La Fracture sociale : la France et l’Angleterre en miroir

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Les émeutes de Clichy et des banlieues avoisinantes suscitent un vif intérêt en Angleterre. On cherche à comprendre les « défaillances du système français d’intégration ». Il s’agit du scénario inversé de l’été dernier où, après les attentats de Londres, on analysait en France les points de fractures du multiculturalisme britannique. Tout se passe comme si, de chaque côté de la Manche, on essayait de se rassurer sur ses propres doutes en se penchant avec force certitudes sur les déficiences de l’autre.

 

La comparaison des systèmes d’intégration nous paraît inopérante. Le modèle français n’est pas meilleur ni moins bon que le modèle anglais. Chaque société, compte tenu de son histoire, de sa culture et de sa psychologie collective a développé des mécanismes et l’on y trouve des acquis et des défaillances qu’il faut appréhender de l’intérieur des équilibres sociopolitique et économique des sociétés. Chacune a son génie et doit s’appuyer sur sa créativité politique collective pour résoudre les crises qui la traversent. Ce qui néanmoins devrait nous intéresser est l’analyse des similarités qui, dans la nature des débats ou les politiques gouvernementales, provoquent dans ces deux univers (comme ailleurs en Europe), des tensions sociales, culturelles ou religieuses.

 

En amont, on trouve partout discutée la question de « l’intégration des musulmans ». Que ce soit autour des questions de la laïcité ou de l’identité, on semble obsédé par l’idée que l’islam fait problème. Le discours politique entretient tant le doute quant à la capacité des musulmans à pouvoir vraiment être européen que la peur de cette menace que représenterait l’islam pour la paix sociale. On observe un jeu politique très malsain qui cherche à tirer un profit électoral de ces peurs avec des discours qui normalisent des thèmes qui étaient hier l’apanage des partis d’extrême droite : discours sécuritaire, préférence nationale, politique discriminatoire qui se confond avec la question de l’immigration.

 

Le retour obsessionnel des questions telles que l’intégration et l’identité est la preuve  d’un double phénomène : d’une part, de l’incapacité d’entendre les voix musulmanes qui depuis des années affirment que l’islam ne fait pas problème et que des millions de musulmans assument parfaitement le fait d’être Européens, musulmans et démocrates. D’autre part, on y perçoit, à gauche comme à droite, l’absence de volonté politique de traiter des vraies questions sociales : entretenir la peur pour récolter des voix est plus facile que de proposer des politiques courageuses en matière éducative et sociale.

 

L’étude des deux terrains, loin des faux débats, nous ramène à d’autres similarités très concrètes. Que ce soit sur des bases ethniques ou économiques, les deux modèles ont construit de véritables ghettos. Dans le système anglo-saxon, la nature du lien ethnico-social régule davantage les relations interpersonnelles à l’intérieur des « communautés importées » et provoque donc moins de violence sociale, mais il n’en demeure pas moins que les communautés ne se mélangent pas. Les banlieues françaises comme les quartiers résidentiels sont de véritables ghettos sociaux et économiques. Le discours politique français voue aux gémonies la référence au « communautarisme religieux » sans voir que le véritable « communautarisme » qui mine sa société est de nature socio-économique. Or, il se trouve que les Noirs, les Arabes et les musulmans sont proportionnellement les plus pauvres et les plus marginalisés. Ce que l’Angleterre a déterminé par l’ethnie, la France l’organise par le porte-monnaie.

 

On ne dira jamais assez combien les deux modèles s’alimentent et nourrissent des conceptions xénophobes. Il faut regarder nos racismes en face. Dans ces sociétés morcelées les discours entretenus sur les Asiatiques, les Turcs, les Arabes, les Noirs et les musulmans tiennent de la xénophobie et les politiques discriminatoires en matière d’emploi et de logement sont du racisme institutionnalisé. Les causes sont certes multiples, de la peur à l’ignorance, mais les faits sont là et exigent une politique éducative et civique volontariste.

