Comprendre et construire

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      Nous avions, dans un précédent article, déterminé les cinq piliers d’une saine présence musulmane en Europe : une spiritualité, une éthique, une participation, une indépendance et une volonté de justice. Armés de ces principes, il nous faut poursuivre notre réflexion en essayant d’inscrire notre action dans un environnement spécifique en dégageant méticuleusement les étapes essentielles. Nous ne saurons être en Europe sans penser notre présence et nous ne saurons penser ladite présence sans faire un rigoureux effort pour comprendre nos références et nous situer dans le contexte dans lequel nous vivons. Comprendre et construire, comprendre pour construire. 


 


– Nos références 


 


      Il faut que les choses soient claires : si nous nous reconnaissons en tant que musulmanes et musulmans, si c’est à l’islam que nous adhérons, alors il est normal que nous réfléchissions dans et à partir des références musulmanes parce que ce sont ces dernières qui, naturellement, donnent sens à notre vie et à notre mort. Il faut, loin de toute considération strictement sociologique, commencer par le commencement : la foi en Dieu, la reconnaissance de Sa présence et de Son autorité, l’adhésion à Sa Révélation et à l’œuvre de Son Messager (PBSL) constituent, ensemble, la première de nos références. Elle participe de la foi qui reconnaît le Créateur, le Prophète et le Message. Ce que Dieu demande aux croyants, selon la tradition musulmane, n’est pas une pure adoration éloignée de la vie et des êtres humains. Au contraire. Porter foi en Dieu, c’est reconnaître son humanité, l’éduquer, l’orienter pour soi mais avec autrui, seul et en communauté, intimement au cœur même des sociétés. En cela, nous pouvons dire que la deuxième référence des musulmans est « le chemin » : comment, quels que soient l’époque et le contexte, rester fidèle à Dieu et à Son message. Si la foi en Dieu privilégie le cœur (sans nier jamais la nécessite de la raison), le chemin de la fidélité convoque quant à lui toutes les capacités rationnelles de l’être humain (sans nier jamais la lumière du cœur). Rester fidèle aux enseignements divins, c’est réfléchir, comprendre, évaluer, déterminer, soupeser… chaque état, chaque situation, chaque alternative. En connaissance de cause, nourri par une intelligence approfondie des exigences de la vie, de l’environnement, de l’époque. La foi en Dieu et en Son Messager, c’est la shahada; le chemin de la fidélité, c’est la shari’a. 


 


– La voie 


 


