Les qualités fondamentales de l’être humain
Après avoir dit cela, on peut discerner pour l’être humain trois qualités fondamentales que l’on retrouve affirmées chez tous les philosophes musulmans. Elles pourraient faire l’objet d’un débat que l’on peut mener – et qui a été mené – avec la tradition chrétienne (beaucoup moins avec la tradition juive qui est plus proche de la tradition musulmane sur ce point).
L’innocence de l’homme
Le premier état de l’homme, c’est son innocence. Dans la tradition musulmane, il n’y a pas de notion de péché originel. C’est un état d’innocence totale, à tel point que, même lors des luttes qui opposaient les polythéistes et les musulmans de son époque, dans un rêve, le Prophète Mohammed voit les enfants de ses adversaires au Paradis et se demande comment les enfants de ses persécuteurs peuvent aller au paradis. C’est que Dieu ne comptabilise pour chacun que ses propres actes. Les enfants ne paient pas pour leurs parents. Ils sont tous innocents et Dieu les considère comme tels.
Cela est très important pour la compréhension même de l’humanisme. Si on commence par l’innocence, on est dans un rapport à soi qui est un rapport de non-culpabilité première. On ne peut être coupable d’être et de réagir en tant qu’être humain, On ne peut être coupable de sentir en soi la colère, la violence ou la haine. En revanche, et c’est très important, on devient coupable si on les laisse se développer en soi,, si on en perd la maîtrise et si on se soumet à ce qui s’exprimera du fait de cette perte de maîtrise. Il y a une dimension naturelle : ma colère est naturelle, mais me laisser aller à la colère peut être de l’orgueil ; au contraire, maîtriser ma colère peut être l’humilité suprême. Donc un état d’innocence première, important dans la tradition musulmane, et sur lequel se greffe une deuxième notion, qui découle de tout ce que l’on vient de dire.
La responsabilité de l’homme
Tout de suite après l’innocence il y a la responsabilité. Un être responsable dans les faits, responsable en particulier de son innocence ; c’est le plus grand défi pour un être humain.
Il semblerait que l’on soit proche ici des positions de J.-P. Sartre, exprimées par lui dans L’Etre et le Néant et résumées – peut-être mal résumées – dans sa conférence de 1946 L’existentialisme est un humanisme. Nous sommes condamnés à être libres, dit J.P. Sartre, et cette dimension de liberté absolue nous donne une responsabilité qui est première. Or dans la tradition musulmane, il y a bien l’idée d’une responsabilité première de l’homme. Mais, pour l’Islam, il y a d’abord cette dimension originelle de la Transcendance, sur laquelle on vient d’insister longuement, et c’est sur elle que se fonde la responsabilité première de l’homme.
L’humilité de l’homme – Entre Dieu et l’homme, un double rapport d’exigence et de confiance
A la responsabilité s’ajoute un élément très important, également constitutif de l’homme du fait de cette « étincelle » qui précède la raison : nous voulons parler de l’humilité. C’est une notion un peu difficile qu’en Occident on placerait volontiers dans la mystique ou la spiritualité. Dans la tradition musulmane, c’est une notion fondamentale.
Quand l’innocence croise le chemin de la responsabilité, ce qui est demandé devant Dieu, au nom de l’innocence que Dieu offre et au nom de la responsabilité qu’Il demande, c’est l’humilité. Etre humble, c’est donc à la fois reconnaître que Dieu est, reconnaître ce qu’Il est, et en même temps savoir ce que l’on peut faire au nom de ce qu’Il est. D’où, entre Dieu et l’homme, un double rapport d’exigence et de confiance.
Dieu a confiance en l’homme, Il ne se méfie pas de l’homme. Mais en revanche il lui demande de se méfier de lui-même. Le rapport de confiance réciproque est total. Ce qui est inversé, c’est que l’homme doit avoir complètement confiance en Dieu mais qu’il doit savoir que les hommes, lui-même comme les autres, sont capables de tout. Il n’y a, par conséquent, dans la tradition musulmane, aucune pensée prométhéenne, au sens d’une attitude de révolte vis-à-vis de Dieu. On ne se plaint pas de celui en qui on a confiance. Par contre se plaindre de soi, se plaindre des êtres humains, être révolté contre ce que l’homme peut faire peut être légitime. Mais jamais on ne se révolte contre ce que Dieu exige.