 

Le cœur des débats n’est pas religieux mais social. Contre la ghettoïsation et le racisme, nous avons besoin d’un sens de la créativité politique qui ose et qui risque. Quatre chantiers nécessitent un engagement prioritaire. L’éducation d’abord: les programmes scolaires ne disent très peu sur les histoires et les traditions de ceux qui composent les sociétés d’aujourd’hui. Si l’enseignement officiel ne reconnaît pas la contribution passée des parents, il sera difficile de faire croire que l’on respecte leurs enfants. Par ailleurs, les écoles-ghettos d’Etat qui devraient diminuer les inégalités ne font que les multiplier : au lieu d’alimenter les peurs autour des écoles privées religieuses qui concernent moins de 1% des populations, on ferait bien de réformer sérieusement une école publique qui consacre quotidiennement l’inégalité des citoyens.

 

La lutte contre le chômage et la discrimination à l’emploi est une autre priorité. Les taux de chômage des citoyens « d’origine immigrée » est infiniment supérieur à celui des citoyens « de souche ». Il est de première importance d’imposer un accès égalitaire au marché de l’emploi et de cesser de se référer à l’ « origine immigrée » des individus. Les gouvernements, loin des actions purement symboliques, devraient imposer la justice en matière d’emploi et sanctionner lourdement les discriminations racistes dans les administrations et les entreprises. Le troisième chantier est celui de l’habitation et de la politique urbaine. Les autorités locales n’osent pas aller à l’encontre des réflexes communautaires des riches ou/et des communautés ethniques. L’objectif d’une plus grande mixité sociale ne pourra pourtant se réaliser qu’au prix d’un engagement politique à contre courant des tentations de replis frileux et sectaires.

 

Ces politiques ne sont pas populaires et les partis rechignent à s’y engager. L’avenir nous impose pourtant d’aller dans ce sens et c’est pourquoi, loin de l’obsession-des-élections-qui-approchent et des discours de la peur, il faut lancer des mouvements nationaux d’initiatives locales promouvant l’éducation civique et citoyenne et la démocratie participative autour de projets locaux qui réunissent, au nom du bien commun, des citoyens d’histoires et de mémoires différentes. Il faut rétablir la confiance en soi et en autrui  de même que le respect de soi et d’autrui.

 

Ces mesures sont impératives. Il faudra certes les marier avec des politiques de sécurité mais ces dernières seront sans effet si elles ne participent pas d’une approche globale courageuse. Ce n’est malheureusement pas ce que l’on voit poindre à gauche comme à droite. A celles et à ceux qui s’affirment français ou britanniques, on renvoie l’image qu’ils sont d’abord des Arabes, des Asiatiques ou des musulmans. Comment certains individus, marginalisés socialement et/ou psychologiquement, pourraient-ils ne pas être attirés par les discours littéralistes ou radicaux qui leur expliquent qu’ils sont rejetés pour ce qu’ils sont et qu’il n’est d’autre voie que celle de la confrontation des identités et des civilisations.

 

La boucle est malheureusement bouclée : les discours récurrents sur l’islam et l’intégration déplacent les problèmes et donnent raison à ceux qui, du côté musulman, islamisent tous les problèmes et, de l’autre, alimentent l’idée d’un irrémédiable conflit avec l’islam. Enfermés jusqu’à l’étouffement dans les débats autant passionnés que stériles autour de « qui est  Français », « qui est British », on n’entend plus les revendications sociales légitimes de citoyens désormais français et britanniques. Leur violence, usant de moyens illégitimes, est une réaction malheureusement compréhensible face à cette surdité : à force d’imposer un faux débat sur l’intégration pour éviter le vrai débat sur l’égalité des chances et le partage des pouvoirs, on récolte ce que certains semblent  machiavéliquement désirer : stigmatiser des appartenances, entretenir la peur, monopoliser et pérenniser leur pouvoir symbolique autant que économique et politique. L’histoire leur apprendra, bon gré mal gré, à partager.  