      La shari’a n’a rien à voir avec la lecture réductionniste qui nous est proposée par certains musulmans, orientalistes ou journalistes qui l’associent à l’application des peines du code pénal pour en présenter l’exacte trahison. La shari’a c’est comment être et demeurer musulman, c’est la voie de la fidélité aux principes de la foi vivante, de la responsabilité, de la justice, de l’équité, du respect et de la liberté. Pour la musulmane et le musulman, ces principes généraux sont universels et dessinent le sens et l’horizon du chemin, de sa vie sur la terre. Pour une oreille habituée aux catégories de la pensée occidentale, on pressent combien cette formulation peut paraître à priori gênante : l’universel, produit par une autre instance que la faculté de raison, peut enfanter le dogmatisme, l’intransigeance, voire le fanatisme. Pour se prémunir de cette tentation, il s’est donc agi de tout relativiser, hormis l’énonciation de valeurs élaborées par la raison humaine universelle. Un être humain ouvert et moderne se mesurerait donc à sa capacité à relativiser ce qu’il croit, puisque dans l’ordre de la rationalité tout est forcement relatif à l’exception, nous l’avons dit, de quelques valeurs et droits fondamentaux (et universels) sur lesquels les hommes peuvent se mettre d’accord. La tradition musulmane établit les choses différemment et ne fait pas de la relativité des opinions une assurance contre le dogmatisme et la fermeture d’esprit. Tant il est vrai que l’on peut être rationnellement dogmatique et foncièrement obtus et intransigeant au nom même de la relativité des opinions. Il existe aujourd’hui un nouveau dogmatisme de la relativité qui ne résiste pas à la troublante tentation de faire de la relativité un absolu et qui, somme toute, n’est pas moins dangereux que l’enfermement dogmatique de certains théologiens. Ce qui est déterminant pour un musulman, ce n’est pas de relativiser l’universalité de son message mais bien de considérer comment le message, qu’il reconnaît comme universel, appréhende la pluralité des croyances, des cultures, des opinions et plus largement des contextes humains et sociaux. En ce sens, une étude approfondie du Coran et de la Sunna, ainsi que des principes universels qui s’en dégagent, nous intime l’ordre, non pas seulement de tolérer rationnellement la diversité, mais de la respecter, avec notre cœur et notre intelligence, car elle est un des signes de la volonté du Créateur : Il a voulu nos différences de couleurs, de langues, de croyances et d’organisations sociales. De plus, Il nous enjoint de prendre et de faire nôtre le bien où que nous le trouvions, quel qu’en soit l’auteur, d’ou qu’il vienne… Il ne s’agit donc non pas seulement de respecter l’autre dans sa différence, en se permettant de l’ignorer, mais au contraire de s’efforcer de le connaître afin de tirer profit de tout ce qu’il pense ou fait pour le bien de l’humanité. L’universalité de la shari’a impose aux croyants une attitude intellectuelle dynamique et active leur permettant d’intégrer tout ce que les sociétés ont produit et produisent de mieux pour assurer la justice et le respect des êtres humains et de la vie. 


 


– Construire 


 


      Cette affirmation a des conséquences cruciales pour les musulmans en Europe : à mille lieux d’une attitude fermée et dogmatique, la référence aux principes universels de l’islam interdit aux musulmans de se contenter d’une posture attentiste, réactive, née d’un réflexe minoritaire. C’est le contraire qui doit être vrai rompant avec une attitude qui chercherait à s’intégrer par la seule adaptation du détail et /ou l’acceptation du « tout est relatif », la référence au chemin de la fidélité, et le souci d’y être fidèle justement, renverse tout à fait les perspectives. Sûrs de nos références et de l’universalité de nos principes, il ne s’agit pas de se penser minoritaires en s’appuyant sur le dispositif droit d »‘une shari’a de la minorité », mais au contraire d’analyser notre nouveau contexte et de faire nôtre tout ce qui ne s’oppose pas à nos références. En d’autres termes, il nous faut effectuer, littéralement, une révolution intellectuelle et affirmer sereinement : tout ce qui en Occident, sur le plan légal, politique, social, culturel ou économique, ne s’oppose pas à un principe fondamental de notre religion est, de fait, islamique. Intègres déjà sur le plan social en tant que citoyens ou résidents, nos références et notre vision du monde intègrent de façon dynamique, profonde et constante tout ce que les sociétés humaines produisent de juste et de digne. Il ne s’agit donc pas de relativiser nos principes universels mais bien plutôt de construire notre avenir à partir de l’importante latitude offerte par ces principes quant à leur capacité d’intégrer le relatif, le divers, le pluriel. 


 


     C’est dire combien les principes universels de I’islam imposent de considérer et d’étudier la relativité des contextes sociaux, politiques et culturels. C’est dire aussi combien le souci de la fidélité au Texte impose de comprendre l’environnement pour évaluer les acquis et les obstacles. Au vrai, l’universalité de nos principes dépasse l’agir et la production des seuls musulmans et des sociétés dans lesquelles ceux-ci sont majoritaires : au point qu’il peut parfois y avoir « plus d’islam » (au sens du respect des principes fondamentaux) là où il y a moins de musulmans… Il faut se méfier des apparences. 


