaman, mais aussi d’autres penseurs comme Platon, nous parlent de trois facultés dont nous disposons. Platon dira « epithumia » (l’appétit) à ce que Bediüzzaman, ainsi que toute la tradition islamique dira « kuvve-i şeheviyye ». Le « thumos » (colère) grec sera le « kuvve-i gadabiyye » chez les musulmans. Enfin, on traduirait le « logistikon » (raison) par « kuvve-i akliyye » en littérature islamique.

Ces facultés nous ont été donné pour notre survie. Chacune de ces facultés sont divisées en trois niveaux: le moindre, le juste milieu, l’extrême. L’appétit sert à attirer tout ce qui est bénéfique, avantageux. La colère repousse le nuisible. La troisième, la faculté de raisonner, distingue le bien du mal, le bon du mauvais.

Ces trois facultés ne sont pas limitées de part leur nature. On peut tout désirer, tout consommer, tout dépenser. De même, on peut s’énerver sans borne, détruire tout ce qui nous semble nuisible, pour ainsi devenir un tyran. De même, on peut façonner des réalités grâce à notre raison: nous sommes capables, nous les humains, de convaincre, de persuader, de légitimer des actes totalement illégitimes. Un exemple parmi tant: des guerres meurtrières légitimitées par une étiquette humaniste.

Notre potentiel de consommation, de destruction, de légitimation ne sont que le reflet du degré extrême des trois facultés susmentionnées. Au contraire aussi, nous pouvons devenir fainéants et ne rien chercher pour ne rien consommer. Ne rien faire pour contribuer. Ne rien réfléchir pour distinguer. S’abstenir sans borne. Face à cette dualité des extrêmes, il nous est demandé de choisir la Voie du juste milieu.
Chaque faculté a son milieu: la pudeur (iffet) pour l’appétit, le courage (şecaat) pour la colère, la sagesse (hikmet) pour la raison.

Ainsi, nous devons consommer le légitime et s’éloigner de l’interdit. Il n’est pas question de se priver de tout. Aussi, notre faculté de colère doit nous rendre courageux et non tyran. Enfin, on doit raisonner sagement, sans légitimer l’illégitime.

Trois états d’équilibre: la pudeur, le courage, la sagesse. Le fruit de cet équilibre est la justice. Justice intime, justice sociale, justice universelle. Être juste avec soi, nous rend juste avec nos semblables, avec les créatures, avec l’univers.

Loin de toute naïveté et cruauté, il nous est demandé d’être juste. Loin de toute abstinence et gaspillage, il nous est demandé d’être juste.
Loin de tout extrême, être juste. Voilà un défi juste à relever, un équilibre à trouver.

« La position prise dans le texte est celle de son auteur et pas forcément celle du site qui l’accueille et la publie »

8 Commentaires

  1. Salam,
    Voici un autre point de vue sur l’équilibre, et ses ingrédients :
    La sagesse n’est pas un état d’équilibre, sinon cela voudrait dire que toute l’humanité (à part les exceptions mentionnées plus bas) est sacrément déséquilibrée. Dans le classement des vertus, l’islam met la sagesse au dessus du lot (c’est le summum des vertus). On y aspire, mais on l’atteint rarement -très rarement, à tel point que c’est quasiment une vertu (oserai-je dire exclusive) des prophètes, et que ces derniers en deviennent des exemples, des modèles pour toute l’humanité.
    La justice n’est pas la finalité, c’est un entrainement continu à distinguer le bien du mal, un exercice dont l’objectif est d’opter pour le bien. La difficulté pour les justes, c’est donc d’identifier le bien. La faculté des sages est de savoir où réside le bien. La sagesse est un don de Dieu. La justice est à la portée de tout être, il suffit de vouloir s’y engager.
    Vous parlez de pudeur, mais je dirais plutôt de « ridaa », une sorte d’acceptation de sa condition, d’acceptation de ce que Dieu a choisi pour nous. Par exemple : ne pas lorgner les richesses des voisins, accepter qu’il y ait des différences matérielles et intellectuelles entre les gens (c’est la loi de Dieu). Cela ne veut pas dire « ne rien consommer, rien contribuer, rien réfléchir », mais au contraire, se débrouiller avec ce que nous avons, remercier Dieu pour ce qu’Il nous a donné, et Lui demander de nous aider à améliorer cette condition (en y travaillant bien sûr). C’est cette humilité qui primerait dans l’islam sur une pudeur qui limiterait trop les aspirations légitimes.
    Sur le courage, oui c’est vrai. Mais je dirais encore une fois, qu’il faudrait une confiance en soi (et en Dieu d’abord), une confiance tranquille que n’ébranleraient ni la peur des gens, ni les intérêts personnels, ni aucune menace d’aucune sorte, pour exprimer ce courage. Sans confiance, nul courage.
    Les bases basiques d’un équilibre seraient donc : confiance (en Dieu, c’est à dire la foi, et confiance en soi), humilité et enfin aspiration vers la sagesse.
    Et Dieu sait mieux!

    • Aleykumselam,

      Pour en revenir à votre propos, permettez-moi d’éclairer certains points.

      Tout d’abord, cette classification appartient à Bediüzzaman Said Nursi. Mon but était de l’expliquer dans la mesure du possible. Je vous invite donc à lire son ouvrage İşârât-ül Icaz pour plus de précisions sur la question.

      Concernant la sagesse, selon Bediüzzaman, c’est le milieu (vasat) de la raison, sachant que les extrêmes sont l’ignorance (gabavet) et la ruse (cerbeze) . Les traductions des mots m’appartiennent, ce qui peut nuire à la compréhension. Aussi, n’y a-t-il pasndes degrés dans les vertus? Évidemment, la sagesse prophétique n’est pas la sagesse du citoyen ordinaire.

      S’agissant de la pudeur (iffet), elle se différencie de la ridaa. Toutefois, il est encore une fois évident que la pudeur se base sur la ridaa. Disons que la pudeur est le fruit de la ridaa. Qui pourrait préserver sa pudeur sans la ridaa?

      S’agissant du courage, vous évoquez son contenu. Je n’evoquais que son niveau. Il se situe donc au niveau du vasat (milieu).

      Bref, ce texte ne donne qu’une approche globale. Tout détail est bienvenu.

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