 

 

1 COMMENTAIRE

  1. Salem A’leykoum,

    C’est triste qd même,et un très mauvais exemple pour les jeunes de devoir « casser » pour se faire entendre.

    Je me pose la question suivante,est-ce qu’on les aurait entendu,s’ils n’avaient pas usé de violence ?

    Vraiment,on a tt entendu,de « l’islamisation » des banlieues,à l’intifada de la France,ils ont également parlé de Al Quaida …

    Quant à la police,comment voulez-vous vous faire respecter,si vous même vous leurs manquez de respect !!

    Vous êtes des exemples,et pour la plupart(pas tous)vous vous comportez comme des sauvages,comment voulez-vous que ces jeunes comprennent si les exemples même
    sont tordu …

  2. Salam

    C’est en effet trés triste de voir ce qui se passe dans nos banlieues à quel point les jeunes des cités sont desesperés mais neanmoins le dialogue s’impose et un dialogue dans les deux sens autant du coté des politiciens que du coté des jeunes qui se sentent exclus à qui on essaye de faire croire que le monde du travaille n’est pas raciste, que l’education nationale donne les memes chances a tous ce qui malheuresement n’est pas le cas.

  3. Sur le soi-disant communautarisme :

    « Selon les données disponibles, le degré de ghetthoïsation des immigrés n’est pas plus élevé aujourd’hui qu’il y a 20 ans, à l’époque des émeutes des
    Minguettes. Le problème ethnique et religieux s’est sans nul doute aiguisé
    en France, mais son terreau est en place depuis fort longtemps. D’autre
    part, l’hypothèse d’une forte poussée communautariste pour expliquer les
    mécanismes de ghettaïsation laisse perplexe l’économiste. S’il y avait bel et bien formation de pôles d’attraction communautaires de ces quartiers, si ces voisinages étaient réellement porteurs d’une forte charge identitaire, chercherait-on à s’en éloigner à la première occasion? Si communautarisme il y a, c’est éventuellement un communautarisme d’attente, de réaction à la ségrégation, et non une construction de type sécessioniste. »

    Citation de : Eric Maurin, le ghetto français, enquête sur le séparatisme social. Collection la républuque des idées au Seuil, octobre 2004, page 18.(10 euros l’ouvrage. lecture vivement conseillée (90 pages).

    L’auteur, économiste et statisticien, s’appuie en bonne partie sur un échantillon statistique important (4000 « lieux de voisinage ») tiré de l’enquête emploi de l’INSEE

    Sous un petit format sont proposées des conclusions importantes quant au
    diagnostic. La fin de l’ouvrage propose des pistes de solution qui
    s’éloignent des recettes habituelles (notamment il est proposé de cibler
    les aides sur les personnes et non plus les territoires)…

    Cela confirme les analyses et propositions ici présentées. La classe politique dans son ensemble a du travail! Les citoyens doivent les inciter à aller dans ce sens.

    La primauté doit aller à l’intelligence collective, à la volonté de donner un avenir à tous, et non à la répression. ne pas le comprendre est se condamner à la récidive…

  4. J’ai auditionné les enregistrements d’un certain nombre de vos conférences que je conserve, afin de les confronter à l’actualité. J’ai également visionné votre débat avec Mr Sarkosi. Plutôt que de chercher à vous discréditer par l’utilisation perverse de citations tronquées ou d’estimer votre généalogie coupable, il aurait mieux fait de promouvoir activement votre enseignement. Son application aurait été sans nul doute la réponse la plus adéquate à la situation dont découlent les événements actuels.

  5. Salem A’leykoum,

    N’avais-je pas dit,concernant Sarkosy que c’était le pen déguisé !

    Voilà que Nicolas vole les idées(et bien évidemment ses partisans) de Jean-Marie !!!