 


      Construire, c’est donc d’abord faire un état des lieux des sociétés dans lesquelles nous vivons, au niveau local, national et continental. C’est considérer de façons approfondie et lucide tous les acquis, et ils sont nombreux en Occident. Se considérer chez soi, c’est ne pas hésiter à appliquer le qualificatif d »‘islamique » à toute loi, à toute institution, à toute organisation, à tout trait culturel et à tout processus en adéquation avec nos références. C’est aussi, au fond, se libérer de toute tentation de frilosité minoritaire, pour déterminer les contours d’une identité affirmée et ouverte fondée sur un discours qui, pour être normatif, n’en est pas moins dynamique, créatif et participatif. De cette étude approfondie et de l’élaboration du discours islamique en Occident naîtront les vraies perspectives d’engagement et de réforme: comment gérer les espaces de liberté offerts par nos sociétés pour rester fidèles à nos principes ; comment s’engager à promouvoir des réformes permettant notre mieux-être et celui de nos enfants ; comment enfin établir des partenariats constructifs avec toutes les femmes et tous les hommes de bonne volonté soucieux de l’avenir de l’humanité et de la planète ? Vivre la réalité de la révolution intellectuelle que nous proposons est sans doute le chemin le plus sur pour nous permettre de marier une foi respectée, une identité affirmée, un rapport confiant à notre environnement et un partenariat exigeant et actif avec nos concitoyens. Personne ne nous empêche d’être ce que nous voulons être et personne d’ailleurs n’en a le droit ; cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Encore faut-il que nous soyons conscients qu’il est de notre responsabilité de déterminer qui nous sommes et ce que nous voulons… Être musulmans, vivre notre foi, suivre le chemin de la fidélité, intégrer le bien d’où qu’il vienne et promouvoir le bien où que nous soyons. Notre présence, intimement spirituelle, socialement citoyenne, devrait être ce témoignage.

1 COMMENTAIRE

  1. être une minorité peut être une force, certains groupes éthnique ont, par leur travail, su se faire respecter. Pour vivre en occident il est vrai que le travail doit se faire de l’intérieur, dans nos communauté et arriver à changer cette image que d’autres musulmans se sont chargé de salir, et finir par montrer la véritable face de l’islam, religion de respect, de beauté et d’amour. tout cela ne s’obtient qu’avec le travail et surtout qu’on arrête de se faire passer pour des victimes… évoluer et mieux vivre son présent tout en respéctant ses acquis et ses valeurs morales.

  2. Salam…
    Article très intéressant… Une réfutation sans conteste de l’opposition « Dar El Harb/Dar El Islam »
    C’est un effort de tous les instants. L’éthique comportementale musulmane (pas la version obscurantiste et paresseuse que l’on rencontre trop souvent malheureusement) nous mènera forcément vers le mieux inch Allah…
    Wa’salam

  3. Salam

    « …au point qu’il peut parfois y avoir « plus d’islam » (au sens du respect des principes fondamentaux) là où il y a moins de musulmans… Il faut se méfier des apparences. »

    Cette citation en dit tout du fond de cet article. Toutefois, après un séjour en Europe j’ai constaté un vrai problème chez les musulmans qui me semble t il constitue la pierre angulaire de tous les autres: c’est la question de la connaissance directe des principes islamiques. Bcp des jeunes n’ont pas eu la chance d’acceder à cette connaissance qui rappelons le fonde la croyance:  » Ceux qui sont plus proches de la crainte d’Allah ce sont certes les savants ( mususlmans) « . Ce qui passe par une éducation dès le bas âge dans les familles. Mais très malheureusement une famille dans laquelle le papa ou la maman ne s’interesse pas à Dieu ne pourra à son tour donner naissance à une génération qui aura le souci de relever le défi de la spiritualité en Occident. C’est du coup le retour de la pendule. Ceux qui aujourd’hui combattent l’Islam ce sont les musulamns qui ignorent les principes élémentaires de cette réligion, conséquence manque de conviction et finalement doute de soit même. Ils deviennent les combattants farouches de ceux et de celles qui veulent porter ce témoignage. Le combat n’est pas à l’extérieure de la communauté il est à l’intérieure et c’est à ce niveau qu’il faut travailler. Quant on ne se connaît pas on fini par douter de soit et du coup on s’aliène croyant qu’on « s’intègre »… Eduquer, éduquer, éduquer, c’est la vraie jihad des musulmans aujourd’hui…

    Ibrahim

  4. Salam,

    La situation actuelle des musulmans dans le monde n’est que la conséquence « naturelle » de leur absence de compréhension de la nature (essence) du message de l’islam. Cette incompréhension mène tout droit à la trahison par infidélité.