Faisons un instant allusion à des événements survenus en Belgique, qui avaient choqué certains musulmans. Il s’agit de l’affaire Dutroux et de la « marche blanche« . Parmi les jeunes filles victimes il y avait une musulmane. Des musulmans avaient donc participé à cette marche. A un moment donné, le prêtre qui officie se tourne vers Dieu et le questionne. Dans la tradition chrétienne cela est pleinement compris ; c’est un acte de profonde piété. Mais les musulmans s’interrogeaient : comment peut-il parler à Dieu comme cela ? comment questionner Dieu ? Il y avait là une relation au Divin qui n’existe pas pour les musulmans. On ne questionne jamais Dieu sur ce qui s’est passé. On ne peut que se questionner soi-même sur ce que l’on aurait dû faire pour que cela ne se passe pas.
Dans la tradition musulmane cette attitude va revêtir deux aspects importants. Pour tout ce qui concerne le rapport à Dieu – ce que dans la tradition chrétienne on appelle le culte – c’est Dieu qui règle le culte, de façon extrêmement précise. Dans le culte, on n’intervient pas avec sa raison : les musulmans prient selon des textes très précis. Il n’y a pas, dans ce rapport à Dieu, le moindre choix possible. Les prescriptions relatives aux cinq prières par jour définissent une gestuelle très précise. Cela ne veut pas dire qu’entre les prières, on ne soit pas libre d’avoir un rapport à Dieu d’une autre sorte, un rapport de dialogue. Mais ici il s’agit de la prescription du culte. Dans la tradition musulmane, le culte est minutieusement réglé.
Par contre la vie en général, les affaires sociales, les comportements et les pratiques sont seulement orientés. On règle et on précise tout ce qui est de l’ordre du rapport à Dieu ; on oriente tout ce qui concerne le rapport entre les hommes. Par orientation il faut entendre un horizon éthique : il y a des limites. Dieu a confiance en vous, vous êtes libres d’aller dans tel ou tel sens, mais on ne fait pas n’importe quoi avec ses propres connaissances.
On comprend ainsi que, dans la tradition musulmane, il y a une double posture de l’humain. Par rapport au Transcendant, une exigence, une rigueur, une discipline personnelle face au divin : les cinq prières par jour, le jeûne, le pèlerinage, le fait de donner une taxe sociale purificatrice, en somme les « Cinq Piliers de l’Islam » sont prescrits dans toutes les communautés, dans toute l’histoire de la philosophie musulmane et ne se discutent pas. Le rapport à Dieu est du domaine du réglementé et donc de l’exigence.
A l’inverse, dans le rapport à l’homme, tout ce que l’on trouve dans les traditions et qui répond à l’innocence, à la responsabilité et à l’humilité, sont des orientations éthiques, des grands principes. Libérons la raison, mais posons des limites ; libérons l’autonomie rationnelle, mais prenons garde. Une autonomie rationnelle qui ne se référerait plus qu’à ses propres règles peut mener à l’excès, à l’orgueil, à un humanisme tendant vers le totalitarisme, en prenant l’homme comme centre de tout et finalité de toutes choses, ce qui peut être d’un danger extrême (pensons aux questions qui nous sont posées par les sciences aujourd’hui).
Donc autonomie de la raison quant à ses méthodes et ses pratiques(2) ; on a confiance dans cette faculté humaine. Mais toujours avec un souci venant de al-Fitra, cet horizon originel, qui met en évidence les limites et les principes éthiques. En définitive, une autonomie de la raison qui ne dise pas l’orgueil mais qui exprime l’humilité : tout est là. La raison peut-être l’expression du plus vivant orgueil mais peut être aussi, quand elle est nourrie par une lumière, l’expression d’un rapport très humble à l’Univers. Jamais, sauf quelques rares cas très contemporains, il n’y a eu de philosophe musulman qui ait séparé le savoir de l’éthique. Chez tous, à l’instar d’Averroès et d’Avicenne, ce souci d’unité est fondamental. Même quand ils parlent du rationnel et qu’ils veulent marier l’horizon religieux et l’horizon philosophique, ils n’oublient jamais cette double dimension d’une rationalité et d’une éthique.
Quel homme, donc, pour la pensée musulmane ? un homme avec une innocence, une responsabilité, une humilité ; un homme qui, dans son lien avec Dieu, se soumet à l’exigence d’une pratique cultuelle rigoureuse ; et qui, dans son rapport avec les autres hommes, dans sa pratique sociale, dans son rapport aux sciences, à l’organisation sociale et économique et à l’émergence d’une culture, peut être objet de confiance et jouit de sa liberté dans le cadre de principes qui orientent. Ces principes n’enferment pas, ils donnent des horizons essentiels, des horizons de respect de la dignité humaine, de respect des équilibres et de respect d’une certaine morale.
(2) On sait d’ailleurs que dans la tradition musulmane, et si l’on en revient au Moyen-Age, il y avait, en matière de mathématiques et de sciences expérimentales, des avancées considérables que connaît bien l’histoire des sciences et dont la transmission à l’Europe fut pour cette dernière quelque chose d’extrêmement important.