    C’est Jean-Marie qui doit en faire une tête,le pauvre …

    C’est à celui qui proposera les mesures les plus strictes,et comme on peut le constater,ils s’en donnent à coeur joie.

    Voilà qu’ils veulent expulser des jeunes en situation régulière !

    Je ne sais pas s’ils se rendent compte de la situation,un mineur que l’on sépare de ses parents!

    Ce gars là est dangereux,il ne veut pas trouver des solutions,il ne songe qu’à la repression.

    Mais s’il n’en peut plus Sarkosy,dépassé par les évènement,je lui suggére d’aller faire un tour en station balnéaire,ils ont des karchers là-bas, une vraie merveille …

  6. Eh bien, tout est dit.. je comprends mieux la déferlante médiatique française sur votre compte l’année passée. Vous venez de donner une analyse claire et complète qui explique pourquoi la France et l’Angleterre en sont arrivées là.
    Les hommes politiques devraient s‘inspirer de vos lectures s’ils ne veulent pas un jour se voir jeter des projectiles de la part de leurs concitoyens !!!
    Continuez, M. Ramadan à nous éclairer par vos travaux et merci encore.

    Fouzia

  7. De retour sur votre site (pour des raisons qui m’échappent je ne pouvais pas y accéder les semaines précédentes…) je constate que vos réflexions sont toujours aussi pertinentes. Que vous soyez en france, en angleterre ou ailleurs vos interventions sont toujours précieuses. Esperons que « les jeunes enragés » entendront vos messages et les méditerons. Si seulement en France nous avions d politiques qui écoutent réellement les « spécialistes » du terrain comme vous pour enrayer les drames sociaux et les prévenir en amont. Mais vous me direz, il y aura toujours des « présidentiables » avides de pouvoir et en quete de voix (même celles émanant des lepenistes) qui verront d’1 mauvais oeil ces « specialistes de terrain » « gênants » et useront de la surenchère sémantique et symbolique pour se faire remarquer : « carcher », « racaille », « étrangers en situations régulières(entendez francais d’origine étrangère, tout comme sarko : à lui on ne dit jamais qu’il est de 2eme génération…trouvez l’erreur)… « . Sarkozy VS Azouz Begag, ça ne vous dit rien…

    Peace & love, wa salam (paix + salut)
    Mohamed Azdine,

  8. Cher Frère Tariq,

    C’est vrai que

    L’histoire leur apprendra, bon gré mal gré, à partager.

    Mais quel en sera le « prix à payer » et combien de victimes figureront sur « la facture »?

    La vraie rébellion est celle des nantis détenant « du pouvoir » :

    Sourate 96 :

    6 Bien au contraire !

    L’homme se rebelle

    7 Dès qu’il se voit dans l’aisance.

  9. La colère

    Une émotion simple

    Les émotions simples sont les seules vraies émotions. Elles nous informent directement sur

    -l’état de nos besoins et

    – sur la façon de les satisfaire.

    Voyez comment décoder leurs messages.

    Les types d’information qu’elles transmettent:

    Les émotions servent à nous informer de l’état de nos besoins. Sont-ils satisfaits ? À quel degré ? De quel besoin s’agit-il ?

    Il est important de reconnaître nos émotions et de les ressentir. En permettant au processus naturel de l’émotion de se dérouler, on s’assure de pouvoir prendre en main la satisfaction de nos besoins.

    Les émotions simples se divisent en deux grandes classes:

    1. Positives:

    elles indiquent que le besoin est comblé

    2. Négatives:

    elles signalent que le besoin n’est pas comblé

    Dans chacune de ces classes, il y a trois catégories:

    1. Par rapport au besoin:

    quel est le besoin en cause?

    2. Par rapport au responsable:

    qu’est-ce ou qui aide ou nuit à la satisfaction du besoin?

    3.D’anticipation:

    mes réactions à ce qui pourrait survenir.

    Recopié depuis

    http://www.redpsy.com/guide/simple.html

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