    Ainsi, les infidèles à combattre sont donc l’immense majorité des musulmans.

    Ce combat doit être mené avec les armes d’instruction massive afin de construire ensemble un projet d’avenir meilleur.

  5. Cher Monsieur, Votre réflexion est certes pertinente mais difficile à réaliser.
    Il faudrait une révolution éducative pour nos responsables. Peu d’institutions musulmanes organisent des débats, des formations…Les leaders héritent le savoir, la sagesse et le pouvoir. Pire, ils siègent à vie. Une catastrophe voire un crime.
    Le projet dont vous parlez est utopique dans la situation actuelle. Qui parmi nous est capable de convaincre les femmes et les hommes européens de bonne volonté de nous aider? Nos enfants, Nos familles…J’ai le sentiment que notre cause est perdue.
    Il faudra balayer cette génération d’incapables qui s’expriment en notre nom et qui se contentent de la vitrine.
    Ici en Belgique, on attend l’arrivée de certains intellectuels « Made in… » pour débattre du moindre sujet. Nos institutions sont dirigées pour la plupart par des …et ne comprennent pas la portée de vos discours. Certaines refusent l’enseignement de notre religion dans la langue du pays. Cela fait des années que nos « écoles du week end » enseignent l’arabe et très peu de nos enfants la connaissent. Voie fermée, esprits aussi.
    Oui Monsieur il faut de vraies révolutions pour en finir avec ceux qui se plaisent dans la routine et qui chargent la société par des générations de chômeurs, de balayeurs, de « snackeurs »…On aurait préféré des médecins, des avocats, Des fakihs….
    wa Allah Al Mostaane.

  6. votre article est trés interessant ,j’ai beaucoup lu vos livres , écouter vos cassettes,votre pensée politique , économique et sociale est vraiment importante et riche plein d’enseignement et de sagesse .je pense qu’ici en occident ou ailleurs les musulmans doivent se reveiller et depasser les attitudes frileuses et d’enfermements .ceci exige un travail d’éducation et une patience du resultat .
    que Dieu vous protège et vous facite cette ijtihad vers la voie de la fidelité.
    salam

    • Salam (a toi)shere « brother » tariq ramadan.Ansy donc llah prestigieuse universié d’oxford t’ouvre ses portes;kel incroyable « foot of nose »,les enemy de l’islam enrage! Thank you Allah to be our protection,our guide!!!!!

  7. Salam aleykoum a tous et a toutes. Le texte du docteur Ramadan (qui ma beaucoup touche par ailleurs) ma rappele une histoire lu il y a quelque temps. Vers la fin du XIXe siecle, alors que Bismarck unifiait lAllemagne et installait les fondations socioeconomique du systeme allemand moderne, deux savants perses firent une visite au pays de Goethe. A leur retour en Iran, parlant au nom des deux, lun des cheikhs affirma a son auditoire:  » au pays des Germains nous avons trouve lIslam mais point de Musulmans ».

    Jazak’Allah alkhayr.

    -Karim B., Montreal.

  8. ASSALAMOU ALAIKOUM
    Je dois ma foi grace à Dieu par l’intermédiaire de tes textes .Nous remercions Dieu de nous avoir fait don de ce noble frère:je n’ai pas de mots commenter tes textes par ce qu’il n’ya rien à te reprocher.Mais estce que vous pouvez m’envoyer votre numéro de téléphone pour dialoguer avec vous?s

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