Félicitations pour ce texte simple et plein d’enseignements.
Quel humanisme pour l’Islam? Quel être humain comprend et concentre toutes ces qualités innées et sociales sus-citées? Le Prophète (saw) bien sûr, les sahabas ensuite et les tabi’hins enfin dans la voie de la justesse, de la justice, de la Vérité.
Des qualités exceptionnelles de droiture, un savant mélange de raison et de sentiment sous l’hégide de la foi, une foi donnant cette clairvoyance, enfantant un comportement parfaitement…Droit tout comme la voie ouverte par Le Livre Ultime (le Co’ran).
je ne sais pas comment vous remercier des réflexions que vous suscitez en moi !! M.tarik Ramadan vous etes une lumiere pour moi ! une lumiere qui m’éclaire dans ma marche vers allah !! dans la tolérance et l’amour de son prochain !! merci pour tout !! Avec pierre bourdieu vous m’apportez enormément !! notre place se trouve dans les millieux altermondialistes !!! N’en déplaise… à qui vous savez !!!
salam
Salam,
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Cher Monsieur Ramadan,
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Qu’il est agréable de faire route avec vous.
Vous êtes ma boussole.
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OLLAG
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LA CONFIANCE
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La confiance est le cadeau suprême que votre être
peut offrir à un être, quel qu’il soit.
Et elle est surtout la porte de sortie
des systèmes qui vous emprisonnent.
Lorsque vous la déposez à vos pieds,
elle est la première marche vers vous même
et tel un joyau inaccessible il vous faut tous,
à un moment ou à un autre, travailler pour vous l’offrir.
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LA COLÈRE
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La colère vous coûte une énergie folle, mais elle est nécessaire
pour vous permettre de prendre conscience
que quelque chose en vous n’est pas aligné avec la force de vie.
Elle est comme un signal d’alarme et il faut l’utiliser comme tel.
Il vous faut rapidement la reconnaître pour la stopper en vous,
pour stopper surtout ses effets dévastateurs.
Si vous lui laissez libre cours, elle vous anéantira sans pitié.
Si vous la respectez pour ce qu’elle est,
elle vous permettra d’avancer en bonds extraordinaires
vers l’unité à vous-mêmes.
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LA DISCIPLINE
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La discipline est pour vous l’abandon aux lois
qui vous empêchent des débordements sur autrui,
trop éloignés de votre nature profonde.
Sans elle vous risqueriez de ne plus connaître
de mesure dans vos démesures.
Alors tant que vous ne vous sentez pas guidés par l’amour,
il est nécessaire d’y avoir recours.
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L’HUMILITÉ
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L’humilité est l’ultime sagesse de l’être confronté à lui même.
Elle devient source de joie
lorsque vous avez cessé d’écraser votre prochain
par la supériorité imaginaire de vos pensées.
Elle devient partage
lorsque vous voyez votre propre reflet dans ses yeux,
lorsque votre être démuni touche aux limites de la compassion
et lorsqu’enfin votre coeur a compris qu’il était don.
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LA LIBERTÉ
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La liberté c’est l’envol de votre âme
lorsque vous avez compris le pourquoi de sa nature même.
C’est lorsqu’enfin, après avoir quitté la cage de vos principes
et de vos systèmes, vous lui offrez ce pour quoi elle existe,
l’amour.
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LES LIMITES
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Les limites sont pour vous les frontières nécessaires
que vous devez accorder à vos êtres,
Puisque précisément elles vous permettront
l’échange en toute sérénité
Et le premier pas vers l’échange consiste à les accepter pleinement.
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L’ORGUEIL
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L’orgueil c’est la parure du pauvre.
C’est la vertu déguisée de celui qui n’a pas compris
que vous n’étiez qu’un.
C’est en somme la détresse de la brebis égarée.
Alors si vous croisez un orgueilleux,
n’hésitez pas à lui tendre la main, à le ramener sur le chemin,
car le sien est pavé de solitude.
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LA RESPONSABILITÉ
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La responsabilité est pour vous la reconnaissance à vous même,
puisque tout acte, toute décision,
tout mouvement que vous donnez dans la matière
ne peut vraiment vous porter en avant
que dans la mesure où vous en acceptez la responsabilité.
Sous ce mot se cache le fait que vous les revendiquez
et de ce fait ils deviennent vôtres à part entière
et vous permettent de grandir, quels qu’ils soient.
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Sylviane Schaulin
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salam
tu as fait de tres belles ecrits je t’encourage à partager tes idées avec tes freres et soeurs, ce que tu as dit sur la Liberté m’a personnellement marqué. Bonne continuation.
Salam
L’innocence, la responsabilité et l’humilité sont trois qualités rares chez les musulmans. Un intellectuel suisse souligne que les musulmans constituent un obstacle entre l’Islam et le reste de l’humanité. En occident, beaucoup de gens analysent le spectre du musulman pour découvrir l’Islam. Le résultat est un mélange de mépris, de haine…Aujourd’hui, nous n’avons aucun exemple d’école à donner à l’autre pour nous identifier. Au niveau des états, des gouvernements…il vaut mieux ne pas présenter ces copies. Seuls quelques individus peuvent être présentés comme des vrais musulmans (Dieu connaît leur intention). Notre relation à Dieu est saisonnière. Notre comportement avec les musulmans est entaché d’hypocrisie. Notre attitude avec les non musulmans laisse à désirer.
L’acquisition des qualités que Monsieur Ramadan cite dans ce texte exige une bonne éducation dès le bas âge.
Assalamou alaycoum.
votre pensée est bien authentique(فكرك أصيل).
Vous savez bien ce que veut dire un musulman et ce qu’il doit ètre.
La plupart de nous passe sa vie sans mème pas savoire sa sens…
On a besoin de vous et de chaque intellectuel sincère exactement comme on a besoin d’un medecin ou peut ètre plus..
Vous voyez claire les choses grace au lumière que Dieu la met en votre coeur,et vous voulez qu’on voit claire comme vous.
Qu’Allah vous garde pour nous et pour toute l’humanité.
Salam,l’éclairage des qualités cité ic sont essentiellles,mais encore une fois elle s’incrive dans une reéaction au discours philosophique occidental,et donc ne disent pas complétement la conception de l’islam sur ce thème,mais plus important,cela ne donne pas des orientations clair pour chacun dans la réforme de sa personne.Il aurait été très utile concernant les qualités,ou plus précisement la façon dont l’tere humain est présenter en islam,d’insister sur la notion du façonnement du nafs cité dans sourate ach chams,sur al foujara,at taqwa pui sur at tazkya directement lier à la fitra.Cela surtout de la part de Tariq Ramadan(peut etre écrira-t-il rapidement, insha Allah, un commentaire de zouz an naba et de sourate al moulk,cela étant un e priorité aujourd’hui pour la communauté et mème pour l’humanité,tellement ces sourates possèdes des fondements centrale de l’islam ainsi une nouvelle lecture de celles-ci pour notre époques est indispensable),qui sur ce sujet à un discours qui est au centre des interrogations des gens,sur la question du naturel(bon ou mauvais)qui vient en l’etre,ce qui permet de discerner le bon du mauvais(le coeur qui reconnait,la révélation qui guide) et ce qui permet,orientent les volontés vers le bon choix(la fitra:aller vers le très haut),c’est une donnée essentielle aujourd’hui et qui dit après la fitra et avant la révélation ,la compréhension du lien entre les deux,et permet les répères(al houda) et l’action (at taqwa)nécessaire au rapprochement(wa qoutarib).On aurait aimé aussi un mot sur la psychanalyse à travers l’éclairage de la fitra,du façonnement du nafs,et de la révélation,Alahou Alam,Salam
salam, pourquoi, dans le texte, le laisser aller à la colère, est définit, par l’acte morale, et non premièrement par l’état de conception, en d’autres terme, que dit le laisser aller à la colère, dans lordre de la conception de l’etre, dans la nation de vérité,avant d’etre considérer, dans l’ordre de la morale.
l’aspect morale de l’acte est-il en islam lier par essence à la conception de l’etre, ou l’islam bien que diant ce lien normal, mentione t-il les deux de façon distinct,mème si il y a un lien.
A quand la suite, sur l’humanisme, après ces trois articles
Allahou Alam
salam
Salam
cette notion d’humilité est revenue en moi, elle m’as posée des question, vous dites:
C’est une notion un peu difficile qu’en Occident on placerait volontiers dans la mystique ou la spiritualité. Dans la tradition musulmane, c’est une notion fondamentale.
pouvez vous expliquer cela, une ntion un peu difficile en occident, qu’est ce que cette humilité, qu’elle place dans la nature de l’etre humain, quel fruit pour la nourriture des coeurs et la liberté face à la création.
Un profond merci, pour tout cce que vous faites, et transmetter comme soufle et savoir, outils et méthode.
qu »allah nous fasse etre par ses qualités et qui nous protège du doute de ses qualités.
qu’Il nous prtège de la disparition de ses bienfaits
Salam
Il ne faut pas oublier de questionner le -isme de l’humanisme. Que signifie-t-il ?
C’est ce qu’a tenté Martin Heidegger dans sa « Lettre sur l’humanisme ».